Gleb Pavlovski, l’apprenti-sorcier au blouson vert (suite)

D’autres que Vladimir Poutine ont, avec lui, conçu et construit le poutinisme. L’historienne Cécile Vaissié propose à Desk Russie un nouveau volet de son feuilleton « Ils ont fait le poutinisme ». L’un des principaux « constructeurs » du poutinisme, et de l’image publique de Poutine lui-même, est le plus célèbre « polit-technologue » de Russie, Gleb Pavlovski, dont l’itinéraire est décortiqué dans cet essai. Il a notamment travaillé avec l’administration présidentielle et Vladislav Sourkov pour faire élire le tchékiste mal connu et créer la « verticale du pouvoir », qu’il appelait de ses vœux. En voici la deuxième partie.

Un président qui ressemblerait à Stirlitz

Après le succès de la campagne présidentielle de 1996, le FEP (Fonds de la politique efficace, voir épisode précédent) continue de travailler pour « le Kremlin », ou plus exactement avec l’administration présidentielle où, dès 1996, des proches de Eltsine préparent les élections de 20001. Cette équipe inclut, d’après Gleb Pavlovski, Valentin Ioumachev, Mikhaïl Lessine, Igor Malachenko et Anatoli Tchoubaïs, à l’initiative de ce projet. Il est question non (encore) de « successeur », mais de « renforcement du pouvoir » : « Comment, après Eltsine, rétablir un pouvoir fort et raisonnable  ? »2. Justement, une sorte de tandem associe entre 1996 et 1999 le FEP et le fonds « Opinion publique » d’Alexandre Oslon « autour de la mission de créer un pouvoir fort  »3. Déjà, Pavlovski aurait défini comme l’un des buts majeurs la « verticale du pouvoir » — un concept que promouvra Poutine avant même son élection de 2000 —, si bien que, prétendra le « polit-technologue », « le poutinisme commençait », alors que Poutine n’était pas encore dans le jeu4.

Le FEP dispose de moyens accrus et occupe en 1998 quelques étages dans un immense bâtiment sur le boulevard Zoubovski, à Moscou : là où était l’APN à l’époque soviétique et où se trouve aujourd’hui l’agence de propagande poutinienne, Russia Today. Pavlovski assiste chaque vendredi à une réunion à l’administration présidentielle et, le plus souvent, Oslon et lui y présentent un point sur l’évolution de l’opinion publique au cours de la semaine écoulée. Poutine, brièvement nommé numéro deux de l’administration présidentielle en mai 1998, avant de prendre la direction du FSB, participe à certaines de ces réunions, et c’est alors que Pavlovski aurait réellement fait sa connaissance.

Ce dernier se rappellera que le nouveau premier ministre Sergueï Kirienko « avait atteint en six mois 20 % d’intentions de vote aux présidentielles » : « Cela voulait dire que, si l’on ajoutait encore 30 % par une forte campagne pré-électorale, on tenait là le président de la Russie ! » Tel est le niveau de réflexion politique. Du marketing, dépourvu de tout débat d’idées, pour lancer un président comme une lessive. Pavlovski confirmera :

« C’est ainsi que nous voyions le schéma des futures élections : le président nomme un premier ministre [présenté comme son] successeur, ce successeur attire 20-25 % de l’électorat qui aime les gens au pouvoir, et une campagne médiatique brillante lui ajoute le reste. »

Mais Evgueni Primakov, qui n’est pas « leur » candidat et est nommé premier ministre en septembre 1998, décide d’utiliser ce schéma et atteint rapidement un pourcentage important d’intentions de vote. Or, après la crise financière d’août 1998, Eltsine aurait décidé que le prochain candidat serait un « homme fort en uniforme » ou, plus exactement, un « homme en uniforme, proche de l’intelligentsia (intelligentnyï silovi) ». Ce qu’est Evgueni Primakov, dont le cas est « souvent analysé lors de séances de brain-storming ». En janvier 1999, deux modèles de candidats potentiels demeurent sur la table : un « jeune réformateur » comme Boris Nemtsov ou un « homme en uniforme, proche de l’intelligentsia »5.

Pavlovski ajoutera avoir été prêt à mener la campagne de toute personne choisie par Eltsine et ses proches. Il était convaincu de pouvoir faire élire n’importe qui, notamment en jouant sur les peurs des uns et des autres. Prêt, reconnaîtra-t-il, à pratiquement tout justifier, il aurait même proposé d’imposer une sorte d’état de guerre, donnant au gouvernement des pouvoirs dictatoriaux. Pavlovski n’est pas un démocrate. Or, au printemps 1999, un sondage montre quel héros audiovisuel les Russes voudraient voir dans le fauteuil présidentiel : Stirlitz, un agent secret soviétique, infiltré dans le haut-commandement nazi6. C’est alors, semble-t-il, que Poutine est définitivement choisi comme successeur7, parmi les vingt candidatures que Eltsine dira avoir examinées8 au cours d’une sorte de « casting » — et certains emploieront ce terme.

Alexandre Volochine, nouveau chef de l’administration présidentielle, est chargé d’écarter Primakov, et Vladislav Sourkov l’aide à convaincre la Douma de nommer Sergueï Stepachine premier ministre en mai 1999. Déjà, semble-t-il, l’administration présidentielle a demandé à Gleb Pavlovski de l’assister pour construire un nouveau parti pro-gouvernemental et concevoir une campagne qui noircirait les opposants du Kremlin. Pavlovski aurait proposé, entre autres, que Eltsine parte avant la fin de son mandat, et cette décision aussi aurait été prise au printemps 1999 : que Eltsine démissionne aurait même été « un moment fort du scénario », se souviendra Pavlovski9. Ce terme est significatif : il s’agit d’écrire des scénarios, des narratifs. Une forme de sous-littérature.

