Le pouvoir russe craint les enfants enlevés de force en Ukraine. Il s’efforce de les « rééduquer » et de les soumettre à une stricte surveillance numérique. Desk Russie publie une enquête stupéfiante de Meduza qui raconte les méthodes russes de « rééducation », approuvées par Vladimir Poutine en personne, qui visent à les russifier et à leur faire oublier leurs familles, leur patrie et leur identité ukrainiennes. Cette politique relève du crime de génocide.
On ne connaît pas exactement le nombre d’enfants ukrainiens qui ont été emmenés de force en Russie depuis le début de la guerre — selon Kyïv, ils seraient près de vingt mille. Dès le début de l’invasion, le ministère de l’Instruction publique de la Fédération de Russie a établi un cadre méthodique pour leur endoctrinement. D’après des documents provenant du ministère, il s’agit pour les enseignants russes de « réorienter la jeune génération des républiques populaires de Donetsk et de Louhansk et des régions de Zaporijjia et de Kherson et d’affirmer leur identité russe ».
Voici un extrait du manuel intitulé « Accompagnement des adolescents venant des zones de combat » : « Si vous savez que l’enfant qui se trouve en face de vous a perdu des membres de sa famille, tués ou portés disparus au cours des hostilités, mettez l’accent non pas sur les personnes, mais sur les événements… Ne lui dites pas “ce n’est rien”, “ne t’inquiète pas, ils sont mieux là où ils sont”, “ils te regardent de là-haut”… Dites-lui franchement que ses proches ont été tués ou que sa maison a été détruite… Dites-lui carrément qu’ils sont morts. Donnez-lui la possibilité de vivre ses émotions. Par exemple, s’il se met en colère, laissez-le déchirer du papier. » À la fin, il faut que l’enfant éprouve « un sentiment de fierté pour son pays, de patriotisme, d’appartenance au pays ». De quel pays précisément l’enfant doit-il être fier, les recommandations ne le disent pas… Quant à la guerre — l’unique raison pour laquelle les enfants se sont retrouvés en Russie —, le ministère de l’Instruction publique la décrit comme « une complication de la situation géopolitique […] qui a obligé des familles […] à se déplacer ». Les enfants ukrainiens doivent être « rééduqués » jusqu’à la fin de leur scolarité « sur la base des valeurs spirituelles et morales et des traditions historiques et culturelles nationales de la Fédération de Russie ». Le but est d’arriver à ce que les adolescents « se forgent une identité russe ».
Cependant, les enfants déportés d’Ukraine suscitent au sein du ministère de l’Instruction publique une véritable peur. Une source témoigne : « Quand on parle entre nous, on se dit que les enfants ukrainiens sont des terroristes en puissance. On n’est pas complètement stupides, on sait bien que la Russie n’est pas venue en Ukraine “dans un esprit de paix et de bienveillance” et que les enfants amenés ainsi dans un milieu hostile pourraient commencer à se rebeller. Peut-être avec le soutien de leurs proches en Ukraine… En coulisse, c’est ainsi que l’on pense, même au plus haut niveau. Mais dans nos réunions, bien sûr, on dit que les enfants ukrainiens sont formidables. » La même source ajoute que dès la fin de l’année 2022, les fonctionnaires du ministère de l’Instruction publique ont commencé à se préparer à d’éventuelles agressions terroristes et à des actes de sabotage visant expressément leur administration. Parmi les menaces mentionnées dans les documents consultés par Meduza, il est question d’ « agression armée » (notamment « au moyen de liquides inflammables »), de « prises d’otages », de « déclenchement d’engins explosifs », d’ « incendies criminels », d’« attaques de drones ».
