Dans son récent livre Le Courage de l’Ukraine (avec la contribution d’Anne-Marie Pelletier, éditions du Cerf), le philosophe ukrainien Constantin Sigov mène une réflexion sur l’abomination de l’agression russe contre l’Ukraine et sur le régime poutinien qui, en parallèle, instaure dans son propre espace un régime de répression et de peur. L’auteur rappelle qu’à la fin du XIXe siècle, cette conjonction de violence extérieure et intérieure propre à la Russie tsariste a déjà été analysée par le grand penseur ukrainien Mikhaïl Drahomanov (1841-1895). Avec l’aimable autorisation de l’éditeur, nous publions un chapitre du livre.
« …chacun de nous étant dans l’état civil avec ses concitoyens et dans l’état de nature avec tout le reste du monde, nous n’avons prévenu les guerres particulières que pour en allumer de générales, qui sont mille fois plus terribles ; et en nous unissant à quelques hommes, nous devenons réellement les ennemis du genre humain… »
— J. J. Rousseau, « Extrait du Projet de paix perpétuelle de Monsieur l’abbé de Saint-Pierre »
Pour l’historien de la pensée, le concept de « guerre extérieure » comporte une forte ambiguïté. En fait, il implique celui de « guerre intérieure ». Mais son utilisation unilatérale ne permet pas de questionner l’articulation des deux, en particulier la manière dont le front entre « nous » et « eux » peut se déplacer à l’intérieur même du corps social.
Au XIXe siècle, la réflexion sur cette question ne pouvait s’appuyer sur l’expérience qui devait être celle du XXe siècle éprouvant le lien indissociable entre guerres mondiales « extérieures », d’une part, et génocides « intérieurs », d’autre part ; entre projet d’édification d’une civilisation prétendument universelle et transformation des conflits extérieurs en guerres « civiles » intérieures. L’idéologie d’États-nations dotés d’un territoire connut son apogée en Europe à la fin du XIXe siècle, où elle représentait la relève d’empires déclinants, austro-hongrois, russe ou ottoman. La conversion de ces formations archaïques en une série de républiques apparaissait alors comme une « fin de l’histoire » de type libéral. Cependant, la guerre des Balkans et les revendications des empires sur Constantinople ébranlèrent les espoirs qu’on avait mis dans une version « évolutive » de la formule classique de Clausewitz selon laquelle la guerre est le prolongement de la politique extérieure par d’autres moyens1. Et, si maintenant on retourne la formule, la question rebondit avec une nouvelle profondeur : comment et pourquoi la politique — non seulement extérieure mais aussi intérieure — devient-elle un prolongement de la guerre ?2
Le retour à la définition hobbesienne des rapports entre nations comme « état naturel » (et, on le sait, pour Hobbes, status naturalis est status belli) se traduit au seuil du XXe siècle par des stratégies nouvelles, pensées en termes d’« extérieur » et d’« intérieur ». La zone de confusion de ces ordres, le glissement des concepts, la disparition de limites indiscutables et, au fond, l’absence de réflexion sur les distinctions essentielles entre intérieur et extérieur — qu’elles soient politico-anthropologiques, philosophiques, théologiques ou historiques — demeure un point aveugle dans la vision des empires en voie de dégradation.
Mikhaïl Drahomanov (1841-1895), un penseur actuel
Arrêtons-nous sur une exception remarquable à cette règle générale, celle que constitue la pensée de l’historien Mikhaïl Drahomanov3. Ukrainien, exilé à Genève dans les années 1870 après avoir été banni par le pouvoir tsariste, il interroge les exigences minimales à satisfaire pour changer un pouvoir autocratique en régime constitutionnel. Il énumère ainsi :
- Le respect par la police de la sécurité de la personne et de l’inviolabilité du logement,
- La sécurité de toutes les nationalités dans la vie privée et publique (dans l’enseignement, devant les tribunaux, etc.),
- La liberté et l’égalité des droits de toutes les confessions religieuses,
- La liberté de la presse, de l’enseignement, d’assemblée et de constitution de sociétés,
- L’autonomie des communautés, des assemblées locales et des régions,
- La responsabilité de tous les fonctionnaires devant les assemblées provinciales et les tribunaux4.