Toujours dans la narration, Pavlovski va s’appuyer sur l’image de Stirlitz pour créer celle de Poutine comme présidentiable. Ce sera d’autant plus facile que, révèle l’universitaire Karen Dawisha, Poutine avait, dès 1992, orienté un documentaire tourné sur lui par Igor Chadkhan, de façon à ce que ce film l’associe à Stirlitz : les deux agents étaient censés avoir sacrifié leur vie personnelle pour protéger la patrie10.

Faire élire Vladimir Poutine président

Poutine est donc nommé premier ministre le 9 août 1999 et sa cote dans les sondages est alors de 2 % : personne ne le connaît. Pavlovski dira ne l’avoir considéré, au début, « que comme la figure centrale du scénario » et avoir trouvé qu’il « ne semblait pas le meilleur choix pour le rôle principal »11. Là encore, c’est en scénariste que parle ce communicant. La cote de popularité du premier ministre commence à monter à partir du 9 septembre, quand un immeuble explose dans Moscou, ce qui va entraîner — c’est un choix du Kremlin — la relance de la guerre en Tchétchénie. Par ailleurs, Pavlovski multiplie les rencontres entre Poutine et des « leaders d’opinion » : depuis les entrepreneurs d’Internet, pour séduire la nouvelle génération, aux membres du PEN Club, pour convaincre les intellectuels. Du coup, dès la fin novembre 1999, tout le monde, à l’administration présidentielle, aurait été persuadé que Poutine serait élu président. Ils ont, en revanche, des doutes sur leur succès aux législatives auxquelles se présente le nouveau « parti du pouvoir », Unité (Edinstvo), créé par Sourkov avec l’aide de Pavlovski12.

Gleb Pavlovski en 2007.
Gleb Pavlovski en 2007. Photo : Dmitry Borko

Pour ces législatives du 19 décembre, Pavlovski reste fidèle à certains de ses procédés de 1996, notamment la diffamation des adversaires. Ainsi, Primakov et son allié Iouri Loujkov, le maire de Moscou, ont créé un bloc électoral La Patrie – Toute la Russie (Otetchestvo – Vsia Rossiia) dont les initiales sont OVR. Le FEP crée donc, avant les législatives, un site dont le nom OVG ressemble beaucoup à OVR et qui publie des « soupçons » sur Loujkov : celui-ci serait impliqué dans des meurtres et des affaires de corruption, et aurait des liens avec le monde du crime. Dupés, les médias se servent de ce site comme d’une source. Pavlovski a aussi l’idée de contourner la loi qui interdit d’annoncer, le jour de l’élection, les résultats des sondages effectués à la sortie des bureaux de vote, mais qui ne prévoit pas explicitement le cas d’Internet. Il crée donc un site qui publie ces résultats en temps réel, si bien que la victoire d’Unité est annoncée avant même la fermeture des bureaux, l’« hystérie de la victoire » se répandant dans le pays en quelques heures.

La cote de popularité de Poutine est déjà de 45 %.

Eltsine démissionne le 31 décembre 1999, ce qui aurait eu pour effet, selon Pavlovski, de déstabiliser les concurrents et de créer chez les Russes « le sentiment d’une « victoire avant les élections » ». Un renouvellement complet semble possible.

La campagne de Poutine aux présidentielles est menée par deux états-majors en parallèle. Officiellement, elle l’est par Dmitri Medvedev, installé depuis plusieurs mois dans le luxueux hôtel particulier Alexandre-House, rue Bolchaïa Yakimanka. Mais c’est une autre équipe qui prend les principales décisions : basée au Kremlin, elle se réunit quatre soirs par semaine. Vladislav Sourkov, numéro deux de l’administration présidentielle, participe à ces réunions, tout comme la fille de Eltsine Tatiana Diatchenko, Igor Setchine, proche collaborateur de Poutine depuis la mairie de Leningrad, Djakhan Pollyïeva, la cheffe des « plumes », et Gleb Pavlovski, désormais considéré comme « image maker du Kremlin ». D’après celui-ci, ses concepts — la « dictature de la loi » et la « verticale du pouvoir » — sont alors incorporés dans les discours de Poutine.

Pavlovski reconnaîtra avoir éprouvé à cette époque une forme de nostalgie de l’URSS, un sentiment qu’il partageait avec Poutine, notera Krastev, même si c’était pour des raisons un peu différentes. Les deux hommes ressentaient la même « indignation devant la faiblesse du pays », rêvaient d’une « revanche » et considéraient que le développement de la Russie ne pouvait se réduire à « l’imitation de l’Occident »13. Au-delà des ambitions personnelles, leurs liens sont donc aussi idéologiques.

