Créons un front de résistance contre le régime de Poutine !

Cette tribune adressée en premier lieu aux citoyens russes est écrite par l’ancien prisonnier politique Alexandre Skobov et cosignée par d’autres personnalités russes. Ses auteurs appellent les instances internationales et les citoyens russes à ne pas flancher pour combattre le régime de Poutine et à ne pas céder à des compromis. Seule la victoire totale de l’Ukraine et la défaite totale de la Russie pourraient changer la donne et débarrasser les Russes et le monde entier d’un régime extrêmement dangereux.

Le régime de Poutine a plongé la Russie dans la fange et le déshonneur. Après avoir piétiné la Constitution, les lois et les droits des citoyens, il a déclenché une guerre agressive, invasive, méprisable et criminelle. Ni l’Ukraine ni l’OTAN n’ont attaqué la Russie et n’avaient l’intention de le faire. La seule raison de cette guerre est l’obsession maniaque des dirigeants russes pour l’expansion illimitée de leur pouvoir. Ils mènent une guerre pour affirmer leur « droit » à dicter leur volonté aux autres nations.

En attaquant l’Ukraine, la kleptocratie du Kremlin a déjà tué des centaines de milliers de personnes. Il s’agit de défenseurs ukrainiens et de civils, dont plus d’un demi-millier d’enfants. Mais les Russes transformés en envahisseurs et en occupants par le Kremlin, qui ont trouvé leur fin ignominieuse en Ukraine, ont également été envoyés à la mort par le régime du Kremlin. 

Le régime de Poutine a ramené en Europe un bain de sang, une souffrance et un chagrin qu’elle n’avait pas connus depuis Hitler. Le régime de Poutine est le régime d’un nouvel Hitler. Son idéologie, que beaucoup appellent le ruscisme [ou rachisme, contraction de « russe » et de « fascisme », NDLR], est une forme d’idéologie nazie adaptée au contexte  de l’ère post-industrielle.

Cette idéologie nie la subjectivité des peuples et des nations, leur égalité, la démocratie, la primauté des droits humains et l’État de droit en tant que tels. Elle repose sur le concept purement nazi de l’exclusivité de la soi-disant « civilisation russe » et de sa supériorité sur le « monde occidental ». Le caractère purement nazi du régime de Poutine est mis en évidence par la déclaration selon laquelle les Ukrainiens sont une « sous-nation » erronée et qu’il convenait de rectifier par la force leur identité nationale et culturelle.

Comme le régime hitlérien, le régime nazi de Poutine cherche à renverser les limites légales et morales de la violence et de la cruauté développées par l’humanité, à établir la « loi de la jungle » basée sur le fait que la force permet tout. Il détruit l’ordre international qui assure la stabilité et la sécurité, replongeant le monde dans l’archaïsme et la sauvagerie. Il fait peser sur la civilisation la même menace mondiale que le régime hitlérien.

Aujourd’hui, l’Ukraine est devenue un champ de bataille mondial entre la civilisation et la barbarie, entre la liberté et la tyrannie. C’est une guerre pour un ordre mondial futur, pour un mode de vie, pour des valeurs. C’est une guerre existentielle dans laquelle d’un côté se trouvent ceux qui sont convaincus qu’il est possible d’attaquer, d’assujettir, de voler, de tuer et de démembrer leurs voisins. Et de l’autre côté, ceux qui pensent que ce n’est pas admissible, que l’on ne peut pas prendre la propriété d’autrui. Il est impossible de trouver un compromis entre eux.

Nous, citoyens de Russie, sommes en faveur d’un monde dans lequel il est impossible de prendre ce qui ne nous appartient pas. Dans lequel les individus et les peuples sont égaux et peuvent vivre sans « maîtres », qu’ils soient nationaux ou étrangers. Dans lequel ils choisissent librement leurs dirigeants, leurs amis et leurs alliés. Pour y parvenir, voici nos propositions:

  1. Rétablissement inconditionnel des frontières de l’Ukraine internationalement reconnues en 2013. Refus inconditionnel de toute volonté future de la Russie de dicter la politique étrangère, de défense et intérieure de l’Ukraine. Y compris la politique linguistique et culturelle.
  2. Indemnisation de l’Ukraine par la Russie pour les dommages qui lui ont été infligés pendant la guerre, dont le montant doit être déterminé par une conférence internationale représentative.
  3. Création d’un tribunal international pour juger les dirigeants militaires et politiques actuels de la Fédération de Russie, à commencer par Poutine, des « crimes contre la paix » perpétrés en déclenchant et en menant une guerre d’agression en Ukraine.
  4. Dénucléarisation de la Russie (élimination de son arsenal nucléaire). Le chantage nucléaire systématique exercé par de hauts représentants du régime de Poutine (y compris par Poutine lui-même) ne doit pas rester sans conséquences.
  5. Déverticalisation et désimpérialisation de la Russie. Son rétablissement en tant que confédération intégrant ses territoires constitutifs volontaires, qui conserveront le droit de se retirer de la confédération. Redistribution totale des pouvoirs de l’exécutif vers les organes représentatifs du pouvoir de l’État à tous les niveaux.