« Un projet spécial sur instruction expresse de Poutine »
Peu après le début de la guerre, Vladimir Poutine a décidé d’accorder une attention particulière à la « socialisation des adolescents » et, en vertu d’un décret signé de sa main, a alloué au ministère de l’Instruction publique 52 millions de roubles, qui ont permis à celui-ci de créer un Centre fédéral pour l’élaboration de programmes de socialisation des adolescents. Ce Centre est chargé de la mise en œuvre du programme stratégique « Les adolescents de Russie », présenté à Poutine deux semaines après le début de l’invasion, le 9 mars 2022. Il s’agissait d’une initiative lancée par Maria Lvova-Belova, commissaire aux droits de l’enfant, pour, selon elle, aider « des millions d’adolescents à traverser en sécurité la zone de turbulences » de la guerre (soit dit en passant, la Cour pénale internationale de La Haye n’a pas apprécié cette idée et a émis des mandats d’arrêt contre V. Poutine et M. Lvova-Belova pour la déportation d’enfants ukrainiens).
Depuis lors, le Centre fédéral pour l’élaboration de programmes de socialisation des adolescents, ou Centre fédéral des adolescents, coordonne l’activité menée auprès des écoliers dans toutes les régions de la Fédération de Russie et dans les territoires ukrainiens occupés. D’après les documents que Meduza a pu se procurer, un accent particulier est mis sur « l’assistance […] aux mineurs se trouvant dans la zone de l’opération militaire spéciale ». Cette nouvelle structure, qui relève à la fois du ministère de l’Instruction publique et de Mme Lvova-Belova, a été créée « spécialement pour les enfants ukrainiens », « afin de leur expliquer “où se trouve la vérité” », précisent deux interlocuteurs de Meduza qui en font partie.
« Une fois établi, la première chose qu’a faite le Centre a été d’aller à la rencontre des enfants, ceux de Marioupol et ceux qui avaient déjà été emmenés dans la Fédération de Russie. Pour distribuer de l’aide humanitaire, organiser des formations, bref pour créer l’image d’une Russie bienveillante : “Vous êtes venus chez nous et chez nous c’est cool !” explique une des sources de Meduza. C’est là l’essentiel de leur action. »
Le chef du Centre, Valery Maïorov, est décrit comme quelqu’un de « farouchement pro-régime ». Selon notre source, ses subordonnés partagent les mêmes vues : « Pour eux, leur carrière a fait un bond en avant : “Nous mettons en œuvre un projet spécial sur instruction expresse de Poutine”… Il n’est jamais question du respect de la culture et de l’origine des enfants ukrainiens. »
Ce sont précisément les employés du Centre qui, comme le disent les interlocuteurs de Meduza, « effacent le passé ukrainien des enfants et les intègrent dans le monde russe ». Entre autres, le Centre développe activement un réseau d’ « espaces réservés aux adolescents où sont organisés des séminaires patriotiques qui évoquent les réalisations de notre pays et l’importance des événements qui se déroulent dans les nouvelles régions de Russie ». Les adolescents y rencontrent des personnes que Valery Maïorov qualifie d’ « adultes de confiance », à savoir des « participants à l’opération militaire spéciale » et des membres du clergé. Pour la fête du Nouvel An, ces jeunes ont assisté à des spectacles mis en scène par des agents du ministère de l’Intérieur. Et ils jouent à des jeux d’enquête organisés par des membres du Comité d’enquête de la Fédération de Russie.
Grâce au réseau des « espaces réservés aux adolescents », les enfants participent aussi à des jeux sportifs militaires, visitent des expositions contre le nazisme, fréquentent le stand de tir et peuvent même « se préparer à servir dans les forces armées de Russie ». Selon un rapport du ministère de l’Instruction publique, en septembre 2023 « plus de 150 000 adolescents » avaient déjà participé à de telles activités. « V. Maïorov dirige une grande partie du travail idéologique mené auprès des adolescents en dehors de l’école », explique un interlocuteur de Meduza. Les enfants rentrent de l’école, où ils ont été endoctrinés, puis vont pratiquer ces activités, où on continue à les endoctriner. »
Les territoires occupés ne sont pas en reste : le Centre a déjà ouvert des antennes à Donetsk et à Marioupol et en ouvrira bientôt à Khartsyzk et dans d’autres villes et localités des régions ukrainiennes de Donetsk, Louhansk, Zaporijjia et Kherson. Maria Lvova-Belova et la direction du Centre supervisent personnellement l’entreprise. Dans les territoires occupés, le « quartier général des opérations » du Centre se trouve à Donetsk. Rien que pour les frais de déplacement du personnel, les dépenses se chiffrent en millions de roubles : l’argent sert à organiser des « stages d’intégration intensifs sur le terrain pour les adolescents ». D’autres antennes organisent ce genre d’événements, comme, par exemple, le centre « Territoire de la nouvelle génération » à Marioupol, une ville pratiquement réduite à néant par l’armée russe. Les adolescents qui se rendent dans ce centre envoient de l’aide humanitaire sur le front et participent, sous le patronage du chanteur Grigori Leps (partisan de la guerre), à des festivals en Khakassie. En janvier 2023, des enfants de la région auraient demandé à Maria Lvova-Belova d’installer dans leur club — outre un cinéma et un studio de danse — une salle de défense civile « pour s’entraîner aux situations d’urgence ».