Le 26 mars 2000, Vladimir Poutine est élu président de Russie au premier tour, avec 52,9 % des suffrages. Le film de Vitali Manski Les Témoins de Poutine montre les images de cette victoire. Ce soir-là, ils sont tous présents à l’état-major de campagne : le candidat et sa femme, Dmitri Medvedev, Vladislav Sourkov, Anatoli Tchoubaïs, Gleb Pavlovski dans son blouson vert pomme — il était alors, précise Manski, « le principal consultant politique du pays » —, Valentin Ioumachev, Mikhaïl Kassianov qui sera premier ministre pendant le premier mandat de Poutine et a depuis émigré, Mikhaïl Lessine, etc. Chacun prononce un toast, et celui de Sourkov est « pour la sacralisation du pouvoir ». Pavlovski dira en avoir été un peu gêné, même si, précisera-t-il, il partageait ce « culte du pouvoir »14. D’ailleurs, il admettra que sa campagne avait pour objectif de faire renaître chez le peuple russe « l’habitude d’adorer ses leaders nationaux », une habitude perdue depuis la fin des années 198015.

Le film de Manski montre aussi Boris Nemtsov. Celui-ci souligne à la télévision que personne ne connaît le programme de Vladimir Poutine : « On a voté avec le cœur, sans savoir ce qui nous arrivera demain. » L’homme politique sera assassiné au pied du Kremlin le 27 février 2015, alors qu’il s’opposait à la guerre contre l’Ukraine.

Le premier mandat de Vladimir Poutine (2000-2004)

Pavlovski se souviendra avoir été, après l’élection présidentielle, « une figure médiatique connue », mais aussi un modèle de réussite et « une icône de style » : les chauffeurs de taxi refusaient de le faire payer et les jeunes élites attendaient ses analyses. Il était vu — étranges comparaisons — « soit comme le Clausewitz, soit comme le James Bond du nouveau régime »16. Il demeure directeur du FEP et conseiller en marketing politique auprès de l’administration présidentielle, Sourkov supervisant l’ensemble des experts de ce genre. En 2018, l’ancien relégué estimera encore que « le début de la présidence Poutine a été excellent » : les réformes se sont multipliées — ce qui n’est pas faux —, la Russie a repris sa place au niveau mondial et les risques d’une « deuxième Yougoslavie » se sont effacés17.

Pavlovski a notamment aidé à créer la Doctrine de sécurité informative, qui, élaborée par le Conseil de sécurité sous la direction de Sergueï Ivanov, général du KGB, définit les « limitations indispensables » devant, soi-disant, être apportées à la diffusion de certaines informations. Signée par Poutine le 9 septembre 2000, elle prévoit de renforcer les médias gouvernementaux et d’accroître la participation de l’État dans la stratégie des télévisions et radios. Ce projet sera appliqué et Pavlovski justifiera même les attaques lancées contre des médias dès après l’élection :

« C’est désagréable de se le rappeler, mais, à l’époque, j’étais convaincu que Poutine était obligé de sacrifier certains membres des anciennes élites, afin de libérer le nouveau pouvoir des péchés commis dans les années 1990. Je considérais que le Kremlin avait besoin de son « XXe Congrès » : punir quelques pécheurs et marquer une séparation nette entre l’ancien État et le nouveau. »

vaissie pavlovski
Gleb Pavlovski en 2021 // Sa page Facebook

Il aurait même suggéré que cette séparation entre les deux époques soit marquée par des attaques « contre un ou deux oligarques ». Et, reconnaîtra-t-il, tout le monde comprenait que les personnes à « sacrifier » étaient « Goussinski et, après lui, Berezovski », les détenteurs des principaux médias du pays18, même si ceux de Berezovski avaient largement contribué à amener Poutine à la présidence.

Une dizaine de jours après la signature de cette doctrine, Poutine rend visite à l’écrivain Alexandre Soljenitsyne, et François Bonnet note dans Le Monde que Gleb Pavlovski, le « conseiller en image » du nouveau président, « a cadré cette belle opération de relations publiques ». Selon le « polit-technologue », « que l’un ait appartenu au KGB et l’autre ait été dissident n’est pas un obstacle, ils ne vivent pas dans le passé et ont des sujets à discuter ». En fait, les images sont terribles, douloureuses. À 82 ans, celui qui a fait prendre conscience au monde des répressions soviétiques est très diminué physiquement, amaigri, assis dans un fauteuil roulant. Avec une expression, semble-t-il, admirative, il regarde d’en bas le président debout qui, entouré de ses gardes du corps, n’en paraît que plus jeune et sportif. Poutine récupère l’image d’une réconciliation qui ne peut pourtant pas se faire sans réel débat sur le passé. D’autant que, selon des rumeurs signalées par l’ancien ministre Alfred Koch, l’écrivain aurait en fait reçu Poutine « assez sèchement » et « pratiquement refusé de parler avec lui » : « Ils ont discuté devant la caméra de thèmes généraux et c’est tout. » Et Soljenitsyne «n’aurait, dit-on, pas réagi à la proposition de rendre à son tour visite à Poutine »19.

Cette visite était une opération de propagande / communication, et les images peuvent être trompeuses. Mais Pavlovski semble clore ainsi l’une de ses boucles personnelles : il a trahi certains de ses amis face au KGB, suite à la saisie d’un exemplaire de L’Archipel du Goulag ; cette fois, c’est l’auteur de ce texte qu’il semble remettre entre les mains d’un officier du KGB.

