Dans son entreprise d’endoctrinement des enfants, le régime de Poutine ne lésine sur aucun moyen. Ici, il s’agit de promouvoir des bonbons en chocolat célébrant l’annexion de territoires ukrainiens. Le tout est amplifié sur les réseaux sociaux par des groupes de grands-parents « patriotes ». Et commercialisé, bien entendu.
Pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable et transformer le moment du goûter en leçon sur la nouvelle géographie de l’Empire ? Les enfants russes peuvent désormais fabriquer de délicieux chocolats ayant la forme des territoires annexés de l’Ukraine. Sur le site d’un marchand on peut voir le contenu de la boîte. Une carte de la Russie, deux sachets de chocolat liquide, des moules aux contours des régions orientales de l’Ukraine. On place les morceaux de chocolat aux formes de Crimée, Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson sur la carte, puis on les croque, en bon patriote. La boîte contient aussi le texte de l’hymne russe, au cas où la famille voudrait le chanter pendant que le chocolat refroidit. Le patriotisme, il n’y en a jamais trop.
Ce puzzle de chocolat a été récemment recommandé en ligne par un groupe très particulier, Les Escadrons de Poutine (Otriady Poutina en russe). Ce n’est pas une armée régulière, ce ne sont pas des mercenaires comme les hommes de Wagner, mais leurs vidéos sont tout aussi virales. Les Escadrons de Poutine sont composés de retraités de la région de Krasnodar, dans le sud de la Russie. Des papys et surtout des mamies qui se font filmer dans leur arrière-cour, exprimant leur soutien indéfectible à Poutine et menaçant l’Occident. Les vidéos publiées sur leur compte YouTube sont vues des dizaines de milliers de fois. Si on jette un œil sur les dernières vidéos, on se régale. Dans le désordre : des femmes octogénaires remercient Poutine d’être « le seul président au monde à se battre pour la paix », fustigent le sommet de l’OTAN à Vilnius de juin 2023 (tellement ennuyeux qu’elles baillent), froissent méchamment des dollars américains, soutiennent le coup d’État au Niger en l’invitant à s’allier à Moscou ou demandent à Zelensky de « revenir à la raison » et de capituler.
Vu la popularité des vidéos de ces mamies influenceuses, la société OtchOumelyïe Routchki (littéralement « petites mains foldingues / très habiles » en russe) les a choisies pour promouvoir ses nouveaux bonbons impérialistes. Et les voici dans leur arrière-cour habituelle avec cette fois-ci la boîte du jouet entre les mains.
Le pitch est à l’avenant : « Alors, Biden, t’as merdé, hein ? La société russe OtchOumelyïe Routchki a sorti un joli puzzle, « Rassemble la Russie » ! Il y a tous nos nouveaux territoires : Crimée, Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson. Nous ne plaisantons pas, Biden… Attention à ce que l’Alaska ne se retrouve pas dans notre puzzle ! »
Pour ceux qui seraient tentés de passer commande, il faut prévenir : une partie des revenues iront financer l’« opération militaire spéciale » en Ukraine.
Qui sont les Escadrons de Poutine ?
Quelques mots sur ce fan club pro-Poutine sont peut-être nécessaires. Fondé en 2012 pour soutenir le troisième mandat de Poutine et brimer l’opposition, le groupe n’a rien de spontané même s’il n’a jamais obtenu l’aval direct du Kremlin. Son créateur, le businessman Marat Dinaev, interviewé en 2021 dans son bureau de Krasnodar, décrit ainsi le projet :
« Depuis 2012, notre idée principale est d’inonder Internet de vidéos virales des Escadrons de Poutine. Nous avons réussi. Personne ne regarde des contenus gris et ennuyeux. Nous connaissons les règles du jeu sur Internet. Plus la résonance et l’indignation sont fortes (et nos vidéos sont généralement indignées), plus nous sommes regardés. »
Il n’y a pratiquement aucun sujet majeur dans les relations internationales que ces influenceuses pro-Poutine ne commentent pas, aucun n’est à l’abri de leur fureur lorsqu’elles mélangent des argumentations anti-occidentales plutôt structurées avec de folles théories du complot. Soit dit en passant, c’est exactement ce que fait le Kremlin.
« Hé Biden, tu demandes de l’argent au Congrès, 12 milliards de dollars, mais le monde entier le sait déjà : ils sont prétendument destinés à Zelensky, parce que tu l’aides, mais tu t’en prends 50 % pour toi » (« Le système de corruption de Biden », vidéo publiée le 11 août).
« Duda [président de la Pologne, NDLR], toi et la Pologne, vous êtes les esclaves de l’Amérique » (« Duda, tu n’es pas un maître, tu es un esclave », vidéo publiée le 14 août).
« Nous sommes les Escadrons de Poutine. Nous saluons le sommet des BRICS… un événement historique puisque de nouveaux pays ont rejoint l’organisation, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite… 4 milliards d’habitants, 40 % du PIB, que le G7 nous envie. » (« BRICS – Hourra ! », vidéo publiée le 29 août)
« Zelensky, écoute-moi : tu as déjà perdu ! » (vidéo publiée le 1er août)
« Biden ! Tu voulais l’uranium du Niger, hein ?… Tu ne l’auras jamais. Et vous, les Nigériens, ne pensez même pas à le donner à l’Amérique, vous ne feriez que remplacer une domination par une autre, l’Amérique à la place de la France… combattez… à nos côtés, avec la Russie ! » (« Liberté au Niger », vidéo publiée le 8 août)
« Nous l’avons attendu si longtemps, soyons amis, arrêtons ces sanctions [contre la Corée du Nord, NDLR], nous devons développer des relations normales » (« Nous attendons Kim Jong Un », vidéo publiée le 6 septembre).
Dans une vidéo publiée le 24 octobre, on les entend fustiger Halloween : « Nous, les Escadrons de Poutine, sommes catégoriquement contre Halloween […]. Le 31 octobre on fêtait le début de l’hiver […] quand les Irlandais ont apporté cette fête aux États-Unis, tout est devenu marketing […]. Halloween est une honte, moi en tant que patriote je pense que nos fêtes russes suffisent déjà, on n’a pas besoin des fêtes américaines […]. C’est une bizarrerie ! […] Non à Halloween ! »
Pourtant, avec les chocolats en forme de Crimée, on était bien parti pour un Halloween inoubliable, la question restant la même : « des bonbons ou un sort ? »
Analyste free-lance de la Russie et de l’espace post-soviétique, Raimondo Lanza est actuellement doctorant à l’école doctorale de Géographie de Paris 1 sur le rôle de l’humour dans la création et la diffusion des stéréotypes nationaux en Russie.