Ces principes restent évidemment d’une brûlante actualité. Dans la conjoncture politique de son époque5, Drahomanov interroge longuement la posture officielle du gouvernement russe déclarant que « La question slave dans les Balkans est pour nous une question intérieure ». Dans son ouvrage au titre ironique, Les Turcs du dehors et les Turcs du dedans (Genève, 1876), il questionne l’arbitraire de la bureaucratie autocratique — ce qu’il appelle « les mœurs turques en Russie » — et les effets de cet arbitraire intérieur au niveau international. Il conclut : « Pendant tout le XIXe siècle, les méthodes turques sévissant en Russie ont été le meilleur allié du pouvoir turc à Constantinople ». Ces méthodes ont été l’allié et la justification des mœurs de l’empire ottoman, que l’on prétendait combattre. Avant comme après la défaite de Sébastopol, l’empire russe ne voulut pas admettre qu’elles contribuaient à ce que « l’existence de la Turquie et la présence du croissant sur Sainte-Sophie soient assurées pour longtemps ». Pour Drahomanov, Byzance et sa topique allaient plutôt contre le « byzantinisme », tel que l’entendait un Konstantin Léontiev (1831-1891)6. Effectivement, il invoque « l’argument constantinopolitain » dans une tout autre logique :
« Au lieu des Turcs intérieurs, installez en Russie la plus élémentaire liberté humaine et nationale et vous verrez que non seulement les Turcs extérieurs, mais toute cette magyarisation, toute cette germanisation des Slaves, toute cette polonisation des Ukrainiens etc. ne tiendront pas plus de trois jours. Je sais aussi qu’on ne peut pas battre le Turc et que, si on le bat, nous resterons quand même chez nous les esclaves d’un régime turc si nous répétons l’erreur qu’ont déjà commise de nombreuses personnes, même assez bien intentionnées et pas sottes, au moment de l’insurrection polonaise de 1863 et qui, précisément, avaient appelé la société à se mobiliser contre l’ennemi extérieur au lieu de s’assurer d’abord, ou d’exiger en même temps, que soient mises en place des institutions internes et des droits politiques qui, seuls, pouvaient promettre de porter fruit et garantir des victoires extérieures. »
Cette logique sera reprise par [le philosophe russe] Vladimir Soloviev (1853-1900), qui s’écartera de Drahomanov sur un seul point essentiel, à savoir l’espoir qu’il entretenait d’une transformation historique des règles cyniques de la politique extérieure selon les règles propres à la constitution interne de la cité (élargie à toute l’humanité) voire de la famille. L’expérience de l’insurrection polonaise de 1863 apprit à Drahomanov à se méfier des programmes fondés sur la métaphore de la « famille des peuples ». On ne peut prétendre libérer les autres sans commencer par accorder un minimum de liberté à ses propres citoyens. Tant que règne un ordre inhumain au sein d’une société, toutes les prétentions de celle-ci à améliorer la situation des autres porteront la marque d’une fausseté irrémédiable. Ainsi :
« Rien ne sert de s’étourdir de sophismes du type ‘Ce n’est pas le moment, laissez-nous d’abord vaincre les ennemis extérieurs’. C’est ainsi que nous nous sommes leurrés en 1863, c’est ainsi que la France s’est leurrée sous Napoléon. Nous ne disons pas qu’il faut profiter du moment où le gouvernement a besoin du soutien de la société pour une guerre extérieure…
…Il s’agit en effet d’autre chose : la guerre même exige que l’on réexamine les relations entre toutes les parties constitutives de l’empire. La lutte pour libérer les Slaves « extérieurs » (les Serbes, les Bulgares), les débats sur les formes de leur autonomie et leurs constitutions posent inévitablement la question de « nos » Slaves à nous (les Polonais, les Ukrainiens), que nous mobilisons pour une guerre patriotique. »
Cette guerre provoque une crise profonde du projet historique, qui était fortement marqué par l’esprit européen du XIXe siècle, celui d’une Fédération slave ou encore d’États-Unis des peuples slaves. À Prague, Kyïv et Saint-Pétersbourg, les disciples de Herder ont pendant tout ce siècle nourri cette idée et ils en ont préparé la réalisation. Mais, à la différence de son équivalent transatlantique, cette « fédération » slave ne s’est pas incarnée et n’a pas trouvé son socle politique et législatif.
La tendance à penser par contraires pousse souvent les historiens à se contenter d’opposer la métropole centripète aux séparatismes centrifuges de la périphérie. Cette optique binaire écarte — ou inverse à sa façon — une troisième tendance de type fédéraliste. Celle-ci a existé, mais elle a été marginalisée, repoussée à l’arrière-plan de l’Histoire par les deux idéologies dominantes du XXe siècle, le néo-impérialisme et le nationalisme. Dans l’Europe centrale et orientale du XIXe siècle, cette troisième tendance s’est montrée fragile et confuse même dans ses meilleurs jours. Comment pouvait-elle en effet passer du petit matin romantique et littéraire de la « réciprocité et de la solidarité slaves » au plein jour national et politique ?