Natalie Nougayrède a consacré à l’ancien relégué un article publié dans Le Monde du 2 décembre 2001, et son titre est éloquent : « Gleb Pavlovski, le grand manipulateur ». Elle note que le FEP a désormais ses locaux à l’Alexandre-House, un hôtel particulier luxueux où, dans l’entrée, « une plaque dorée indique, comme s’il s’agissait d’un monument historique : « Ici était situé le quartier général de la campagne électorale de Vladimir Poutine en l’an 2000. » » Pavlovski, « rondouillard », « en gros pull, des lunettes de professeur juchées sur le bout du nez », passe « pour être le grand manipulateur d’images de Vladimir Poutine, celui qui conçoit les campagnes de communication du nouveau pouvoir ». Il s’apprête à donner une série de conférences à Oxford et vient d’organiser « une sorte de forum réunissant au Kremlin des représentants de plusieurs centaines d’associations russes », dans le but de « consolider le « dialogue entre le pouvoir et la société » » :

« Car, pour Gleb Pavlovski, la société russe est en quelque sorte un matériau malléable, qu’il convient de travailler au corps afin de faire émerger « une Russie démocratique et nationale, au sens civique du terme, ce qui est la grande tâche de Poutine ». »

Déjà, la journaliste repère le problème : « La démocratie, mais pilotée d’en haut ? » Elle n’est pas dupe :

« Ce personnage décontracté, non dépourvu de charme, incarne en quelque sorte, paradoxalement, l’approche la plus froide, la plus analytique, qu’il puisse y avoir de la politique en Russie, dix ans après les grands bouleversements historiques : non pas un débat sur les valeurs à la sortie du totalitarisme, mais une technique pour « atteindre des buts ». »

Elle constate aussi qu’il « aime les théories de complot » et a utilisé des campagnes de diffamation, des « révélations scandaleuses » et des kompromats. Que la Russie « soit aujourd’hui dirigée par un tchékiste ne le dérange en rien » : « L’heure n’est pas à fouiller dans le passé, à demander des comptes. » Il rappelle même avoir « toujours été partisan […] d’établir le contact avec le KGB », et avoir considéré que « le KGB était la structure la plus informée, la plus à même d’influencer les choses ». Une autre boucle est bouclée : le KGB est au pouvoir, y compris grâce à Gleb Pavlovski qui, dès les années 1970 et 1980, négociait avec cette structure.

Les évolutions de la communication politique ne plaisent toutefois pas à tous, et Marat Guelman, qui a fait partie des créateurs du FEP, quitte celui-ci en avril 2002, en déplorant que le Kremlin soit désormais le seul acteur politique : « Les candidats lutteront pour des électeurs non plus en public, mais, par exemple, dans le bureau de Vladislav Sourkov. »20 Une autre raison pourrait aussi expliquer ce départ : un conflit avec Pavlovski suite à la campagne ratée pour les élections législatives ukrainiennes qui se sont tenues le 31 mars 2002. Car oui, le FEP travaille aussi sur des événements ukrainiens. En l’occurrence, il a collaboré avec le parti de Victor Medvedtchouk, un proche de Poutine et du KGB, mais, parce que ses partenaires ukrainiens ne suivaient pas les recommandations des Moscovites, Pavlovski a claqué la porte et c’est Guelman, installé à Kiev, qui a mené la campagne « seul, sans Gleb ». Celle-ci a été un échec, et les faibles résultats du parti de Medvedtchouk auraient irrité l’administration présidentielle russe, « principal commanditaire » de cette collaboration21.

Le deuxième mandat de Poutine (2004-2008)

De nouvelles élections législatives ont lieu en Russie à la fin de 2003, « les dernières en partie libres, mais avec déjà une télévision sous contrôle », reconnaîtra Pavlovski. Le principal objectif est de briser « la dernière force « non poutiniste » » — les communistes de Ziouganov — et de récupérer leur électorat pour Russie unie. L’objectif est atteint et, depuis, le parti communiste russe « sert les objectifs du Kremlin »22. Mais, par la suite, Pavlovski aurait regretté d’avoir contribué à détruire le PC russe, en tant que parti indépendant, et il reconnaîtra qu’il « n’y avait là pas la moindre nécessité », puisque « rien ne menaçait Poutine »23.

Celui-ci est réélu président, sans surprise, en mars 2004. Sa victoire était si certaine qu’il n’est même jamais passé au siège de son état-major pendant la campagne.

La situation n’est toutefois pas de tout repos : le mois de septembre commence avec Beslan et se poursuit avec les réformes liberticides annoncées par Poutine le 13 septembre. Trois jours plus tard, des « analystes proches du Kremlin » — dont Gleb Pavlovski, bien sûr — tiennent une conférence de presse pour répondre aux critiques formulées en Occident sur la dérive autoritaire du pouvoir russe. Aux côtés de Pavlovski, Sergueï Markov, lui-aussi proche du Kremlin, assure que « tout se passe dans le cadre de la Constitution », mais concède que « la Russie n’est pas une totale démocratie ». Le Monde constate toutefois qu’en Russie « peu de voix s’élèvent pour critiquer les mesures politiques prises par M. Poutine » et qu’une manifestation organisée à Moscou « n’a mobilisé qu’une quarantaine de personnes ».

Des Russes s’en mordront les doigts après le 24 février 2022.

À la fin de l’année 2004, Pavlovski travaille sur la présidentielle ukrainienne, à la tête d’une équipe qui inclut Sergueï Markov : ils sont chargés de faire élire Ianoukovitch face à Iouchtchenko. Par la suite, Pavlovski prétendra ne pas avoir été le conseiller de Ianoukovitch et avoir seulement été chargé de s’assurer qu’un « dogme » serait respecté : « Le soutien de Poutine est la condition d’une victoire du candidat à la présidentielle ukrainienne. »24 Or Poutine soutient Ianoukovitch. En revanche, Boris Nemtsov conseille bénévolement Iouchtchenko.

