Lev Rubinstein, co-fondateur du « conceptualisme moscovite », était l’un des poètes les plus talentueux de la Russie contemporaine, mais aussi un citoyen engagé qui protestait ouvertement contre les persécutions des personnes LGBT et contre la guerre en Ukraine. Ses œuvres ont été traduites dans plusieurs langues. Desk Russie publie l’hommage de sa traductrice et amie française.
C’est inconfortable, ce n’est pas juste de vivre dans un monde sans Rubinstein. Par son existence, il réchauffait et humanisait la réalité, il désarmait le terrible et faisait rire de l’infâme.
Boris Akounine
1
Je me souviens : Leningrad, dans les années 1970. Une visite au poète Krivouline sur le Côté de Petrograd. Viktor est là, avec deux de ses semblables, poètes du « monde souterrain » en quête d’une nouvelle parole lyrique, tous impubliés, impubliables. Ils se tiennent les côtes de rire. Je demande de quoi il retourne. On me montre avec une sorte de fierté une feuille dactylographiée, tout juste arrivée de Moscou ; on m’en fait la lecture à voix haute. Ce n’est pas un poème. C’est une suite d’énoncés qui, dans un premier temps, semblent dépareillés, mais dont l’assemblage rythmé produit un sens et dit du monde quelque chose de juste et de cocasse. Et, à mon tour, j’éclate de rire : je viens de faire connaissance avec Lev Rubinstein.
Ce rire partagé en disait long : un cercle complice s’était constitué. Dans la stase existentielle et artistique des années 1970, quand l’empire des soviets semblait devoir durer éternellement, à Moscou un esprit confraternel, fort d’un choix esthétique singulier, avait lui aussi cherché et trouvé comment faire pièce à l’entropie littéraire. Les « métaphysiques de Leningrad » et les futurs « conceptualistes de Moscou », dans leur différence même, se faisaient signe et affirmaient ensemble leur distance par rapport à l’officialité culturelle. Ici et là, en Russie soviétique, on s’essayait à une création libre. La dissidence littéraire était en chemin.
Le projet de Rubinstein était d’ordre esthétique et politique à la fois. L’idée était la suivante : pour battre en brèche l’ennui mortifère de la production soviétique, il fallait ébranler la routine sacralisée du quatrain sur la page, arracher la poésie à Euclide, la rapprocher de l’espace concret des arts graphiques. Rubinstein, littéraire de formation, avait des amis parmi la jeune génération des peintres (ceux que le régime de Brejnev venait de refouler en lançant des bulldozers sur une exposition informelle en plein air) : Nikita Alekseev, Kabakov, Boulatov… Il se mit à écrire partout, sur les murs, sur des étiquettes et des boîtes d’allumettes. Bibliothécaire, il manipulait quotidiennement ces fiches bibliographiques perforées que nous avons oubliées, adossées l’une à l’autre dans leur casier de bois. Il eut l’idée d’en détourner l’usage. Chaque fiche serait le support, non plus d’une référence, mais d’un énoncé. Et, mis ensemble, comme vers après vers se construit un poème, les énoncés sur fiches constitueraient un texte. Mais dans un espace à trois dimensions.
Ainsi commença l’aventure de la « grande cartothèque », à laquelle Lev Rubinstein allait travailler jusqu’au milieu des années 1990.
2
Comme Mandelstam conjurait, par la pratique du vers et la promotion de la signification, les espaces « inorganisés » de la Russie, Lev Rubinstein entreprenait ainsi, en pleine stagnation brejnévienne, de conjurer, grâce à une « idée organisatrice », le chaos soviétique. Au « faux ordre » de l’officialité, Rubinstein opposera, alors et toujours, un ordre intelligent, critique, musical, un ordre libre.
Le « catalogue », objet verbal disruptif, évoque, assurément, les multiplications du Pop Art. Il est aussi cousin, évidemment, de la « liste » de Pérec (que Rubinstein, oulipiste sans le savoir, ne connaissait pas). Comme la liste, le catalogue énumère le monde, le nomme, le classe et l’organise. Devant lui, l’informe recule. Comme la liste, il est affaire de rythme, joue sur les longueurs, les redites, les échos, les variantes, les blancs.