La tribalisation de la lutte contre l’Injustice et l’affrontement des messianismes polonais et russe finirent par réduire l’arbre du panslavisme à un faisceau « d’ethnocentrismes » hostiles. Entre Scylla de l’inertie impériale et Charybde de la réaction ethnique, les partisans des idées fédérales de Palacki, Bakounine, Herzen et Kostomarov ont eu bien du mal à se faire entendre. Pour remédier à la confusion des langues slaves et à leur Tour de Babel, Drahomanov vit dans son nom de famille une vocation (dérivé du turc : le traducteur d’une ambassade) et systématisa ses intuitions fédératives en une constitution.7
En règle générale, le passage graduel d’une forme de vie commune à une politeia (terme aristotélicien que reprend Rousseau) radicalement différente ne se fait pas sans heurts. Encore moins indolore était l’abandon d’un empire absolu pour une fédération démocratique. Pourtant on pouvait au moins y voir, non pas une aporie, mais un chemin, une dynamique possible. La tragédie de l’Europe orientale et ses cycles de conflits et de violence ont été marqués par une transformation de la guerre, par une modification qualitative de ses formes et de la manière de la conduire.
Nouvelles formes de guerre
À l’époque moderne, la logique classique des guerres territoriales, où le succès et la puissance se mesuraient à l’étendue des espaces conquis sur autrui, a fait place à l’introduction de formes nouvelles de guerre : économiques et révolutionnaires. Montesquieu déjà, dans des passages bien connus de son Esprit des lois, s’était penché sur les paradoxes des guerres « invisibles » impliquant des banques et des ports de commerce. Puis Tocqueville, dans L’Ancien régime et la Révolution, avait vu la spécificité de l’épidémie révolutionnaire dans son absence de territoire propre, l’universalisme des révolutionnaires reprenant celui des chefs des guerres religieuses. De fait, à la charnière des XIXe et XXe siècles, les combats révolutionnaires ont donné naissance à un type de guerre inédit. Certes, on ne trouve pas le concept de « guerre intérieure » chez Drahomanov, Soloviev ou leurs contemporains occidentaux8. Mais la question n’est pas affaire de concept. Elle concerne avant tout le cadre de description et d’analyse d’une « guerre à l’envers » sans précédent, où le flou et la confusion du phénomène même brouillent l’idée qu’on pourrait s’en faire, empêchent toute compréhension et constituent de la sorte une des caractéristiques fondamentales de son impensabilité.9
Le surgissement d’un nouvel âge, où allaient sévir des « guerres d’idées et de principes » a été anticipé non seulement dans les fameuses pages de Nietzsche sur le futur XXe siècle, mais aussi dans les observations oubliées de Drahomanov sur le cours des événements militaires à la fin du progrès que fut le XIXe siècle. Ainsi :
« Si quelqu’un doutait encore que dans la péninsule des Balkans la Russie a du mal à mener une guerre seulement en tant que guerre et non une guerre pour des principes clairement énoncés tels que liberté nationale, politique ou sociale, c’est-à-dire une guerre précisément révolutionnaire, il suffirait pour le comprendre d’accorder un minimum d’attention au rôle que l’Autriche pense jouer et qu’elle joue depuis le début du XIXe siècle s’agissant de la question d’Orient. »
La différence entre une « guerre ordinaire » et une « guerre pour des principes » n’a en ce cas rien d’une abstraction théorique. Elle renvoie à un obstacle pratique et historiquement concret sur lequel bute le cours d’une guerre déjà déclenchée. Les motifs d’une guerre sont toujours étroitement liés à « l’esprit du temps » et doivent donc alors évoluer avec lui. Le motif de la guerre confessionnelle (« contre les maudits musulmans ») doit s’associer à celui de la guerre libérale progressiste (« pour un régime constitutionnel et la libération des peuples asservis »). L’évidente hétérogénéité de ces motifs et les dissensions entre leurs tenants montrent qu’il ne reste plus de raisons claires et non équivoques pour légitimer l’attaque.