Le combat entre les deux candidats se mène au couteau. Iouchtchenko est empoisonné à la dioxine, et même Pavlovski reconnaîtra qu’après cette tentative d’empoisonnement, la peur est apparue : ce n’était plus un jeu entre « polit-technologues », mais un combat au cours duquel on pouvait tuer25. Pourtant, en pleine révolution orange, l’ancien Odessite ironise sur « la paranoïa » de Iouchtchenko qui n’a, soi-disant, qu’une « forme très grave d’herpès »26. Pendant cette campagne, Pavlovski diffuse « dans les médias russes — très suivis dans les régions orientales de l’Ukraine […] — l’image d’une opposition prête à semer le chaos dans le pays ». Dans une interview à Vladimir Soloviov, il compare même implicitement Iouchtchenko à Hitler et évoque « une idéologie assez repoussante, qui fait vraiment peur ». Il prétend également que ce qui se passe en Ukraine est une attaque de l’Occident contre la Russie et que s’y manifeste la volonté occidentale de tester des « technologies de révolution », destinées à la Russie27. Bref, Pavlovski formule, dès 2004, certains des arguments par lesquels le Kremlin, dix-huit ans plus tard, tentera de justifier son attaque militaire de l’Ukraine. Dès lors qu’importe que certains l’accusent — et aujourd’hui encore, mais sans preuves — d’avoir détourné une partie du budget attribué aux travaux de son équipe en Ukraine…

Gleb Pavlovski en 2021
Gleb Pavlovski en 2021 // Sa page Facebook

Iouchtchenko est élu, grâce au soutien de milliers d’Ukrainiens descendus dans les rues pour contester les falsifications aux élections, et Pavlovski prétendra avoir eu des désaccords avec Poutine sur cette révolution orange : « Je considérais que nous avions perdu et que nous nous étions heurtés à une révolte de l’appareil et des villes, une révolution non identifiée d’un nouveau type. Lui estimait que nous avions laissé se produire un complot américain à Kiev. » Mais l’ancien Odessite aussi aurait pensé que la Russie était la prochaine sur la liste et qu’il fallait donc « construire un bloc d’opposition aux révolutions »28. D’ailleurs, à peine rentré d’Ukraine, il se répand « dans les médias russes en mettant en garde contre un risque de contagion du scénario ukrainien », et il appelle le pouvoir à « prendre des « mesures préventives » » contre des opposants qui tentent de s’unir. Mais là-encore, note alors Le Monde, l’opinion russe reste « largement apathique aux mesures mises en œuvre par le président Poutine ».

En revanche, le président George Bush, qui rencontre Poutine à Bratislava en février 2005, se dit inquiet de l’évolution autoritaire de la Russie. Poutine se défend, mais au même moment à Moscou, son ancien premier ministre, Mikhaïl Kassianov, dénonce à son tour des violations des valeurs démocratiques en Russie. Qui monte aussitôt au créneau ? Gleb Pavlovski. Celui-ci assure, sur la chaîne publique russe Rossia, que les déclarations de M. Kassianov sont « un élément d’une manœuvre américaine visant à affaiblir M. Poutine ». C’est si pratique.

Le FEP à son apogée

Gleb Pavlovski continue de clamer « la nécessité de combattre le virus révolutionnaire par des méthodes fortes », et le FEP devient alors, écrit Zygar, « le principal think-tank » de Sourkov pour lutter contre les agitations sociales. L’ancien relégué aide notamment à créer les Nachi [mouvement de jeunesse pro-Kremlin] et il lance à ces jeunes, réunis en juillet 2005 au bord du lac Séliguer :

« La civilisation européenne est ainsi construite qu’elle a continuellement besoin d’un ennemi […]. Objectivement, les Russes sont aujourd’hui, pour l’Occident, les principaux parias, même si nous nous conduisons très bien. Les Russes sont les Juifs du XXIe siècle, et il faut en tenir compte. »29

Là encore, de tels arguments serviront beaucoup lors de l’attaque russe contre l’Ukraine. Tout comme ceux selon lesquels la Russie est entourée d’ennemis.

Entre l’automne 2005 et le printemps 2008, Pavlovski a même sa propre émission politique sur la chaîne NTV : « Politique réelle » (ou « Realpolitik »), et il y prend la parole chaque dimanche en prime time. Il est alors, selon Zygar, « le principal propagandiste à temps plein de Sourkov », ce que Pavlovski prétendra regretter. Beaucoup n’ont toutefois pas oublié, et, en août 2022, en pleine guerre, un Ukrainien le lui rappellera sur Facebook :

« Je me souviens de votre intervention à la télévision russe en 2005. Vous disiez que Poutine, c’était « la voie » (Poutine, eto pout’). J’étais alors de passage à Moscou et j’ai été très impressionné. Depuis, vous auriez dû vous taire pour toujours. Et encore plus en ce qui concerne l’Ukraine après 2004 et les activités que vous avez eues chez nous. »

