Le deuxième front : comment la Russie veut saper le soutien occidental à l’Ukraine

Dans cet article, Françoise Thom montre que la Russie n’a nullement renoncé à son projet initial d’installer un gouvernement pro-russe à Kyïv. Et, pour parvenir à ce résultat, elle mène un travail de sape auprès des Ukrainiens eux-mêmes, mais aussi en infiltrant les cercles de décision occidentaux, à Washington et dans les capitales européennes. Empêcher le soutien occidental à une victoire finale de l’Ukraine et décourager les Ukrainiens de se battre jusqu’à la victoire, tels sont les objectifs russes qu’analyse et dénonce notre autrice.

À force de garder les yeux rivés sur le champ de bataille en Ukraine, nous avons tendance à oublier que la Russie continue à mener une guerre parallèle contre l’Occident, largement invisible celle-là, exactement comme en 1941-1945 Staline ne combattait pas seulement la Wehrmacht, mais préparait dès 1942 sa grande poussée vers l’Europe d’après-guerre, en infiltrant l’administration Roosevelt et en ouvrant sur le territoire soviétique des écoles où étaient formés des communistes européens destinés à devenir les noyaux des futurs gouvernements « amis » que Staline comptait installer dans les pays « libérés ».

Pour mesurer l’intensité de cette guerre souterraine menée par une armée de taupes actionnées de Moscou, il faut comprendre clairement le plan russe. Ceci permettra de jauger de l’efficacité de l’action entreprise par le Kremlin.

Premier point : la Russie n’a nullement renoncé à son projet initial d’installer un gouvernement pro-russe à Kyïv. Il ne faut pas s’imaginer qu’elle se contenterait d’un scénario à la coréenne comme ses agents d’influence le laissent entendre aux Occidentaux. Ce dont elle a besoin, c’est qu’aux yeux des Ukrainiens, les Occidentaux se rallient à ce prétendu échange « paix contre territoires » et fassent pression sur Kyïv pour forcer les Ukrainiens à se résigner à l’amputation de leur pays. 

En effet, le vrai scénario à l’esprit des dirigeants russes n’est pas le scénario coréen : pour eux un tronçon d’Ukraine intégrée à l’Occident est inacceptable. Le vrai scénario qui les inspire est le scénario géorgien de 2008-2009 :  il a consisté à attiser chez les Géorgiens l’amertume ressentie après la trahison de l’Occident, à remuer le couteau dans la plaie, de manière à les démoraliser, à les décourager, à les faire replonger dans la corruption et le cynisme caractéristiques du « monde russe » et finalement à se résigner à élire un nouveau gouvernement dont nous savons aujourd’hui que c’était un gouvernement de collaboration.

Sans créer ce sentiment de trahison de l’Occident, Moscou n’arrivera pas à installer un satrape à Kyïv. Pour le Kremlin les choses sont déjà en bonne voie. Qu’on imagine l’amertume accumulée par les Ukrainiens ces derniers mois, forcés de se laisser tailler en pièces faute d’aviation et de missiles à longue portée ; qu’on imagine la démoralisation de ce peuple, si de surcroît les Occidentaux lui interdisent de gagner la guerre, tout cela pour sauver la mise à l’autocratie russe ! On ne le répétera jamais assez : laisser la Russie amputer l’Ukraine revient à créer les conditions d’un putsch pro-russe camouflé (ou non) à Kyïv.

L’instrument des « canaux secrets »

Le plan est donc clair. Voyons maintenant les moyens employés pour y parvenir. Les précédents historiques sont éclairants, surtout celui de la Grande Alliance de 1941-1945 mentionné plus haut. Comme à cette époque, c’est sur les États-Unis que se concentre l’effort russe. Le premier volet de cette politique consiste à mettre en place un « canal secret»  avec l’administration américaine. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce canal secret était assuré par le très soviétophile Harry Hopkins, l’homme de confiance du président Roosevelt. L’avantage du canal secret est qu’il permet à Moscou d’influencer directement les décideurs, en coulisse, derrière le dos des alliés, à l’abri des médias. Il permet de pousser l’interlocuteur occidental à des décisions qui sont contraires à son intérêt, ce qui saute aux yeux en cas de débat public. Il permet de distiller la désinformation conduisant à ces décisions sans qu’elle puisse être neutralisée à temps par des contre-arguments. Grâce à Hopkins qui s’était fait le relais de la propagande du Kremlin, Roosevelt abandonna à Staline la moitié de l’Europe.