On ne sait pas exactement quelle part du budget est consacrée à tout cela. D’après des documents internes du Kremlin, le Centre a reçu en 2022 quelque 52 millions de roubles imputés sur le fonds de réserve présidentiel, mais les prochains financements (136 millions par an) devront être recherchés auprès d’autres sources. Meduza n’a pas trouvé mention de telles sommes dans la loi de programmation budgétaire. Cependant, le fonctionnaire du ministère de l’Instruction publique avec lequel Meduza s’est entretenu souligne : « En temps de guerre, l’argent afflue au Centre de socialisation des adolescents alors que les autres postes budgétaires sont soumis à des coupes. »
« Vous êtes en Russie, parlez russe »
C’est le 7e département du ministère de l’Instruction publique — le département de la politique d’État pour la protection des droits des enfants — qui est chargé de l’assimilation des enfants ukrainiens. Il est dirigé par Larissa Falkovskaïa, fonctionnaire qui a commencé sa carrière comme psychologue dans une école de village en Sibérie et qui est aujourd’hui personnellement frappée par les sanctions de l’Union européenne. Depuis le début de la guerre, Mme Falkovskaïa et ses adjoints se rendent dans les territoires occupés pour apporter leur « expertise et leur accompagnement méthodologique » aux autorités locales de tutelle et au système éducatif. En d’autres termes, pour faire en sorte que les institutions des régions ukrainiennes occupées fonctionnent exactement comme les institutions russes.
Le 7e département dispose d’un service psychologique qui met au point les manuels méthodologiques destinés aux enseignants, forme les enseignants affectés dans les territoires occupés et s’occupe des adolescents qui se trouvent « dans une situation difficile». La source de Meduza au sein du ministère décrit ainsi les membres de ce service : « En gros, ils sont parachutés auprès d’enfants dont la famille et les proches ont récemment été tués et ils les “traitent” un par un, comme à la chaîne, en leur assurant : “Notre pays fait énormément pour vous”. » Selon les documents consultés par Meduza, les membres du Centre ont effectué au moins 36 déplacements de ce type depuis le début de la guerre, sur instruction de Mme Falkovskaïa et « dans le cadre de leur mission officielle ». Ils sont également actifs dans les régions frontalières, où l’on trouve de nombreux adolescents ukrainiens.
D’après les informations dont dispose Meduza, les écoliers ukrainiens se plaignent auprès des psychologues d’anxiété, d’être « séparés de leur famille », de crises de panique, d’angoisse et de « tendances suicidaires ». Ils évoquent leur peur « des bruits forts » et « du « bruit des avions », leur « tristesse », leur dépression et leur « angoisse de la séparation ». Les enfants font également part de leur « appréhension » d’être « stigmatisés à cause de leur dialecte » et de leur « difficulté à maîtriser rapidement le russe ».