Et autant et plus que la liste, l’écriture-sur-fiches est une marqueterie langagière. Rubinstein rassemble des énoncés qu’il perçoit partout dans la culture urbaine qui est la sienne : phrases saisies au vol dans la rue, au marché ou dans l’appartement communautaire, répliques, sentences, injures, chantonnements, exclamations, trouvailles verbales, anecdotes. Lexique normé ou langue verte. L’« auteur » a de grandes oreilles qui savent s’élargir démesurément. Et il use, quelques décennies à l’avance, de la technique du « verbatim » qui fera les beaux jours du théâtre anglophone. Lorsque, en l’an 2000, le festival « Passages » invitera Rubinstein pour une mise en espace de son texte « Là c’est moi », le metteur en scène, Robert Cantarella, ira contrôler au marché de Saint-Brieuc la vraisemblance des énoncés de Rubinstein dans ma traduction.
À ce constat oral vient s’entremêler la mémoire de la littérature. Rubinstein se sait et se veut « homme de la citation » : il est de ceux, nombreux dans l’intelligentsia russe, qui communiquent en citant, poèmes classiques, refrains populaires, « mots ailés ». Les « héros » des textes de Rubinstein sont, de son aveu même, « déjà des textes ». Ils parlent, avec un humour décalé, une langue d’Ésope réservée à un cercle restreint, car Rubinstein ne prétend pas être entendu par d’autres que les pareils-à-lui. Le comble de la complicité, c’est la quasi ou pseudo-citation, où se cite un genre, un rythme, une inflexion, une stylistique poétique ou prosaïque, sans que l’on puisse les référer à un écrivain ou un autre.
Ces citations viendront s’agréger à la matière du texte–sur-fiches, le rendant, d’ailleurs, si difficile à traduire. Et l’ensemble est cimenté par la voix sentencieuse de l’auteur, qui, fiche après fiche, égrène un questionnement sur la vie.
Mon cher ami.
Nous voilà donc.
Mon cher ami.
Impossible d’échapper au doute.
Cet ensemble hétéroclite, une fois rassemblé, est longuement et soigneusement organisé par l’auteur, de façon à composer, nous dit Rubinstein, « un véritable texte, qui présuppose que le choix s’opère en passant non par le choix des composantes, mais par celui de leur relation à l’ensemble », ou encore « un véritable texte, qui ne serait pas simple recueil de “notes de l’auteur”, mais texte poétique de plein droit, discours construit selon l’harmonie, et dont tous les éléments, points et contrepoints, se mesurent à l’aune de l’unité rythmique ». Un texte qui, en abyme, reproduit le « contexte » de l’environnement social et culturel. Et dont l’auteur est le chef d’orchestre.
3
Et l’auteur est bel et bien « parmi nous ». Rubinstein, par-delà la « liste », incarne son texte. Lui qui longtemps n’a pas aimé le « grand » théâtre, il invente un théâtre à sa mesure, une performance capable d’atteindre un auditoire curieux. Armé de son paquet de fiches, debout ou assis en face de son public, dans une cuisine moscovite, un club, plus tard une librairie occidentale, Rubinstein joue son texte. Il s’en explique : « C’est une visualisation du texte, sa théâtralisation, son oralisation — j’entre en scène avec ma pile de fiches en guise d’instrument de musique et je les lis une à une, accentuant et rythmant le texte non plus de l’intérieur, mais visuellement. »
Le texte est proposé comme objet verbal : le lecteur varie les intonations, module l’étonnement, l’attendrissement, la perplexité, la malice au fur et à mesure du déroulement de la lecture. Il lui donne forme aussi gestuellement, dans le battement des fiches qu’il saisit pour les lire, tout à tour lent ou rapide, avec des pauses, des hésitations, certaine manière de tenir la fiche, de l’examiner en fronçant l’œil, de la reposer sur la table. Il est l’exécutant d’une œuvre qui tient du jeu théâtral et du mime, — de la musique.