Avant de passer à l’actualité, citons un deuxième exemple illustrant ce procédé bien rodé par le Kremlin. Il s’agit du canal secret mis en place entre la RFA et le Kremlin à partir de fin 1969. Du côté soviétique, le « journaliste » Viatcheslav Kevorkov servait d’intermédiaire avec Andropov. Du côté allemand son interlocuteur était Egon Bahr, un proche du chancelier Willy Brandt. Ce canal secret demeura en place sous Helmut Schmidt. Grâce à l’Ostpolitik dont Egon Bahr fut l’artisan, l’URSS put mettre en place une coexistence parasitaire avec l’Occident qui dura des années, offrit à l’économie soviétique agonisante un ballon d’oxygène et permit à Moscou de réaliser le gigantesque programme d’armement qui porte encore ses fruits aujourd’hui, puisque l’armée de Poutine se sert des arsenaux remontant à cette époque.

Le second volet de cette politique consiste à créer dans le pays cible un parti de l’appeasement qui travaille l’opinion publique et exerce une influence parallèle à celle du canal secret. Le parti de l’appeasement déployé parallèlement au canal secret en RFA permit longtemps à Poutine de réaliser ses coups de force sans compromettre le fructueux business avec l’Allemagne.

Aux États-Unis, le parti de l’appeasement a des racines bien ancrées. Il dominait l’administration Obama, au point que, on s’en souvient, le reset a été proclamé à Washington immédiatement après l’amputation de la Géorgie par la Russie de deux de ses provinces après la guerre russo-géorgienne d’août 2008. Durant toutes les années qui ont suivi, les États-Unis ont donné le spectacle de leur faiblesse et d’une incompréhension totale des objectifs et du modus operandi russes. L’annexion de la Crimée n’a pas servi de leçon, ni même l’agression russe contre l’Ukraine le 24 février.

Un article récemment paru dans Newsweek montre à quel point les illusions subsistent dans une partie de l’establishment à Washington. La CIA voit ainsi son rôle dans la guerre russo-ukrainienne : « espion principal, négociateur, fournisseur de renseignements, […] organisateur d’un réseau de relations sensibles avec l’OTAN et peut-être le plus important de tout, agence essayant de faire en sorte que les choses n’escaladent pas davantage ». L’article cite un responsable de la CIA : « Ne sous-estimez pas la priorité de l’administration Biden de protéger les Américains et de rassurer la Russie afin de la convaincre qu’elle n’a pas besoin d’escalader. La CIA est-elle sur le terrain en Ukraine ? Oui, mais ce n’est pas pour une action néfaste. » Ces propos montrent à quel point la propagande du Kremlin a été intériorisée à Washington. Roosevelt aussi pensait qu’il fallait « rassurer » Staline. La Russie envahit l’Ukraine et c’est elle qu’il faut rassurer ! Elle tremble dans ses bottes devant la résolution occidentale !

L’article de Newsweek précise qu’après certaines initiatives ukrainiennes comme le sabotage du Nordstream (l’Ukraine nie toute implication dans cette action) ou l’attaque de drones contre le Kremlin, le grand souci de la CIA est sa « responsabilité en matière de renseignement — en savoir suffisamment sur ce que les Ukrainiens prévoient, à la fois pour les influencer et pour adhérer à leur accord secret [de la CIA] avec Moscou ». Pour la suite, nous citons Newsweek textuellement : « La CIA surveillait le déploiement militaire de la Russie et en novembre 2021, trois mois avant l’invasion, Biden envoya Burns [William Burns, le chef de la CIA, ambassadeur à Moscou de 2005 à 2008] à Moscou pour avertir le Kremlin des conséquences de toute attaque. Bien que le président russe ait snobé l’émissaire de Biden en restant dans sa retraite à Sotchi sur la mer Noire, à 800 miles de là, il a accepté de parler avec Burns via un téléphone sécurisé du Kremlin. » « The meeting was highly successful », déclara par la suite un responsable de la CIA. « Même si la Russie a envahi l’Ukraine, les deux pays se sont conformés à des règles de conduite traditionnelles. L’administration Biden a promis que les États-Unis n’entreraient pas directement en guerre ni ne chercheraient à changer de régime [en Russie]. La Russie de son côté se contenterait d’attaquer l’Ukraine et agirait conformément aux directives tacites communément admises pour les opérations secrètes. “Il existe un code de la route secret”, dit un haut responsable du renseignement de défense, “même si elles ne sont pas écrites, surtout quand on n’est pas engagé dans une guerre d’anéantissement”. Cela inclut de rester dans les limites quotidiennes de l’espionnage, de ne pas franchir certaines frontières et de ne pas s’attaquer mutuellement aux dirigeants ou aux diplomates. “En général, les Russes ont respecté ces lignes rouges mondiales, même si ces lignes sont invisibles”, a déclaré le responsable. » On comprend maintenant pourquoi Poutine a choisi le terme d’« opération militaire spéciale » pour désigner la guerre d’anéantissement de la nation ukrainienne qu’il projetait de mener dans ce pays. Il s’agissait de berner non seulement les Russes, mais aussi les Américains. On comprend maintenant aussi pourquoi Poutine s’est littéralement senti pousser des ailes après cette rencontre au point d’adresser le fameux ultimatum à l’OTAN. Burns lui avait pratiquement donné carte blanche pour attaquer l’Ukraine, à condition qu’il ne s’en prenne pas à des pays de l’OTAN. Cet épisode déshonorant n’empêche pas les Américains de relancer la « back-channel diplomacy » : le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a rencontré pendant plusieurs heures en avril à New York Richard Haass, ancien diplomate et président sortant du Conseil des relations étrangères, l’expert pour l’Europe Charles Kupchan et l’expert pour la Russie Thomas Graham, tous deux anciens fonctionnaires de la Maison Blanche et du Département d’État, membres du Council on Foreign Relations. À l’ordre du jour figuraient le sort des territoires occupés « que l’Ukraine ne pourra peut-être jamais libérer » et la recherche d’une solution « qui pourrait être tolérable pour les deux parties ». « Les signes se multiplient indiquant que les États-Unis et leurs alliés souhaitent vivement que Moscou et Kyïv se dirigent vers des pourparlers de paix à l’automne après la fin de la contre-offensive en cours de l’Ukraine ».

