Des Français influents qui ont espionné pour l’Est

Le journaliste Vincent Jauvert s’est plongé dans les archives des services secrets tchécoslovaques au temps de la guerre froide, afin d’y repérer tous ceux qui, en France, ont été recrutés comme « collaborateurs de confiance » ou agents. Voici un compte rendu de son ouvrage, À la solde de Moscou (Éditions du Seuil, 170 p.)

Au moment où les autorités françaises prennent, un peu tardivement, conscience de la pénétration des services russes en France, l’enquête de Vincent Jauvert tombe à pic. Ancien journaliste de L’Obs, il s’est plongé dans les archives des services tchèques au temps de la guerre froide pour repérer tous ceux qui, en France, ont été recrutés comme « collaborateurs de confiance », agents, ou même qui se trouvaient en France comme clandestins.

Il a choisi de se concentrer sur la République tchèque, car c’est le pays dont les archives sont les plus accessibles, mais il va de soi que ce service collaborait également avec son « Grand frère » soviétique. Les découvertes de Vincent Jauvert doivent donc être prises comme un échantillon représentatif d’un ensemble beaucoup plus vaste. L’URSS, ainsi que chacun des pays du bloc communiste, recrutait ses propres informateurs et tout renseignement important remontait à Moscou.

Or ce que montre Vincent Jauvert, c’est l’ampleur de la pénétration des services tchèques en France : de nombreux journalistes, un conseiller du préfet de police de Paris, des hommes politiques… Parmi ceux-ci, quelques noms connus : Gérard Carreyrou, Paul-Marie de la Gorce, Claude Estier.

Ces personnalités ont transmis des informations en échange de quelques cadeaux, comme des vases en cristal de Bohème, mais aussi contre de l’argent. Certains percevaient même un salaire mensuel du StB, le service secret tchèque. Parfois, ils participaient également à des opérations de désinformation en publiant dans leurs journaux respectifs des articles écrits par le StB.

Vincent Jauvert détaille les rencontres, le contenu des conversations entre ces agents et leurs officiers traitants car tout a minutieusement été consigné. Et le résultat de cette visite des archives est édifiant : tout ce qui se passait dans les cercles du pouvoir français était transparent aux yeux de Prague, et donc de Moscou. La maladie de Mitterrand, ils savaient. Les coucheries, les petits vices permettant de faire du chantage, ils savaient aussi. Ils avaient également l’immatriculation de toutes les voitures de la DST, le service français chargé du contre-espionnage, et des rapports complets sur la communauté tchèque à Paris, au sein de laquelle se trouvaient des dissidents.

Ce que l’on découvre en outre dans ce livre, c’est à quel point des journalistes de l’époque pouvaient être proches d’hommes de pouvoir : les grands éditorialistes politiques avaient un accès direct à Mitterrand. Ils le rencontraient régulièrement.

Pour autant que l’on sache, le journalisme politique a pas mal changé : aujourd’hui, il existe davantage de filtres entre les journalistes et le président. En revanche, ce qui n’a pas changé, c’est l’effort de services étrangers pour s’informer, recruter, désinformer et placer des agents dans les cercles d’influence. Et il ne fait aucun doute qu’ils y parviennent. C’est pourquoi ce livre qui traite d’histoire est aussi on ne peut plus actuel.

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Alain Guillemoles est journaliste du quotidien La Croix. Il a été correspondant de l’AFP à Kyïv dans les années 1990, puis a couvert pour La Croix la Russie et l’Ukraine durant 20 ans. Il est l’auteur notamment des ouvrages Ukraine, le réveil d’une nation, Sur les traces du Yiddishland : un pays sans frontière et Gazprom, le nouvel empire.

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