Maigrelet, de petite taille, il créait comme par miracle autour de lui un énorme espace de résonance. Au moment de ses fameuses « pauses », lorsqu’il reposait en cadence les fiches dépourvues de texte, on se sentait défaillir comme sur une balançoire. Il y avait des performances où aux fiches muettes rien ne succédait, et c’était là ce qui faisait le plus peur — ce rythme pur, sans les mots devenus impuissants.
Mark Lipovetski
La performance a son efficacité propre. Elle survivra à l’abandon par Rubinstein lui-même, vers 1995, de la pratique de la fiche comme genre littéraire. Mais même lorsqu’il se tournera vers l’essai et le journalisme culturel, il continuera de performer. Ses lectures font salle comble. Avec le texte-sur-fiches, Rubinstein fait irruption dans l’espace social et entraîne avec lui les plus vivants, les plus actifs de ses auditeurs. Il a inventé un personnage que revendique un certain monde culturel russe. Sans être Chaplin ni Buster, Rubinstein s’inscrit dans leur lignée, et, très loin du prêche ou du didactisme, se fait reconnaître comme signal et promoteur de quelques principes — esthétiques ? moraux ? politiques ? — mal aimés : la réflexion, la réactivité, la modération, la justesse, l’humour, le respect de la loi. Les textes-sur-fiches sont bien autre chose qu’un amusement pour initiés. Ils ont quelque chose d’un premier pas vers le politique.
4
Le texte sur fiches, au demeurant, est riche de potentialités, il a ses métamorphoses et ses résurgences, ses variantes. Il peut devenir bilingue : j’en ai fait l’expérience heureuse lors de lectures amébées russo-françaises où Rubinstein et moi lisions de conserve (et de concert) « Le temps passe » ou « Questions de littérature ». A Paris, à Nancy, à Arles, à Lausanne, le public jubilait. Et, on l’espère, comme le « héros » de Rubinstein, « se mettait à penser, longtemps ».
Le texte rubinsteinien peut aussi être le support de mini-spectacles musicaux, « performés » à deux (avec un autre « conceptualiste », un ami et un complice : Dmitri Aleksandrovitch Prigov), ou à plusieurs, avec accompagnement de batterie. Rubinstein a développé, par plaisir, ses talents d’homme de scène : il chante en solo, avec le ton juste, de vieilles rengaines soviétiques et des chansons klezmer.
La fiche ne craint pas non plus de faire retour vers le poème. Certains des textes de Rubinstein, ceux que l’on a qualifiés de « métaphysiques » — « Des si et des signes », « Du jeudi au vendredi », « Toujours plus loin », se lisent comme de longues méditation sur la vie, à peinte trouées par des sautes de style où s’insinue un humour mélancolique. Les éditions parisiennes du Tripode, renonçant, contrairement au travail d’autres éditeurs russes et européens, à figurer graphiquement le principe de l’écriture sur fiches, ont choisi d’abolir la numérotation et pris le parti de la strophe. La fiche en « version plane » se fait verset, le texte se satisfait de la page et conserve sa force.
5
Mais, quoi qu’il en soit, artiste et observateur du réel, Rubinstein ne se revendique que de lui-même. Dans sa recherche de formes neuves, il avait bien sûr trouvé des compagnons au sein de la « contre-culture ». On l’a beaucoup donné, ces dernières années, pour le « fondateur » du « conceptualisme moscovite ». Ce titre, il le récusait, comme il récusait l’idée d’une « théorie » des conceptualistes. Ils étaient simplement quelques artistes, certains liés d’amitié (Rubinstein et Prigov), qui cherchaient, chacun à sa façon, à subvertir l’entropie de l’idéologie imposée, en la « ressuscitant » dans des formes artistiques inédites. Pour Dmitri Aleksandrovitch Prigov, sculpteur, graphiste, poète et performeur, ce fut le « projet DAP », avec ses milliers de poèmes et la série des « monstres » ; pour Vsevolod Nekrassov, la pratique du poème visuel ; pour Sorokine, le roman-provocation. Rubinstein était l’inventeur de l’écriture sur fiches, mais jamais il ne fut le théoricien, encore moins le chef de file d’un « conceptualisme » élevé en doctrine, du reste relativement éphémère.