Visiblement, l’incompréhension de la Russie persiste aux États-Unis (en Europe il en va autrement, la France et l’Allemagne ont enfin compris que les pays baltes et la Pologne avaient raison de mettre en garde contre le voisin russe. Le Moscow Times a révélé le 27 juillet que des pourparlers diplomatiques secrets sont en cours entre d’anciens hauts responsables de la sécurité nationale américaine et des membres de haut rang du Kremlin, ce qui a été confirmé par un ancien responsable américain directement impliqué dans ces échanges. Des réunions entre les États-Unis et les responsables du Kremlin auraient lieu au moins deux fois par mois, souvent via un format en ligne. Un des interlocuteurs américains de ce canal secret a retiré de ces entretiens l’impression « que le plus gros problème était que les Russes étaient incapables d’exprimer exactement ce qu’ils voulaient et ce dont ils avaient besoin. Ils ne savent pas comment définir la victoire ou la défaite. En fait, certaines des élites à qui nous avons parlé n’avaient jamais voulu la guerre et reconnaissaient que cela avait été une erreur totale […]. Mais maintenant, ils sont en guerre — subir une défaite humiliante n’est pas une option pour ces gars-là. »

De nouveau, nous nous trouvons en face de l’ignorance américaine des procédés de la diplomatie russe pourtant fort bien analysés dans les mémoires des diplomates de l’époque de Roosevelt, comme Charles Bohlen, qui avaient fini par connaître la musique. Dans ce type de sondage confidentiel, les Russes ne découvrent jamais leurs cartes, laissant parler leur adversaire, de manière à se rendre compte des concessions possibles à empocher durant une première phase, histoire d’amorcer la pompe. Bien sûr, nous trouvons d’emblée le refrain bien connu : ne pas humilier la Russie. Imagine-t-on qu’en avril 1945, la grande préoccupation des Alliés ait été de « permettre à Hitler de sauver la face », de « ne pas humilier l’Allemagne » ? Cette simple question permet de mesurer la puissance du parti de l’appeasement en Occident.

Mais il y a mieux. Poursuivons les confidences de cet interlocuteur privilégié de Moscou : « Nous avons clairement indiqué que les États-Unis étaient prêts à travailler de manière constructive sur les préoccupations de sécurité nationale russes. Une tentative d’isoler et de paralyser la Russie au point de l’humilier ou de provoquer son effondrement rendrait les négociations presque impossibles — nous le voyons déjà dans la réticence des responsables de Moscou. En fait, nous avons souligné que les États-Unis ont besoin, et continueront d’avoir besoin, d’une Russie suffisamment forte pour créer la stabilité le long de sa périphérie. Les États-Unis veulent une Russie dotée d’une autonomie stratégique afin de faire progresser les opportunités diplomatiques en Asie centrale. Aux États-Unis, nous devons reconnaître qu’une victoire totale en Europe pourrait nuire à nos intérêts dans d’autres régions du monde. La puissance russe n’est pas nécessairement une mauvaise chose».

Mesurons les avantages du « canal secret » et de la « back track diplomacy » pour Moscou. L’interlocuteur occidental choisi est forcément soit acquis à la cause russe, soit un « idiot utile », sans quoi Moscou refuserait le contact — la rencontre même est considérée comme une faveur octroyée par le Kremlin ! En face de ce personnage gonflé de son importance se trouvent des professionnels du KGB passés maîtres dans les techniques d’influence. Les négociations deviennent une fin en soi, et Moscou fixe d’emblée ses conditions à leur tenue : une capitulation explicite du « partenaire » américain, obligé de reconnaître la sphère d’influence russe dans l’espace ex-soviétique et de laisser tomber l’allié ukrainien. Mais surtout, ce type de contact est un moyen privilégié pour le Kremlin de tester l’efficacité de tels ou tels thèmes de désinformation avant de les injecter en Occident sous une dose massive.