Cela ne peut être réalisé que par une défaite militaire du régime de Poutine et son renversement. Nous rejetons catégoriquement les tentatives de « geler le conflit » dans son état actuel. Cela ne fera que légitimer l’agression et l’annexion comme moyen d’atteindre des objectifs politiques et finira par enterrer l’ordre juridique international. Nous rejetons les tentatives visant à trouver une sorte de compromis avec le régime de Poutine qui tienne compte de ses « préoccupations ». Un agresseur qui a violé toutes les normes internationales et porté atteinte à l’avenir de l’humanité ne devrait rien obtenir.

Nous demandons aux dirigeants occidentaux de mettre fin à la politique consistant à « éviter l’escalade du conflit ». Cette politique ne fait que permettre à Poutine de faire chanter l’Occident dans l’espoir de le contraindre à une « capitulation géopolitique ». Tout ordre juridique international ne tient que tant que celui qui le viole reçoit une riposte collective. Tant que ses membres sont prêts à se battre pour lui.

Nous exigeons une extension de principe de l’assistance militaire à l’Ukraine allant jusqu’à la participation directe des troupes de l’OTAN à des opérations de combat. L’Ukraine doit recevoir des garanties de sécurité contraignantes dès maintenant, et non après la fin de la guerre.

Nous appelons les dirigeants occidentaux à mettre de côté leurs craintes quant à une éventuelle désintégration de la Fédération de Russie à la suite de la chute du régime. Aucune « conséquence douloureuse » ne l’emportera sur le danger de maintenir un État impérial qui reproduira l’agressivité et le revanchisme. Soit la Russie devient confédérale, démocratique et « pro-occidentale », renouant avec ses racines européennes, soit elle doit disparaître en tant qu’entité à part entière.

Nous saluerons le renversement de la dictature de Poutine, quel que soit le groupe qui procédera à ce renversement et quels que soient les moyens qu’il utilisera. Mais il ne nous suffit pas de remplacer le dictateur ou quelques-uns de ses hommes de main les plus proches. Nous sommes en faveur d’un changement radical des « élites » corrompues du régime de Poutine. Elles doivent répondre de leurs actes, ne serait-ce qu’en perdant leur richesse et leur statut. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de démanteler le système tyrannique et agressif.

Nous saluons toute forme de résistance à l’agression de Poutine. Du simple refus de soutenir publiquement le régime au refus de servir dans l’armée, en passant par la transmission de renseignements à l’Ukraine et le ralliement à l’armée ukrainienne.

Dans le contexte du bain de sang déclenché par le régime en Ukraine et de l’élimination des dernières possibilités de protestation légale en Russie, nous considérons qu’il est hypocrite de déclarer que la violence est inadmissible pour faire face à ce régime. Si nous reconnaissons inconditionnellement le droit de l’Ukraine à une réponse armée à l’agresseur, nous reconnaissons également le droit des citoyens russes à une lutte armée contre la dictature de Poutine.

Nous ne pensons cependant pas que la protestation pacifique publique contre la guerre et la dictature ait perdu son sens. Mais il n’existe pas de moyens sûrs d’exprimer son désaccord. Tous peuvent entraîner des conséquences répressives d’un type ou d’un autre. Pour faire face au mal absolu du régime de Poutine aujourd’hui, il faut être prêt à sacrifier son bien-être, sa carrière, sa liberté, voire sa vie. Pour le bien de notre monde où l’on n’a pas le droit de bombarder les théâtres, les hôpitaux, les écoles et les immeubles d’habitation. Un monde où l’on ne peut pas prendre à autrui ses possessions.

Nous n’accepterons pas que Poutine détruise ce monde qui est le nôtre. Nous nous battrons pour le reconstruire. Nous n’avons pas besoin d’un monde selon Poutine. Nous proposons aux citoyens de la Fédération de Russie qui partagent notre point de vue de se considérer comme des membres du Front de résistance anti-Poutine.

Victoire à l’Ukraine, liberté à la Russie !

Alexandre Skobov, historien et publiciste
Maxime Reznik, homme politique de Saint-Pétersbourg
Igor Iakovenko, sociologue et journaliste
Igor Eidman, sociologue et publiciste

Traduit du russe par Desk Russie

Lire l’original ici

Ancien dissident et prisonnier politique soviétique. Après sa libération en 1987, il a enseigné l’histoire à l’école et participé aux activités de diverses associations d'opposition. Homme de gauche, il est un blogueur influent et chroniqueur régulier pour les sites grani.ru et kasparov.ru.

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