Ce qui n’empêcha point ce groupe artistique improbable de gêner l’officialité : quand, en 1989, fut organisé à Grenoble un premier festival de poésie contemporaine russe, il y avait là les anciens (Voznessenski), quelques plus jeunes (Ivan Jdanov), mais on notait l’absence des conceptualistes de Moscou, ce groupe avant-gardiste frondeur qui réinventait les genres et mélangeait, comme le faisaient les futuristes des années dix, poésie, arts visuels, musique et performance. Pour que Prigov et Rubinstein soient introduits, invités et traduits, il faudrait encore quelques années et la chute du régime.
6
Après 1995 et à deux exceptions près (« L’échelle des êtres », 2006), Rubinstein renonce au genre qui est devenu sa signature. Selon lui, il ne faut y voir qu’un signe des temps : le fichier est un objet archaïque. Ses textes ont fait leur chemin éditorial et public : très loin du temps où seul le tamizdat les portait, ils ont connu maintes publications dans les meilleures maisons d’édition de Russie (Limbach en 2000, Novoïe Izdatelstvo en 2015) ; ils ont été traduits dans toutes les langues européennes, ont été mis au programme de cent salons du livre et festivals de poésie, de la Russie aux USA.
Rubinstein peut se tourner vers ce qui désormais le motive : le journalisme culturel. Il va déployer sa verve et exposer une vision du monde de plus en plus explicite dans des mini-essais où il soumet à une réflexion critique des faits d’observation et de mémoire personnelle et collective, en prise, dans un premier temps, sur un questionnement fondateur : quel rôle revient au langage, dans un monde instable où la catastrophe peut arriver ? Rubinstein a publié plusieurs de ces recueils de mini-proses, elles aussi organisées en cycles. Le premier de ces livres s’intitule Hasards de la langue (Sloutchaï iz iazyka, Limbach, 1998).
Rubinstein y interrroge la réalité qui l’entoure : le petit essai, nouvelle unité qui vient en place de la fiche, commence comme une observation, se poursuit comme une histoire drôle, hésite, revient en arrière et souvent s’arrête net sur une intonation dubitative. La narration brève et composite est guidée par l’incongru, incongru de la langue, incongru des situations, à la lumière d’un « humour » qui saisit au vol l’un et l’autre. Les « proses » de Rubinstein s’attachent à des micro-événements, enregistrent des micromutations langagières : les mots sont étudiés comme des gens. L’ « auteur » ne craint pas de se montrer au centre de son écrit, avec ses souvenirs d’enfance et son expérience des travaux et des jours depuis les années 1950. Mais il s’y montre aussi un maître de la synthèse historique. Ainsi la « stagnation bréjnevienne », célébrée par le titre ironique : « À la glorieuse mémoire de l’immutabilité », rime avec « soviétique » et avec « dénuement ». Ailleurs, Rubinstein définit sarcastiquement la Russie toute entière par sa façon de s’emparer du terme galvaudé de « qualité » :
« La qualité est une propriété de la forme, voir sa provenance du latin « qualis », quel. Mais la culture russe a toujours remplacé la qualité par la quantité, comme elle a remplacé l’histoire par la géographie. Nous n’avons pas la qualité, nous avons l’âme, la générosité, la vaillance, l’élan. Ce qui signifie l’envergure et l’ampleur. Le rêve. La lutte, entre autres la lutte pour la qualité.
Depuis toujours, du plus loin que je me souvienne, on a « lutté » pour la qualité. On dit (pourquoi ?) « bataille » de la production, mais pour la qualité, c’est une « lutte », épuisante et sans vainqueurs.