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Charles Kupchan à la conférence annuelle du Club Valdaï en 2019 // valdaiclub.com

Les axes principaux de la désinformation russe

S’il est une leçon que les dirigeants du Kremlin ont retirée de ce qui s’est passé après le 24 février 2022, c’est que sans l’Occident et sans l’Ukraine, la Russie sombre dans l’insignifiance. Car les sanctions fonctionnent, et c’est maintenant que la chose devient apparente à l’œil nu. On assiste notamment à un délabrement croissant des transports dans leur ensemble en Russie, transports aérien, ferroviaire, routier et municipal. L’effondrement du rouble va avoir un effet boule de neige, car les Russes vont devoir débourser plus de devises pour assurer « l’importation parallèle » de l’électronique et des microprocesseurs indispensables aux missiles et autres armements. Les deux principaux objectifs de la désinformation russe sont donc les suivants : coopter le plus vite possible les Occidentaux afin qu’ils se remettent à travailler à la puissance russe ; mettre la main sur l’Ukraine pour la même raison, la faire travailler au maintien et à l’expansion de l’empire. En commettant l’incroyable sottise d’aiguiller la Russie vers un projet d’autarcie, Poutine a placé ce pays face à lui-même, il l’a obligé à reconnaître que livré à lui-même, il devient un néant, au point que même ses capacités de nuire sont compromises.

Les dirigeants russes ont maintenant pour priorité de faire basculer les États-Unis. L’Europe suivra, pensent-ils, car ils n’ont pas pris la mesure des changements profonds que la guerre contre l’Ukraine a provoqués en Europe. L’erreur de Poutine à leurs yeux est d’avoir voulu s’imposer à la fois aux États-Unis et à l’Europe. Or l’exemple des années 1943-1945 montre que Moscou ne peut étendre sa domination en Europe qu’après avoir mis Washington dans son jeu. Staline l’avait bien compris avant que le « vertige du succès » ne vienne troubler son jugement. L’idée des désinformateurs russes est donc de faire miroiter aux États-Unis un remake du condominium soviéto-américain. Pour inciter Washington à lever les sanctions et à s’atteler au plus vite à la tâche d’aider à la résurrection de la puissance russe, plusieurs arguments sont mis en avant. Le premier est bien connu et a été claironné depuis des années par tous les agents d’influence russes et leurs dupes des deux côtés de l’Atlantique. Il faut empêcher de jeter la Russie dans les bras de la Chine. Ce thème est repris au cours des échanges dans le canal secret, car les Russes savent à quel point les Américains y sont sensibles : « Au sujet de l’approfondissement des relations de la Russie avec la Chine, une rupture complète des liens entre Moscou et Pékin est irréaliste. Cependant, des efforts devraient être faits pour limiter l’étendue de cette relation », confie l’interlocuteur américain cité dans le Moscow Times.

Le chantage au chaos

Cet argument est maintenant éclipsé par un deuxième argument : si la Russie ne gagne pas en Ukraine, le régime de Poutine va s’effondrer et il y aura le chaos dont nous avons déjà un avant-goût avec la marche sur Moscou de Prigojine. Et en cas de dissolution de la Fédération russe, qu’arrivera-t-il aux nombreuses armes nucléaires stockées sur le territoire de la Russie ? Ce thème avait déjà admirablement fonctionné en 1991, lorsque les Occidentaux, par crainte du chaos, avaient tout fait pour tenir la tête de Gorbatchev hors de l’eau et dissuader les nations de l’URSS de proclamer leur indépendance. Mais là encore, la ficelle est beaucoup plus ancienne. Lors de son premier entretien avec l’ambassadeur de France Joseph Noulens le 18 décembre 1917, Trotski a un argument massue pour intéresser la France à la survie du régime bolchevik : « Dans tous les cas, si nous succombons, la Russie est vouée à l’anar­chie pour dix ans, et ce sont les Allemands qui en devien­dront les maîtres »1. En même temps, les bolcheviks persuadaient les Allemands qu’ils avaient intérêt à soutenir le régime de Lénine, faute de quoi les pays de l’Entente profiteraient du chaos russe pour installer au pouvoir un général Blanc qui leur serait favorable ! Aujourd’hui, on l’a vu, c’est la menace d’une alliance sino-russe qu’ils brandissent. 