Mais la lutte contre les éventuelles révolutions orange est un accélérateur de carrière, comme le constate le politologue bulgare Ivan Krastev dans une tribune en novembre 2005 : « La « perte de Kiev » a propulsé des hommes comme Gleb Pavlovski, par exemple, dans les hautes sphères où s’élabore la politique étrangère de la Russie ». Certes, « Pavlovski et ses collègues sont détestés et moqués par les cercles libéraux de Moscou », mais leurs idées « sont au cœur du consensus « post-orange » actuellement à l’œuvre en Russie ». Krastev appelle l’Occident à prendre ces hommes au sérieux :

« Ce sont des occidentalisés anti-Occident, des anciens libéraux, des anticommunistes, des impérialistes. Ils croient sincèrement aux vertus et à l’avenir d’une « démocratie dirigée », mélange subtil de répression douce et de manipulation dure. La plupart d’entre eux connaissent bien l’Occident et s’en inspirent. Leur vision de la politique est totalement élitiste : il s’agit d’une étrange combinaison de postmodernisme français, de maniérisme dissident, de coups tordus façon KGB et de cynisme post-soviétique, le tout mêlé d’efficacité très « business » et de grandiloquence russe traditionnelle. […] Ils incarnent la nouvelle génération des bâtisseurs d’empire. »

On ne saurait mieux dire.

Dans cette logique, Gleb Pavlovski crée en 2005 les éditions Evropa, avec deux de ses collègues, le « polit-technologue » Modest Kolerov et l’architecte Viatcheslav Glazytchev. Cette maison d’édition publie, en juin 2007, un ouvrage intitulé Le Plan du président Poutine, qui regroupe les huit discours annuels que celui-ci a prononcés devant l’Assemblée fédérale, avec une introduction du numéro un de Russie unie. Un autre livre, toujours en 2007, a pour titre Les Ennemis de Poutine, et ses auteurs s’y concentrent sur les sept « ennemis intérieurs » de la Russie : les trois oligarques Boris Berezovski, Vladimir Goussinski et Mikhaïl Khodorkovski, et quatre opposants politiques — Garry Kasparov, Édouard Limonov, Mikhaïl Kassianov et Andreï Illarionov. Ils seraient « des riens du tout absolus, en comparaison avec celui contre lequel ils prennent position. En comparaison avec Vladimir Poutine. »30 Pavlovski connaît pourtant personnellement la plupart d’entre eux, et parfois depuis les années 1980. Une annexe ajoute des noms aux sept précédents : Léonid Nevzline, le dissident Vladimir Boukovski, les politiciens Boris Nemtsov et Vladimir Ryjkov, le politologue Stanislav Belkovski et la journaliste Evguenia Albats.

Ce genre de livres fait renaître l’image de l’ennemi, intérieur et extérieur, divise la société, nourrit le culte de la personnalité et répand l’idée que certains se réjouiraient des échecs de la Russie. Il justifie donc implicitement les répressions politiques.

D’autres livres — des manuels d’histoire, en fait — sont lancés à partir de 2007 et font scandale, parce qu’ils réhabilitent de facto Staline en justifiant les purges. Le premier, signé par un certain Alexandre Filippov, est destiné aux enseignants et s’appelle Histoire contemporaine de la Russie. 1945-2006. Il sera rapidement décliné pour d’autres périodes du XXe siècle et d’autres publics. Alexandre Filippov a toutefois un profil spécifique : s’il a bien terminé en 1984 des études d’histoire, il a rejoint en 2001 le FEP de Gleb Pavlovski et est désormais vice-directeur d’un think tank moscovite pro-Kremlin, lié au FEP et dirigé par Nikita Ivanov : le fils du général du KGB Ivanov. En outre, sur les six auteurs que remercie Alexandre Filippov, l’un au moins, Pavel Daniline, collabore également au FEP et il est l’un des auteurs du livre Les Ennemis de Poutine et le rédacteur du site Kremlin.org. D’après de nombreuses sources, le manuel de Filippov a d’ailleurs été « commandé directement par l’administration présidentielle » russe qui aurait donné des instructions précises sur le contenu à développer. L’influence de Sourkov y est très sensible : ce manuel reprend, presque au mot près, certaines de ses déclarations publiques.

Un « opposant » après son renvoi du Kremlin ?

Toujours « ultra-poutiniste » d’après ses propres dires, Pavlovski reconnaîtra avoir été opposé, en 2008, à l’idée que Poutine quitte le pouvoir. Il n’imaginait pas, admettra-t-il, « le régime poutinien sans Poutine »31. Quand la décision est prise de faire élire Medvedev président, Pavlovski suggère encore que Poutine soit à la fois premier ministre, ministre de la Défense et ministre des Affaires étrangères. « Tous », selon lui, auraient été convaincus de ce que Viatcheslav Volodine, président de la Douma depuis 2016, formulera en 2014, puis en 2017 : « S’il n’y a pas de Poutine, il n’y a pas de Russie. »

Pavlovski aurait été étonné que Medvedev soit élu aussi facilement. Il est alors décoré pour ses « services rendus à la Patrie », mais n’aurait déjà plus été considéré par le Kremlin comme son principal « polit-technologue32 ». Il n’en reste pas moins l’un des consultants de l’administration présidentielle et — oups, une veste retournée ! — il aurait compris en 2009 que « le poutinisme, ce n’est pas simplement Poutine »33. Il repère aussi, pendant l’hiver 2010-2011, que Poutine et Medvedev ne se parlent plus. Les intrigues se multiplient et les rumeurs se répandent. Désormais, Pavlovski soutient publiquement que le retour de Poutine à la présidence serait une mauvaise idée.