C’est pourquoi, dans son analyse, Drahomanov s’efforce essentiellement de mettre au jour la contradiction de départ qui existe entre des concepts qui prennent de plus en plus de place dans l’esprit des Européens :
« Le concept même de révolution sociale n’a aucun sens si l’on donne au mot révolution sa signification usuelle de guerre civile… La révolution, l’insurrection armée d’une minorité (la majorité n’ayant aucune raison de se soulever) est un concept qui porte sur un ensemble de rapports politiques au sein d’un Etat. Elle a à ce titre un sens plein car il suffit d’une certaine minorité pour renverser un régime politique extérieur et en mettre en place un autre, même si elle ne suffit pas toujours à le consolider.
Mais que peut faire une minorité quand il s’agit d’établir un nouveau régime d’utilisation commune des biens qui exige le libre accord d’une importante majorité de la population et, chez celle-ci, un stade de développement moral élevé ? Dans ce cas, même une faible majorité ne suffit pas. »
Ce que vaut une « minorité armée », Drahomanov a pu le comprendre de l’intérieur pendant ses années d’émigration politique. Il s’est trouvé à cette occasion dans un milieu d’activistes qui, comme dans un miroir, opposaient à la « centralisation » de l’Ancien Régime le centralisme militant de groupes terroristes10. Il consacre ainsi à la critique de la structure centraliste de la psychologie et de la pratique clandestines plusieurs études auxquelles ont bien dû prêter attention des révolutionnaires comme Jeliabov et Plekhanov. Par la suite, du reste, Lénine « interdira » aux membres de son parti de lire Drahomanov, dont la critique avait définitivement invalidé la conception marxiste du principe de « centralisme démocratique ». Lénine pouvait-il considérer autrement ce savant respectueux de la loi, qui disait que, dans la situation actuelle,
« … un accord entre les libéraux issus des milieux de gros propriétaires ou des professions libérales et les socialistes sera en Russie impossible tant que ces derniers insisteront sur une application plus ou moins directe de l’idéal communiste et que, s’affichant comme sociaux-révolutionnaires, ils auront pour idéal avoué de réaliser immédiatement cet idéal par la voie d’une guerre civile. » ?
Comment résister à la violence d’un État autoritaire ?
L’envers de la « guerre extérieure » apparut avec une clarté accrue quand, après la guerre russo-turque, se multiplièrent à l’intérieur de la Russie les attentats politiques et les attaques terroristes — prodromes du léninisme — jusqu’à aboutir à la proclamation de la loi martiale. L’agression politique visait désormais l’intérieur même du pays et l’on peut suivre l’analyse de cette évolution à travers plusieurs articles de Drahomanov intitulés « Terrorisme et liberté », « Qu’il y ait des marais, les diables y viendront », ou encore « Une cause propre exige des moyens propres », etc. La guerre que la police secrète menait contre la société civile ne faisait que mobiliser de nouveaux « ennemis de l’ordre social ». Dans cette conjoncture, les lignes de fronts, qui se forment dans la société, en font un labyrinthe, où les lois humaines que l’on rappelait en ouverture de ces pages n’ont plus cours. En ce contexte, la parole de Drahomanov cherchant à assurer un espace à la « liberté politique » apparaît comme un drapeau blanc agité par un parlementaire pour obtenir un armistice.
On comprend que le philosophe et historien ukrainien ait été attaqué sans pitié non seulement par la presse de droite, mais aussi par celle de gauche. La « raison de Parti » comme la raison d’État jugèrent indécente une pensée étiquetée comme « hérésie constitutionaliste ». D’un côté comme de l’autre, on s’acharna à répandre la terreur et à rejeter les voies légitimes qui pouvaient permettre des transformations. Ces voies existaient-elles encore, ne fût-ce que comme possibilité ouverte ? Ou bien les pensées de Drahomanov étaient-elles déjà intempestives, en dépit de la volonté ardente de ce professeur d’histoire universelle à l’Université de Kyïv de dialoguer sérieusement avec son époque ?
On doit souligner ici combien l’imbrication des deux violences couplées de la guerre extérieure et la guerre intérieure porte un coup fatal à la paix, au mot lui-même, comme à la réalité qu’il désigne. Le vocabulaire de l’époque est de toute évidence dominé par des expressions guerrières et par le jargon militaire, à distance de la langue de la réconciliation, que même les esprits pacifiques ne savaient pas pratiquer. Ainsi Drahomanov écrit-il :
« On fait un emploi si abusif du mot sacré de ‘paix’ depuis le temps de la célèbre formule ‘l’empire c’est la paix’ (aucun discours en faveur de l’augmentation des effectifs de l’armée et des budgets militaires n’est prononcé ces derniers temps devant les parlements européens sans un panégyrique de la paix) que le simple son du mot ‘paix’ amène les pacifiques à se montrer assez circonspects ».
