Scènes de la vie en temps de guerre

Iryna Govoroukha est une Ă©crivaine ukrainienne russophone de KyĂŻv. Depuis le dĂ©but du conflit, elle est Ă  l’écoute des rĂ©cits de de la vie en temps de guerre, qu’elle publie sur Facebook sous forme courte et prĂ©cise, oĂą chaque dĂ©tail compte. Ensemble, ces rĂ©cits forment une mosaĂŻque saisissante, Ă  l’instar des « chĹ“urs Â» dans les livres de Svetlana Alexievitch. Desk Russie en a traduit une sĂ©lection.

Une famille retourne dans un village libĂ©rĂ© de la rĂ©gion de KyĂŻv. MĂ©fiants, ils entrent dans la cour et aperçoivent un brasero, une douzaine de bouteilles vides, et du vomi sĂ©chĂ© dans l’herbe très jeune. Plus loin, leur maison a Ă©tĂ© mise Ă  sac, depuis les allumettes jusqu’aux taies d’oreiller. Tout a Ă©tĂ© volĂ© : cuillères, fourchettes, chaussures Ă  talons. MĂŞme de vieilles godasses aux semelles usĂ©es. Râpes, casse-noix, rouleaux de scotch, tout a disparu. Les toilettes ne peuvent pas ĂŞtre rĂ©parĂ©es. C’est tellement crade que plus aucune quantitĂ© d’eau de Javel ne servirait Ă  quoi que ce soit. Les traces de ceux qui y ont vĂ©cu, mangĂ©, dormi sont partout. La dĂ©couverte la plus saisissante se trouve au salon. La maĂ®tresse de maison compte 14 paires de bottines militaires, 14 slips sales et autant de « chaussettes russes1 Â», de pantalons et de chemises. Chaque pièce de la garde-robe de son mari a Ă©tĂ© emportĂ©e. Apparemment, ils se sont habillĂ©s, ont nouĂ© les cravates du propriĂ©taire, ont mis ses chaussures en cuir et sont rentrĂ©s chez eux en grande tenue.

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Dans l’appartement de mes proches amis, qui vivaient à Borodianka, les fascistes russes ont particulièrement apprécié la chambre d’enfant. Blanche, propre et ensoleillée. Il y avait un lit superposé, une petite chaise et une table. Sur une étagère trônaient des ours en peluche. Dans un coin, une collection de camions. Sur les murs, des tableaux brodés par leur grand-mère. Après le départ de ces intrus, la pièce blanche est devenue noire. Il n’y avait plus ni ours ni voitures. Un soldat a laissé son principal cadeau sur le tapis. Il s’est accroupi et a fait un énorme tas.

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Un homme a été fait prisonnier près de Tchernihiv. Les rachysty, sans doute accablés d’ennui, ont décidé de s’amuser un peu et se sont mis à organiser des simulacres d’exécution du pauvre bougre, cinq fois par jour. Ils le faisaient sortir dehors les yeux bandés, le mettaient à genoux et invitaient son fils et sa femme à assister à son supplice. Ils jouissaient du moment émouvant des adieux avant de tirer un coup de feu. Ils visaient de façon que la balle siffle à un centimètre de la tête du condamné et se loge dans le mur. Ils ramenaient ensuite le prisonnier à la grange et, une heure plus tard, ils répétaient la même torture. Encore et encore…

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Dans le quartier de Brovary, les « libĂ©rateurs Â», qui ont fait irruption dans des caves, se sont lĂ©chĂ© les babines devant l’abondance de conserves : de minuscules cornichons, de la sauce aux prunes Ă©picĂ©e et de la confiture de fraise aux pĂ©tales de rose de Chine. Le seul hic, c’est qu’on ne pouvait pas emporter de bocaux en verre dans un char, ce n’était pas pratique, alors ils ont tout cassĂ©.

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Entre les villages de Rojny et Bohdanivka, des vaches affolées courent dans les champs. Il est impossible de les attraper, ni même de s’en approcher. Des Tchernoukha, des Zorka et des Iriska2

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Chez une de mes amies, qui vit à Boutcha, les fascistes ont découpé ses faux plafonds. Maintenant, ils vont les installer chez eux, dans le village des Peigne-culs. Chez une autre amie, la télévision plasma a été fracassée. Ils ont essayé de l’enlever du mur, mais n’ont pas réussi et l’ont brisée par dépit. La propriétaire d’un salon de beauté s’est vu confisquer des ciseaux, des sèche-cheveux et même des bols pour la couleur. Dans le quartier pavillonnaire, ils ont chié dans le bac à sable des enfants, en plein dans le moulage d’un gâteau de Pâques. Après tout, chacun partage ce dont il est riche. Pour les uns, c’est le pain, l’hospitalité et l’amour. Pour les autres, des balles, des mensonges et des immondices.

PubliĂ© sur la page Facebook de l’autrice, le 9 avril 2022. , aux yeux larmoyants et aux mamelles gonflĂ©es, se dĂ©mènent sur l’herbe toute fraĂ®che, meuglent et se font exploser sur des mines russes.3

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Chez une de mes amies, qui vit à Boutcha, les fascistes ont découpé ses faux plafonds. Maintenant, ils vont les installer chez eux, dans le village des Peigne-culs. Chez une autre amie, la télévision plasma a été fracassée. Ils ont essayé de l’enlever du mur, mais n’ont pas réussi et l’ont brisée par dépit. La propriétaire d’un salon de beauté s’est vu confisquer des ciseaux, des sèche-cheveux et même des bols pour la couleur. Dans le quartier pavillonnaire, ils ont chié dans le bac à sable des enfants, en plein dans le moulage d’un gâteau de Pâques. Après tout, chacun partage ce dont il est riche. Pour les uns, c’est le pain, l’hospitalité et l’amour. Pour les autres, des balles, des mensonges et des immondices.

PubliĂ© sur la page Facebook de l’autrice, le 9 avril 2022. : Noms communĂ©ment donnĂ©s aux vaches, Ă©quivalents de Noiraude ou de Marguerite en français.

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Chez une de mes amies, qui vit à Boutcha, les fascistes ont découpé ses faux plafonds. Maintenant, ils vont les installer chez eux, dans le village des Peigne-culs. Chez une autre amie, la télévision plasma a été fracassée. Ils ont essayé de l’enlever du mur, mais n’ont pas réussi et l’ont brisée par dépit. La propriétaire d’un salon de beauté s’est vu confisquer des ciseaux, des sèche-cheveux et même des bols pour la couleur. Dans le quartier pavillonnaire, ils ont chié dans le bac à sable des enfants, en plein dans le moulage d’un gâteau de Pâques. Après tout, chacun partage ce dont il est riche. Pour les uns, c’est le pain, l’hospitalité et l’amour. Pour les autres, des balles, des mensonges et des immondices.

PubliĂ© sur la page Facebook de l’autrice, le 9 avril 2022.

govoroukha

Iryna Govoroukha est une écrivaine, journaliste et blogueuse qui vit à Kyïv et écrit en russe. Auteure de six livres de fictions, elle entre dans la dizaine de blogueurs les plus populaires en Ukraine. Depuis le début de l’invasion russe, elle collecte des témoignages et en publie des extraits sur sa page Facebook.

Notes

  1. Bandes de tissu dont on enveloppe le pied dans l’armée.
  2. Noms communément donnés aux vaches, équivalents de Noiraude ou de Marguerite en français.
  3. Noms communément donnés aux vaches, équivalents de Noiraude ou de Marguerite en français.

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