La réaction ne tarde pas : le 21 avril 2011, lorsque le politologue se présente comme d’habitude à l’une des portes du Kremlin, son laisser-passer ne fonctionne plus. Le FEP est fermé en mai 2011 et ses collaborateurs renvoyés : l’administration présidentielle a rompu son contrat. Pavlovski aurait été un peu déboussolé de se retrouver brusquement sans travail. D’autant que, comme le dira Marat Guelman : « Il n’y a pas de quoi être fier. […] Dans les faits, rien n’a marché34. » Pavlovski soutiendra que ses « amis » et lui aspiraient à la « résurrection d’un grand État » : « Pas un État totalitaire, bien sûr, mais un État qui pourrait être respecté35. » La guerre contre l’Ukraine démontre, si besoin en était, que l’État russe actuel ne peut pas l’être.

Après son renvoi, Pavlovski travaille encore comme consultant, notamment pour Mikhaïl Prokhorov qui, en 2012, se présente aux élections présidentielles. Une spectaculaire et double évolution s’opère alors. Non seulement Pavlovski devient de plus en plus critique du pouvoir en place — et il sait trouver des formulations obscures pour prétendre que, même en se trompant jadis, il ne se trompait pas —, mais il est de plus en plus considéré en Russie comme un opposant. Il est donc très régulièrement interviewé sur des chaînes non-gouvernementales. Comme si le passé récent n’existait pas. Comme s’il ne comptait pas. Comme si la réputation n’existait pas « en tant qu’institution », une phrase souvent répétée en Russie. Comme si les trahisons et les compromissions successives n’avaient pas la moindre importance. Ce qui fait un peu froid dans le dos.

Certes, en mars 2014, Pavlovski critique la décision de Poutine d’intervenir militairement en Ukraine et note que le président russe a « violé d’un coup plusieurs statu quo internationaux ». Déjà, il pense que cela mènera « à la guerre, même si la guerre n’est pas dans les plans ». En effet, il comprend que l’attitude du Kremlin va inquiéter plusieurs de ses alliés, à commencer par le Kazakhstan et le Bélarus, et que la Russie vient d’annuler « tous [ses] progrès de communication et d’image des quinze dernières années ». Néanmoins, lui aussi s’élève contre les sanctions occidentales, et il appelle l’Europe à intensifier le « dialogue politique » entre dirigeants.

En novembre 2018, interviewé par Janna Nemtsova sur Deutsche Welle, Pavlovski reconnaît avoir été « politiquement amoureux de Poutine », depuis l’élection de 2000 : « Je suis devenu quelqu’un qui veut renforcer toujours plus son président vénéré. » Dans cette interview, il affirme ne pas « se repentir » d’avoir été « l’un des constructeurs du poutinisme » — alors qu’il a, semble-t-il, dit le contraire un peu plus tôt — et il estime que ce système survivra à Poutine et à plusieurs perestroïkas. L’ancien « polit-technologue » serait « dans l’ensemble satisfait », même s’il a « commis quelques très mauvaises actions », et il déplore qu’« un groupe de salopards intéressés » se soit emparé du système étatique. En effet, selon lui, Poutine « ne dirige pas le pays », mais « délègue ses pouvoirs de président à un petit groupe de personnes » :

« Quand nous disons « Poutine a fait cela », nous parlons de Setchine, des frères Kovaltchouk, de Rotenberg, du cuisinier Prigojine. Bien sûr, des dirigeants de l’administration présidentielle, Vaïno et Kirienko. Ils détruisent mon État. Que celui-ci supporte encore leur politique prouve la qualité de notre travail passé, mais il la supporte difficilement. »

L’aveuglement, réel ou simulé, reste total.

Conclusion

Pavlovski a alors multiplié les textes et les interviews, et dénoncé les erreurs d’interprétation des uns, des autres, et les siennes propres. Il se saoulait de phrases trop longues et de concepts mal définis, et prétendait expliquer les perceptions de Poutine. Mais des journalistes continuaient à l’interviewer comme s’il était particulièrement capable de comprendre et d’expliquer ce « système » qu’il avait contribué à construire et qui lui aurait échappé. Et ce n’est qu’en 2021 que son discours a présenté à nouveau un réel intérêt : en juin, dans une interview à Evguenia Albats — qu’il désignait comme « ennemie » en 2007 — il a assuré ne plus voir « de scénario qui ne se terminerait pas par une grande guerre », même si celle-ci ne serait pas la « troisième guerre mondiale ». Il n’en doutait pas : « Nous allons vers la guerre, et cette guerre éclatera avant les nouvelles élections présidentielles. »

Était-ce une intuition ? Des « tuyaux » venus d’en haut ? Un excellent flair politique conjugué à une compréhension intime des logiques du « système » ? Ou, plus pragmatiquement, une tentative d’influer sur les pays occidentaux ?

Pavlovski l’a exprimé à nouveau, à plusieurs reprises : la Russie s’enfermait dans une impasse et il y aurait une nouvelle guerre. Celle-ci, « piège mortel pour la Russie », serait dans un premier temps « indiscernable du cours des opérations spéciales ordinaires » : « Ce sera une décision de protéger quelque chose dont personne n’a besoin — soit des valeurs piétinées, soit le Donbass. » De fait, c’est ce qui s’est produit à partir de février 2022.