Ainsi, dès les premiers jours du régime bolchevik les dirigeants du Kremlin ont magistralement su utiliser le chaos russe comme instrument de manipulation des Occidentaux. En mars 1953, au lieu de se réjouir à la mort de Staline, les diplomates occidentaux sont pris de panique… à l’idée de la disparition de l’homme fort. L’ambassadeur de France Louis Joxe écrit dans une dépêche datée du 4 mars 1953 : « Dans la mesure où seul un homme fort était capable d’imposer la modération et même d’accepter certains reculs, dans la mesure où le petit groupe d’hommes qui va prendre le pouvoir aura besoin de s’affirmer, on peut admettre que la situation créée par la disparition de Staline laisse entrevoir des temps difficiles »2. Le chef du Foreign Office Anthony Eden n’était pas moins inquiet, estimant comme bien d’autres que Staline exerçait une influence pondératrice qui manquera à ses successeurs3. Le président Eisenhower se disait convaincu par son « expérience personnelle » que si Staline avait eu les coudées franches après la guerre « la Russie aurait cherché à avoir des relations plus paisibles et plus normales avec le monde »4. La CIA estimait qu’« il serait dangereux de tenir pour acquis que les successeurs de Staline auront sa prudence, son respect pour le potentiel de puissance des États-Unis ou son contrôle sur tous les agents de l’URSS »5. Tous ces précédents devraient nous faire réfléchir à deux fois avant d’accepter comme allant de soi les allégations sur les périls entraînés par la  disparition de l’homme fort en Russie.

Ces derniers temps le thème de l’effondrement apocalyptique de la Russie en cas de défaite militaire est devenu le lieu commun obligatoire de presque tous les experts, Russes de l’establishment, Russes de la diaspora théoriquement anti-Poutine, observateurs occidentaux ayant une propension à se laisser influencer par les analyses russes, même quand ils sont critiques de la politique de Poutine. La diaspora russe est particulièrement mobilisée. Ainsi Tatiana Stanovaya, experte du Fond Carnegie, écrit dans Foreign Affairs : « La mutinerie de Prigojine a poussé la situation à l’extrême et pourrait ouvrir la voie à l’émergence d’un État plus radicalisé, belliciste et impitoyable. … L’ordre que Poutine a construit deviendra plus désordonné, et le monde devra faire face à une Russie plus dangereuse et imprévisible. » L’éditorialiste influent David Ignatius lui fait écho : « Dans leur désorientation, les Russes recherchent l’ordre et la victoire. Selon des sondages confidentiels cités par Stanovaya, les Russes soutiennent Poutine plus fortement qu’avant la guerre, ils sont plus en colère contre l’Occident et ils expriment un soutien fort à leurs troupes. Le désarroi interne de la Russie pose un grave dilemme à Poutine, mais il est également très dangereux pour l’Occident. »6 Ainsi la Russie nous menace à la fois par son autocratie et par son chaos, et la solution qui s’impose pour éviter ces scénarios apocalyptiques, c’est de lui livrer en pâture l’Ukraine. On remarquera l’utilisation faite des prétendus sondages en Russie qui, confidentiels ou non, sont uniquement indicateurs de la volonté du Kremlin. Celui-ci est passé maître dans la manipulation de la sociologie comme outil d’influence des Occidentaux.

Avant de passer au deuxième volet de la guerre psychologique menée par le Kremlin, faisons justice à cette phobie du chaos russe en Occident, totalement irrationnelle. La désintégration de la Russie dont on nous rebat les oreilles a très peu de chances de se produire (la seule région qui risque d’être déstabilisée est le Caucase du Nord). La population russe a atteint un tel degré d’inertie et de fatalisme qu’on la voit mal se lancer dans une guerre civile. Il suffit de voir comment les mobilisés se laissent docilement mener à l’abattoir dans une guerre absurde. En cas de disparition de Poutine, on peut s’attendre à une guerre des gangs, « une grande redistribution criminelle de la propriété », comme le dit l’économiste Igor Lipsits. On peut prévoir un effondrement de l’ordre public, avec tous les taulards relâchés dans la nature par Prigojine et la chute des effectifs de la police. Mais la marche de Prigojine sur Moscou doit être correctement interprétée. Elle montre que, contrairement à ce qu’on nous chante sur tous les tons, sondages bidons à l’appui, la guerre n’a pas incité les Russes à faire bloc autour de Poutine. En cas de crise au sommet, Poutine serait abandonné de tous, y compris des siloviki, exactement comme Nicolas II l’a été en mars 1917. Elle montre surtout que les Russes, déçus de Poutine, sont déjà en quête d’un nouvel homme fort, et nombre d’entre eux étaient prêts à suivre Prigojine — comme dans la belle fable de La Fontaine Les Grenouilles qui demandent un roi :

« Celui qu’elles croyaient être un géant nouveau.
Or c’était un soliveau […].
Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue. » 

De semblables dispositions rendent la guerre civile improbable. Dès que les élites se seront mises d’accord sur un nouveau chef, les Russes, rompus à la servitude par 74 ans de soviétisme et 23 ans de poutinisme, se mettront au garde-à-vous devant lui.