Le trouble qui envahit les espaces intérieurs d’un pays, d’une ville, d’une maison, d’un idiome ou d’une intelligence touche en l’homme ce qu’il a de plus fragile et vulnérable. Et ce trouble radicalise la question que pose Drahomanov, celle de savoir comment s’opposer à la tendance massive et potentiellement totalitaire de l’histoire contemporaine, qui renverse le rapport naturel des choses et tend à faire de la politique intérieure un prolongement de la politique extérieure. Et des deux, un prolongement de la guerre.
Philosophe et personnalité ukrainienne, directeur du Centre d'études des humanités européennes à l'université nationale Kiev-Académie Mohyla et des éditions Duh-i-litera (Esprit et lettre), spécialisées notamment dans la traduction vers l’ukrainien des ouvrages philosophiques et historiques occidentales. Il vient de publier Lettre de Kiev, collection Placards &Libellés 12, Editions du Cerf, 2022.
Notes
- Voir R. Aron, Penser la guerre, Paris, Gallimard, 1976.
- Pour ce qui est du rôle de la tradition allemande de Realpolitik et de l’affirmation du primat de la politique extérieure sur la politique intérieure dans le contexte des théories et doctrines politico-militaires, voir P. Hassner, La Violence et la paix. De la bombe atomique au nettoyage ethnique, Paris, Esprit, 1995, p 36-38. La lecture de cet ouvrage et les conversations avec son auteur m’ont amené à réfléchir aux symptômes de « la guerre à l’envers ».
- Né dans une famille de petite noblesse d’origine cosaque, ayant fait des études d’histoire ancienne à Kyïv, M. Drahomanov poursuit une carrière universitaire, tout en devenant le leader intellectuel de la société ukrainienne. Il est une des premières victimes des mesures de répression anti-ukrainiennes prises par le gouvernement russe. Licencié de l’université de Kyïv en 1875, il s’installe à Genève et devient porte-parole de la société Hromada en Europe de l’Ouest. Grand spécialiste des traditions slaves qu’il fait connaître à un public francophone, il compte parmi les grands folkloristes du XIXe siècle. Voir Mikhaïl Drahomanov et Lydia Drahomanova, Travaux sur le folklore slave, suivi de Légendes chrétiennes de l’Ukraine, 2015, Lisieux, Lingva. Pour apprécier l’actualité de la pensée de Drahomanov, on se reportera à l’ouvrage de Romain Yakemtchouk, L’indépendance de l’Ukraine, Bruxelles, Institut royal des relations internationales, 1993.
- Mikhaïl Drahomanov, Terrorisme et liberté (en russe), Genève, 1880, p.9.
- Cette conjoncture est tout particulièrement celle de la guerre russo-turque (1877-1878), qui oppose l’Empire ottoman à l’Empire russe, allié à la Roumanie, à la Serbie et au Monténégro. Son enjeu est à relier au « panslavisme », qui fait un devoir à la Russie de « libérer les peuples slaves méridionaux de la domination ottomane ».
- Dans les travaux de ces deux contemporains qui, intellectuellement, sont par excellence aux antipodes l’un de l’autre, on ne peut guère trouver qu’une pensée commune mais qui leur est chère à l’un comme à l’autre (elle remonte à Tocqueville) : celle selon laquelle les ambitions tribales sont l’effet et l’instrument du nivellement de l’Europe et de son uniformisation.
- Selon Piotr Struve, « de tous les publicistes russes, Drahomanov fut le premier à donner à la démocratie russe un programme politique vaste et clair. Il fut aussi le premier à expliquer en termes nets et précis à la société russe ce que signifiait le régime constitutionnel et, en particulier, le principe d’autonomie. »
- Dans les Trois Entretiens de Soloviev (1900), il apparaît cependant qu’on ne peut comprendre le génocide arménien de 1895 à l’aide des concepts anciens.
- Le rétrécissement des fondements anthropologiques de la philosophie politique à notre époque écarte de notre champ de vision l’expérience du « combat invisible ». Un livre ainsi intitulé est sorti en Russie dans les années 1890. Il s’agit d’une paraphrase libre par le moine russe Théophane le Reclus (1815-1894) d’un ouvrage italien de Lorenzo Scupoli (1530-1610). Il existe de ce dernier une version française (Le Combat spirituel). Les distinctions auxquelles procède Scupoli échappent à la langue des commentateurs de l’actuel théâtre des événements.
- Sur les stratégies du terrorisme en matière de discours, voir Lefort C. « La Terreur révolutionnaire » in Essais sur la politique, Paris, Seuil, 1986.