Aujourd’hui, Dieu soit loué, on a vu naître et croître une « Police de la qualité ». Le terme de « police » a quelque chose de respectable, de civilisé, d’« européen », en plein accord avec les temps nouveaux. Mais, allié au mot « qualité », il devient plus qu’exotique, pour ne pas dire provincial. Je ne sais pas vous, mais moi, indépendamment de ce qu’elle désigne concrètement, cette expression me plaît bien : une tendance immémoriale y prend sa forme définitive en signalant une fois pour toutes la nature répressive de la « qualité ». Là où il y a qualité, il y a aussi contrôle de qualité, police. »
(« La police et la qualité »)
Rubinstein a compris que la langue dit la réalité, et qu’il lui appartient, à lui artiste, d’en rendre compte. Ses textes revivifient la notion même de prose, en rendant à nouveau possible quelque chose comme une « prose expérimentale », qui se reconstitue dans des genres « mineurs » — l’anecdote par exemple —, périphériques et paralittéraires, journalistiques (bloc-notes et billets), souvent métapoétiques. En déclarant vouloir y « parler à la langue dans la langue de la langue », Rubinstein donne à ses textes valeur de manifeste : la prose peut être le siège de recherches formelles et génériques qui, en posant directement des questions au langage, posent la question du langage et de son rôle touchant dans ce qu’il en est de la liberté humaine, de la pensée, de la pérennité de la culture, de la construction de la personnalité, et pour finir de la politique, au sens le plus direct du terme.
7
Car plus le temps passe, plus ce qu’écrit Rubinstein se fait ouvertement politique. « Signe des temps », dit-il encore. Depuis le début du nouveau siècle, il a investi un nouveau domaine : Internet, qui connaît en Russie un développement intense. Il a fait l’apprentissage de Facebook, où il écrira assidûment. Et il prend la parole sur divers blogs (LiveJournal), où sa présence se fait, au fil des ans, de plus en plus prégnante. La présence de Rubinstein sur ces plateformes s’impose naturellement, comme l’avaient été les lectures-performances dans les cuisines des années 1970, ou la rédaction des petits essais dans les années 1990. Et les plus récentes de ses publications : Ressources lexicales (2008) ; Signes d’attention (2012), Ce qu’on entend (2018), et enfin Le temps de la politique (2021) résultent de la mise en recueil de ses chroniques sur la Toile. Le temps de la politique réunit ses interventions les plus récentes sur le Blog In Liberty.ru, où elles ne sont plus lisibles.
Rubinstein poursuit là sa réflexion sur l’histoire passée et actuelle de la Russie et la formule d’une manière de plus en plus précise. Il expose ses vues sur des points qu’il cible soigneusement et qu’il argumente à partir d’exemples : qu’en est-il du respect de la loi dans un pays où le « non-respect » de celle-ci est devenu la loi ? Quelles mesures sont prises au mépris de la Constitution du pays ? Il voit la langue « devenir folle », les significations se brouiller, les organes du pouvoir adopter le parler de la rue, une volée d’interdits (de la langue verte, des mots étrangers) tenter de « régenter » la langue. Il affirme, désormais sans ambages, que « régenter la langue », c’est la violer, et que c’est ce que font les régimes qui s’acheminent vers le totalitarisme. Lui-même travaille à établir clairement les significations : s’il est difficile de définir la notion de « peuple », que le pouvoir emploie à tort et à travers et utilise comme un miroir aux alouettes, on peut essayer de cerner celle de « société » et surtout celle de « citoyenneté ». « Citoyen », voilà ce que Rubinstein, dans sa lucidité exigeante, réclame de pouvoir être pleinement et entièrement.
Il y a là, précis et courageux, tout un travail de réflexion et de mise en ordre, qui compose une image problématisée de la Russie d’aujourd’hui. Pendant l’année 2023, Rubinstein a livré sur Facebook un billet quotidien où, correspondant à la date du jour, il relatait un souvenir, un événement, formulait une réflexion, posait une question. On peut voir là l’équivalent de la mise en perspective, en relation et en tension que promouvaient naguère ses fiches. Leur façon inimitable de conjoindre ordre et liberté.
Rubinstein n’est plus, mais il reste ses livres et les multiples enregistrements de ses lectures et de ses entretiens. Nous y puiserons longtemps encore de quoi mieux habiter ce monde.
Poèmes de Lev Rubinstein traduits par Hélène Henry-Safier : une selection
Traductrice littéraire du russe au français (poésie, théâtre et fiction du XXe siècle). Pasternak, Tsvetaieva, Vakhtangov, Nabokov, Soljenitsyne, Brodsky, Zamiatine, E. Schwarz, L. Rubinstein, D. A. Prigov.