Pavlovski a été le seul, semble-t-il, à mettre en garde contre une guerre de grande ampleur, mais pendant des années, il avait cultivé cette image de « l’ennemi » qui, a-t-il finalement admis, a été un élément constitutif de la logique menant à la guerre.

Le 22 février 2022, il est intervenu sur la radio Ekho Moskvy et son intervention était annoncée ainsi sur les réseaux sociaux : « Préparez-vous à perdre la guerre ». L’attaque russe sur l’Ukraine a eu lieu moins de 48 heures plus tard. Le 5 avril 2022, Pavlovski a déclaré au service géorgien de RFE/RL que la décision d’envahir l’Ukraine n’avait « politiquement aucun sens » et ne pouvait avoir été prise que par Poutine : « Nous avons sous-estimé le degré de décomposition (decay) du gouvernement russe. » Se rappelant l’époque où il travaillait pour l’administration présidentielle, il exprimait certains regrets :

« Ce que je regrette, c’est d’avoir débranché mon cerveau d’analyste à cette époque et d’avoir, en un sens, fait cadeau de mon cerveau à « Kremlin, Poutine and Co » […]. Maintenant, je réalise que j’aurais dû avoir une vue plus large de la situation, que j’aurais dû reconnaître les caractéristiques du système que nous construisions. »

Le prix de cet aveuglement se compte désormais en dizaines de milliers de vies humaines.

La suite au prochain numéro…

Politologue, historienne, slaviste, professeure à l'université Rennes II, directrice du département de russe de Rennes II, chercheuse au CERCLE (Nancy II). Travaille essentiellement sur les relations pouvoir-société-culture dans la Russie des XXe et XXIe siècles, et sur les questions d'influence de 1920 à aujourd'hui. Ses derniers ouvrages : Le Clan Mikhalkov. Culture et pouvoirs en Russie (1917-2017), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2019 ; Les Réseaux du Kremlin en France, Paris, Les Petits Matins, 2016 ; La Fabrique de l’homme nouveau après Staline. Les arts et la culture dans le projet soviétique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016.

Notes

  1. EIDMAN Igor, Das System Putin. Wohin steuert das neue russische Reich?, München, Ludwig, 2016, p. 66.
  2. KRASTEV Ivan, Eksperimentalnaïa rodina. Razgovor s Glebom Pavlovskim, Moskva, Editions Evropa, 2018. Bookmate, p. 65 / 222.
  3. Ibid., p. 183 / 222.
  4. Ibid., p. 188 / 222.
  5. Ibid., p. 70-71 / 222.
  6. Voir : VAISSIÉ Cécile, « False Nazis and True Chekists, Treacherous Allies and Close Enemies: The Soviet Series Seventeen Moments of Spring », MAGUIRE Lori (dir), The Cold War and Entertainment Television, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2016, p. 107-120.
  7. De fait, cela confirme ce qui a été observé dans le cas de Nikita Mikhalkov. C’est vers la fin mai 1999 que celui-ci aurait compris qu’il ne serait pas candidat aux présidentielles russes. Voir : VAISSIÉ Cécile, Le Clan Mikhalkov. Culture et pouvoirs en Russie (1917-2017), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2019, chapitre 8.
  8. Film de Vitali Manski, Les Témoins de Poutine, 2018.
  9. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 68-69 / 222.
  10. DAWISHA Karen, Putin’s Kleptocracy. Who owns Russia ?, New York, etc., Simon & Schuster Paperbacks, 2014, p.203-204.
  11. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 74 / 222.
  12. Voir le clip de campagne de 1999.
  13. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 9-10/222.
  14. Ibid., p.84 / 222.
  15. DAWISHA Karen, op. cit., p. 261.
  16. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 195 / 222.
  17. Ibid., p. 84 / 222.
  18. Ibid., p. 85 / 222. BEKBOULATOVA Taisiïa, « Dissident, kotoryï stal ideologom Poutina », Meduza, 9 juillet 2018.
  19. Kokh Alfred & SVINARENKO Igor, Iachtchik vodki, Tom 3, Moskva, Eksmo, 2004, p.155.
  20. BEKBOULATOVA Taisiïa, op. cit.
  21. Ibid.
  22. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 88 / 222.
  23. BEKBOULATOVA Taisiïa, op. cit.
  24. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 200-201 / 222.
  25. ZYGAR Mikhail, Vsia Kremlevskaïa rat’. Kratkaïa istoriïa sovremennoï Rossii, Moskva, OOO Intellektual’naïa literatoura, 2016, p.114.
  26. (Interview de Gleb Pavlovskij), SOLOVIEV Vladimir, Russkaïa ruletka. Zametki na polakh noveïcheï istorii, Moskva, Eksmo, 2006, p.510-511.
  27. SOLOVIEV Vladimir, op. cit., p. 511, p. 513, p. 516.
  28. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 88-89 / 222.
  29. ZYGAR Mikhaïl, op. cit., p. 123-124.
  30. DANILIN Pavel, KRYCHTAL’ Natalia, POLJAKOV Dmitri, Vragui Poutina, Moskva, Evropa, 2007, p.11.
  31. KRASTEV Ivan, op. cit., p. 90-91 / 222.
  32. BEKBOULATOVA Taisiïa, op. cit.
  33. KRASTEV Ivan, op. cit., p.91 / 222.
  34. BEKBOULATOVA Taisiïa, op. cit.
  35. DAWISHA Karen, op. cit., p. 34.

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