Mais il n’y a aucune raison pour que les Occidentaux favorisent cette résurgence de l’autocratie russe sous prétexte de « stabilité ». L’expérience du poutinisme doit nous avoir appris que rien n’est plus dangereux qu’un autocrate incontrôlé disposant d’armes nucléaires. La Russie a été chaotique de 1917 à 1919. Elle était trop occupée à installer la dictature sur son territoire pour nuire sérieusement en Occident. Mais dès qu’au printemps 1920 les bolcheviks eurent triomphé des armées blanches et assis leur tyrannie dans le pays, nous trouvons l’armée rouge aux portes de Varsovie, et Lénine occupé à déstabiliser l’Europe centrale et l’Allemagne.

En cas de chaos en Russie, la meilleure politique est celle du cordon sanitaire, préconisée par Clemenceau le 11 décembre 1919, lorsque l’échec des armées blanches est patent : « entourer la Russie de fils de fer barbelés » afin de l’empêcher de nuire à l’extérieur, « et attendre »7. En janvier 1918, le diplomate français Louis de Robien était d’avis que l’ordre serait rétabli en Russie « par l’étranger puisqu’il est démontré que les Russes ne savent que détruire »8. Les mois qui suivirent convainquirent les Occidentaux que mieux valait ne pas se mêler des affaires russes faute de trouver des partenaires fiables et capables.

Cette leçon est toujours d’actualité. Le meilleur moyen de remédier à la « paranoïa anti-occidentale qui est depuis longtemps la tentation des dirigeants russes » (dixit Sarkozy) n’est pas de céder en toutes choses au Kremlin comme le laisse entendre Sarkozy dans sa récente interview au Figaro, florilège des topoi de la désinformation russe. C’est de laisser la Russie cuire dans son jus en l’empêchant de nuire à l’extérieur de ses frontières. Isoler le malade et le mettre à la diète est souvent la meilleure thérapie. Profitons de ce que Poutine a fait le travail pour nous. Au lieu d’autoriser le Kremlin à projeter la peur à l’étranger en brandissant la menace nucléaire, améliorons nos défenses antimissiles. Et si vraiment le chaos règne en Russie au point que le risque de prolifération nucléaire incontrôlée devient réel, il est plus rationnel de réfléchir à des moyens, militaires et autres, de sécuriser les sites nucléaires que de chercher à recréer un pouvoir fort à Moscou qui se servira à nouveau de l’arme nucléaire comme instrument d’intimidation.

Le chantage au chaos est orchestré pour que les Occidentaux interdisent aux Ukrainiens de vaincre la Russie. Ce thème est renforcé par celui d’une prétendue dangereuse réaction nationaliste en Russie, si les troupes russes sont obligées de quitter les territoires ukrainiens occupés. Là encore, les précédents historiques disent autre chose. Le retrait des troupes d’Afghanistan en 1989 a été accueilli en Russie avec soulagement, de même que la paix de compromis avec la Tchétchénie en 1996. On peut penser qu’il en irait de même en cas d’évacuation par la Russie des régions occupées en Ukraine.

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L’ambassadeur Burns avec Poutine et Lavrov à Moscou en 2008 // kremlin.ru

La démoralisation de l’Ukraine

Aujourd’hui les hommes du Kremlin nourrissent toujours l’espoir de pouvoir réaliser leurs objectifs initiaux en Ukraine. La guerre d’attrition menée par Moscou est un Katyń au ralenti, poursuivant le même but que l’exécution des officiers polonais au printemps 1940 : détruire les cadres de la Pologne (aujourd’hui de l’Ukraine) indépendante. Les dirigeants russes pensent avoir réussi à convaincre les Occidentaux d’empêcher la victoire de l’Ukraine. Alors qu’ils n’en menaient pas large au printemps, la divine surprise a été pour eux le fait que les Occidentaux se soient abstenus de fournir à Kyïv des armements en nombre suffisant pour assurer la victoire à l’armée ukrainienne lors de leur contre-offensive d’été. Le moment est donc venu à leurs yeux d’exploiter à fond l’amertume bien compréhensible des Ukrainiens obligés de se battre les pieds et les poings liés contre un adversaire auquel les Occidentaux ont accordé le monopole de l’escalade, et de passer à la deuxième phase de leur guerre psychologique, attiser en Ukraine le sentiment d’une trahison du « partenaire » occidental pour paver la voie à une crise politique qui aura pour résultat de catapulter au pouvoir à Kyïv des prorusses camouflés.

