Nous vivons des moments graves, tragiques, qui brisent notre image d’une Europe paisible. L’agression russe contre l’Ukraine s’accompagne d’un durcissement sans prĂ©cĂ©dent Ă l’intĂ©rieur de la Russie. Un projet de loi est dĂ©battu Ă la Douma qui prĂ©voit 15Âans de prison pour des « fake news » concernant les militaires russes. Cela signifie en clair que quiconque ose mentionner les bombardements russes sur le centre-ville de Kharkiv, par exemple, pourra ĂŞtre envoyĂ© en prison. En effet, selon le discours officiel Ă Moscou, ce sont les Ukrainiens eux-mĂŞmes qui bombardent leurs propres villes.
Dès le premier jour de l’invasion, une censure militaire a été introduite en Russie. Il est interdit d’appeler cette guerre une guerre, de parler des victimes, ou encore des pertes militaires. L’association Mémorial est vouée à la « liquidation ». La célèbre radio Écho de Moscou (Ekho Moskvy) est désormais quasiment interdite et ne peut plus émettre. Dojd, l’unique chaîne de télévision russe indépendante (diffusée sur Internet), est bloquée et inaccessible. Tout se passe comme si une pluie d’interdictions s’abattait sur les médias indépendants ainsi que sur les sites ukrainiens en Russie. Des journalistes sont contraints de retirer des textes évoquant la guerre. Facebook et YouTube fonctionnent au ralenti. Il est possible que les Russes soient bientôt privés de ces plateformes, ainsi que de Twitter. À en juger par la presse russe, le régime est prêt à complètement bloquer Internet.
Dans la rue, les citoyens qui osent protester sont passĂ©s Ă tabac et arrĂŞtĂ©s. En une semaine, plus de 7 500 personnes ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©es. Les autoritĂ©s annoncent la crĂ©ation de « groupes d’intervention rapide » chargĂ©s d’« empĂŞcher les manifestations contre la guerre ». Il faut saluer le courage des citoyens qui, dans ces conditions, manifestent et signent des pĂ©titions. On dĂ©nombre 45 pĂ©titions signĂ©es par toutes les strates de la sociĂ©tĂ© russe, la plus populaire Ă©tant celle qu’a lancĂ©e par le dĂ©fenseur des droits de l’Homme Lev Ponomarev. Cet homme de 80 ans, l’un des fondateurs de MĂ©morial Ă la fin des annĂ©es 1980, a l’intention de prĂ©senter cette pĂ©tition Ă Vladimir Poutine dans les prochains jours. Elle a recueilli près de 1,2 million de signatures. Ce dictateur doit savoir combien de gens n’ont pas peur de lui !
Parallèlement, on impose aux enfants et aux adolescents un récit officiel : le 3 mars, toutes les écoles ont dû participer à une « leçon panrusse » où chaque enseignant devait expliquer à ses élèves que l’action militaire russe était pleinement justifiée. Le contenu de la brochure envoyée à toutes les écoles est disponible en ligne (en russe).
En 2006, le romancier russe Vladimir Sorokine avait publiĂ© une dystopie prophĂ©tique, dont l’action se dĂ©roule Ă Moscou, en 2028. Ce roman s’intitule JournĂ©e d’un opritchnik, en clin d’œil au cĂ©lèbre rĂ©cit de Soljenitsyne. Chez Sorokine, une oligarchie sanguinaire exerce sur la Russie un contrĂ´le totalitaire absolu. ÉquipĂ©s de moyens technologiques ultra-sophistiquĂ©s, les nouveaux maĂ®tres — des opritchniks Ă l’image des gardes d’Ivan le Terrible connus pour leur sadisme —plongent le pays, totalement coupĂ© de l’Occident, et fortement soumis Ă la Chine, dans un sanglant Moyen Ă‚ge. Au moment de sa parution, ce roman semblait un jeu de l’esprit, certes prĂ©monitoire, mais personne ne croyait qu’une nuit noire allait s’abattre sur la Russie aussi rapidement. Nous y sommes dĂ©sormais, ou presque…
Alors, soutenons l’Ukraine qui subit la foudre directe de l’armĂ©e russe. Soutenons sa rĂ©sistance. Soutenons son combat pour la dĂ©fense de la libertĂ©. Puisse-t-elle ne pas ĂŞtre plongĂ©e dans cette mĂŞme nuit noire. Vive l’Ukraine Â! Vive le peuple ukrainien libre !
Les articles de la rédaction