Jaroslava Josypyszyn (1943-2023) : une flamme de l’ukrainité

Hommage à Jaroslava Josypyszyn, grande connaisseuse et défenseuse de l’histoire et de la culture ukrainiennes.

À l’heure où l’Ukraine se bat pour sa liberté, depuis près de vingt mois, à l’heure où l’agresseur russe nie l’existence même de la nation ukrainienne, l’on ressent avec une acuité particulière le décès de ceux qui portaient la vérité sur l’Ukraine, son histoire et sa culture en Occident. Tel était le destin de Jaroslava Josypyszyn, l’un des piliers de la diaspora ukrainienne en France, décédée le 5 octobre 2023.  

Jaroslava était née en 1943 dans une famille de réfugiés politiques ukrainiens. Son père Petro était un ancien militaire qui avait servi dans l’armée de Symon Petlioura, le commandant suprême de l’Armée populaire ukrainienne et le troisième président de la République populaire ukrainienne (1917-1920). À Paris, son père avait été directeur de la Bibliothèque Petlioura, fondée en 1926, après l’assassinat de Symon Petlioura par un agent soviétique.

En grande partie, la vie de Jaroslava a été consacrée aux études ukrainiennes. En 1981, elle a soutenu une thèse de doctorat sur « Les terres ukrainiennes occidentales entre les deux guerres mondiales dans les relations internationales ». Elle a notamment enseigné à l’université libre ukrainienne de Munich et a été professeure invitée à la Sorbonne.

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Photo : Alla Lazareva

Dès son départ à la retraite, en 1998, et jusqu’à sa mort, Jaroslava a dirigé la Bibliothèque Petlioura à Paris, un haut lieu de la culture ukrainienne qui a eu une histoire mouvementée. Pillée par les nazis en 1941, une partie de ses trésors s’est retrouvée en URSS, à la suite de l’occupation soviétique de l’Allemagne et n’a jamais été restituée. Les efforts de Jaroslava ont permis de conserver des milliers de publications d’une valeur inestimable. Nombre d’entre elles ne sont disponibles nulle part ailleurs. Elle estimait que la bibliothèque ne devait pas être déplacée en Ukraine, car elle avait vocation à aider les universitaires français à faire des recherches sur l’Ukraine.

« Il est difficile d’estimer combien d’argent Yaroslava a “économisé” au budget ukrainien grâce à son travail de bénévole. Depuis des décennies, elle préservait et multipliait des collections qui, dans les pays normaux, bénéficient d’un soutien primordial de l’État. J’espère que son travail acharné sera apprécié des Ukrainiens. J’espère que la bibliothèque Petlioura à Paris sera préservée et deviendra un centre culturel et scientifique important pour l’Ukraine au sein de l’Union européenne », a écrit l’historien ukrainien Yuriy Yuzytch.

Jaroslava a joué un rôle très important dans la diffusion de la culture ukrainienne en France et dans le monde. Autrice de plusieurs publications en français et en ukrainien, elle a organisé des conférences internationales (en France et à l’étranger). Elle a également été secrétaire de l’Association française des études ukrainiennes, une société qui organisait des présentations sur divers sujets liés à l’histoire et à la culture de l’Ukraine.

Modeste, ne se mettant jamais en avant, cette femme au regard lumineux et à la fière posture, a entretenu la flamme de l’ukrainité sa vie durant. Ceux qui l’ont connue ne l’oublieront jamais.

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Photo : Nathalie Chrin
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Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.

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