Nous avons évoqué les publications montant en épingle les soi-disant pourparlers secrets entre des émissaires américains et des Russes. La convergence entre ces « fuites » et une multitude d’articles parus dans la presse américaine répétant à l’envi que les Ukrainiens n’arriveront pas à reconquérir les territoires occupés ressemble fort à une entreprise orchestrée conjointement par le parti de l’appeasement et les réseaux kremlinophiles mobilisés en Occident. Le professeur Valeri Soloveï, dont les vidéos sur YouTube sont très suivies en Ukraine, a sa place dans ce dispositif. Depuis des années, Soloveï peut se permettre impunément des critiques de Poutine cent fois plus dévastatrices que celles de Navalny. Il remplit donc une fonction importante dans l’establishment russe. Il répand depuis 2019 au moins la thèse que Poutine a un pied dans la tombe, et qu’une équipe de gens très bien, tchékistes et technocrates, dont lui-même, va lui succéder : conclusion, les concessions faites à Moscou ne tireront pas à conséquence, puisqu’on va vers une imminente dépoutinisation.

Ces derniers temps, son rôle trouble devient plus évident : manifestement, il doit accréditer en Ukraine la thèse que les Ukrainiens vont être lâchés par les Américains au profit de l’ancienne relation russo-américaine confortable existant pendant la guerre froide. Soloveï martèle que les contacts entre Russes et Américains se multiplient, les interlocuteurs du côté russe étant entre autres Patrouchev, Tchemezov et Abramovitch. Selon lui, l‘Occident ne demandera pas mieux que de s’entendre avec une coalition de siloviki et de technocrates, pourvu que n’y figurent pas des personnalités mouillées dans la guerre russo-ukrainienne. Celles-ci devront se contenter de rester dans les coulisses. La Russie mettra pour condition au paiement des réparations à l’Ukraine la levée des sanctions. « Si les espoirs exagérés mis sur la contre-offensive ukrainienne sont déçus, l’Occident fera pression sur Kyïv pour des négociations de paix ».

À l’appui de sa thèse, Soloveï affirme que les Américains qui, en septembre 2022, étaient résolus à infliger une défaite militaire retentissante à la Russie, ont changé de politique dès novembre, ce qui apparut clairement au moment de la chute d’un missile sur le territoire polonais. « Si les Américains avaient immédiatement convoqué une réunion de l’OTAN pour discuter de la mise en œuvre de l’article 5, je peux vous assurer que les opérations militaires [russes] auraient pris fin immédiatement et que le président Poutine aurait été chassé de son poste. Il aurait suffi que l’OTAN manifeste l’intention de prendre au sérieux cet incident. […] Ainsi, pour la première fois, les Américains ont clairement montré qu’ils avaient renoncé à infliger une défaite stratégique à la Russie. La suite n’a fait que confirmer aux yeux des dirigeants russes que les Américains étaient beaucoup plus hésitants qu’ils ne l’avaient pensé en septembre. » Il devient clair, poursuit Soloveï, que les Américains sont passés à « une politique d’endiguement de la Russie et qu’ils souhaitent une paix qui ménage le Kremlin »

Ainsi, ils refilent aux Ukrainiens de vieux armements et les systèmes efficaces comme les Himars ne sont accordés qu’au compte-goutte. « Si ces systèmes high tech avaient été accordés en plus grande quantité, l’offensive ukrainienne d’été aurait été beaucoup plus efficace, même sans la supériorité aérienne ». Les Américains ont eu peur du chaos russe. Ils ont peur « de jeter la Russie dans les bras de Pékin », alors que la Russie, précise Soloveï, « peut devenir le partenaire stratégique, voire l’alliée des États-Unis, plus tôt qu’on ne le pense ». En outre, continue Soloveï, distillant son venin goutte à goutte, les Américains, en dépit de la rhétorique pro-ukrainienne, ne font pas la différence entre les Russes et les Ukrainiens : ce sont à leurs yeux des barbares qui s’étripent en marge du monde civilisé. Quant aux pays européens, « une partie d’entre eux ne veut en aucun cas que l’Ukraine soit victorieuse ». Ce sont les pays de la « vieille Europe » peu désireux de voir le poids de la « nouvelle Europe » renforcé par l’Ukraine. Les Ukrainiens ont eu tort de croire à l’aide militaire massive de l’Occident. Ils ne pourront pas arracher la victoire. « L’Ukraine s’épuisera démographiquement plus vite que la Russie ». Et Soloveï d’enfoncer le clou : « Les Occidentaux ne croient pas au succès de la contre-offensive ukrainienne ». Bien mieux, « l’Occident n’a nullement l’intention de démonter le régime de Poutine […] pour lui, l’essentiel est qu’il n’y ait pas de chaos en Russie et que l’arme nucléaire se trouve sous le contrôle du pouvoir central […]. L’Occident n’est intéressé que par la stabilité et n’aura affaire qu’à ceux qui lui semblent capables d’empêcher le chaos. » L’objectif de Washington serait donc d’affaiblir le régime russe tout en le maintenant en place. Et ce seraient les Ukrainiens que les Américains ont cyniquement chargé de tirer les marrons du feu.

À la télévision russe, on constate des notes nouvelles, qui rendent encore plus patente la participation de Soloveï à la machine de propagande du Kremlin, Soloveï jouant sur un registre plus insidieux. Alors qu’auparavant les Soloviov / Skabeeva glapissaient que les Occidentaux ne refusaient rien à l’Ukraine, le colonel Khodarionok vient de souligner à l’antenne que sur les 500 Himars produits par les États-Unis une vingtaine [en réalité 34] seulement avaient été livrés à l’Ukraine. Sur les 700 lance-roquettes multiples M-270 dont disposent les pays de l’OTAN, 15 ont été fournis à l’Ukraine. Les Américains ont 500 chars Abrams et n’en ont pas livré un seul à l’Ukraine. Ils ont annoncé leur intention d’en livrer 7 à l’automne, et encore, une version obsolète, précise Khodarionok avec délectation en feignant de compatir avec les Ukrainiens. « Les Ukrainiens dépendent totalement de ces livraisons des pays occidentaux. Si ces livraisons s’arrêtent la guerre prendra fin. »

L’un des objectifs des fuites systématiques concernant les canaux secrets, on l’a vu, est de persuader les Ukrainiens que les Américains vont s’entendre avec les Russes dans leur dos, comme Staline et Roosevelt l’avaient fait pour les Polonais. Le chef du Service russe de renseignement extérieur, Sergueï Narychkine, vient de confirmer que des consultations « rares, mais régulières » se poursuivent entre le SVR et la CIA. Les chefs de ces services de renseignement « réfléchissaient ensemble et discutaient de ce qu’il fallait faire avec l’Ukraine ». Narychkine laisse également entendre qu’« une fois que la Russie aura atteint les objectifs de l’opération militaire spéciale » en Ukraine, les Américains reviendront au business as usual — exactement comme Soloveï aime à répéter que les Européens se bousculeront pour revenir sur le marché russe dès que la question ukrainienne sera réglée. 

Le deuxième volet du dispositif consiste à faire la démonstration de la puissance du lobby prorusse et du parti des appeasers occidentaux mobilisé par le Kremlin à cette fin. D’où un feu roulant de publications et d’interviews dans les médias occidentaux. Des sources anonymes font état de désaccords entre les militaires américains et le commandement ukrainien. On nous apprend que les responsables du renseignement américain ne croient plus à la victoire de la contre-offensive ukrainienne. Stian Jenssen, le directeur du cabinet du secrétaire général de l’OTAN, laisse entendre que l’Ukraine pourrait rejoindre l’Alliance si elle abandonne des territoires à la Russie. Sarkozy propose d’organiser un nouveau référendum « incontestable, c’est-à-dire organisé sous le contrôle strict de la communauté internationale » en Crimée, reprenant une initiative formulée le 11 juin par Margarita Simonian, la voix du Kremlin : référendum qui serait aussi crédible que les élections organisées en 1946 par Staline dans les futures démocraties populaires, les résultats voulus par le pouvoir étant obtenus par les mêmes méthodes : répressions systématiques des opposants, régime de terreur, déportations, matraquage de propagande, corruption etc. Dans ce registre, la palme revient toutefois au pape François, qui n’a rien trouvé de mieux que d’encenser l’impérialisme russe devant les jeunes croyants de Saint-Pétersbourg : « Vous êtes les héritiers de la grande Mère Russie, allez de l’avant avec cela ».

Tel est le gigantesque dispositif déployé par la machine de guerre psychologique existant en Russie. Occidentaux et Ukrainiens doivent en être conscients. Une fois que les objectifs et le modus operandi du Kremlin seront compris, la partie peut être gagnée. Sur le champ de bataille aussi.

francoise thom

Études de lettres classiques, a séjourné 4 ans en URSS en 1973-8, agrégée de russe, a enseigné l'histoire de l'URSS et les relations internationales à Paris Sorbonne.

Notes

  1. Cité in : Joseph Noulens,  Mon ambassade en Russie soviétique, Plon 1933, t.1, p. 176.
  2. MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 7.
  3. MAE Europe 1944-1960, sous-série URSS, 114, f. 11.
  4. K. Larres, K. Osgood (éd), The Cold War after Stalin’s death, Rowman & Littlefield, 2006, p. 80.
  5. P. Grose, Gentleman Spy, London 1995, p. 351.
  6. Cf. David Ignatius, « Putin chokes on the Ukrainian ‘porcupine’ », Washington Post, 8 Aug 2023.
  7. George A. Brinkley, Allied Intervention in South Russia, University of Notre Dame Press, 1966, p. 209.
  8. Louis de Robien, Journal d’un diplomate en Russie, Vuibert 2017, p. 256.

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