Leurs craintes sont amplement justifiées, reconnaît l’interlocuteur de Meduza. « Tous ceux qui prennent les décisions déclarent sans ambages que le travail [avec les enfants] doit se faire en russe : tout le monde parle le russe là-bas et ceux qui ne le maîtrisent pas n’ont qu’à s’y mettre. Il est dit dans la Constitution que le russe est la langue de l’État : vous êtes en Russie, parlez russe. »
« Donnés à l’adoption »
L’adjointe de Mme Falkovskaïa, Anastasia Akkouratova, est chargée de placer les enfants dans des familles russes. C’est elle, selon des documents obtenus par des cyberactivistes ukrainiens, qui organise le déplacement des enfants vers la Russie puis qui enregistre ceux-ci dans la banque de données de l’État recensant les orphelins. Maria Lvova-Belova continue quant à elle d’insister sur le fait que les Russes ne peuvent pas adopter un enfant provenant des « nouvelles régions ». « Ne sont autorisés que le placement sous tutelle ou le placement en famille d’accueil, afin que l’enfant puisse être rendu à sa famille », assure-t-elle. Et elle souligne qu’elle-même a justement « pris sous tutelle » — et non adopté —, Filip Golovnia, un adolescent de Marioupol. Or ces déclarations ne correspondent pas à la réalité. Meduza a eu connaissance des « bilans » du ministère de l’Instruction publique concernant « l’identification et le placement des orphelins et des enfants privés de protection parentale » pour les trois premiers trimestres de 2023 et y a trouvé des éléments attestant l’existence d’un programme d’adoption massive d’enfants ukrainiens.
- Au premier trimestre 2023, 220 « orphelins et enfants privés de protection parentale » ont été « identifiés » dans les républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk et 14 dans la partie occupée de la région de Zaporijjia. Vingt-six d’entre eux « ont été donnés à l’adoption » à des citoyens de la Fédération de Russie. Quatre enfants ont été rendus à leurs parents biologiques (on ne sait pas dans quelles circonstances). Sept autres enfants ont été retirés en revanche à leur famille biologique en raison d’un « danger immédiat pour leur vie ou leur santé » (là encore, on ne connaît pas les détails).
- Au deuxième trimestre 2023, les autorités de tutelle contrôlées par la Russie ont continué à identifier des orphelins et des enfants « privés de protection » : leur nombre a augmenté dans tous les territoires occupés (40 à Zaporijjia, 286 dans la république populaire de Louhansk et 409 dans la république populaire de Donetsk). Six enfants de la partie occupée de la région de Donetsk ont été donnés pour adoption à des citoyens de la Fédération de Russie. Seize enfants ont été rendus à leurs parents tandis que 19 autres ont été retirés à leur famille en raison d’un « danger immédiat pour leur vie ou leur santé ».
- Au troisième trimestre, les rapports font état pour la première fois de données concernant la région occupée de Kherson : 63 enfants orphelins ou « privés de protection parentale » ont été identifiés dans cette région (45 dans la région de Zaporijjia, 343 dans la république populaire de Louhansk et 569 dans la république populaire de Donetsk). Le nombre des adoptions était aussi en nette hausse, atteignant 45, la plupart concernant comme précédemment la république de Donetsk. Dans la partie de la région de Kherson contrôlée par la Russie, des enfants commencent là aussi à être retirés à leur famille « en raison d’un danger immédiat pour leur vie ou leur santé » : trois enfants ont ainsi été soustraits à leur famille.
Les données du ministère russe de l’Instruction publique ne rendent pas compte de tous les cas d’adoption : par exemple, Margarita Prokopenko, âgée de 10 mois, a été enlevée dans un orphelinat de la partie occupée de la région de Kherson avant que l’on y recense de tels faits. Comme l’a établi le média Vajnyïe Istorii (Important Stories), elle a été adoptée en décembre 2022 par le chef du parti « Spravedlivaïa Rossiia – Za pravdou » (Russie juste – Pour la vérité), Sergueï Mironov.
« Identifier les opposants au pouvoir russe »
Le Centre d’étude et de surveillance en réseau du milieu de la jeunesse (TsISM) est une société IT qui a été créée sur instruction de Poutine et a reçu des milliards de roubles du budget fédéral. Il développe ses propres logiciels qu’il utilise pour surveiller sur Internet « la propagation de l’idéologie de la violence armée », de « l’anarchisme », du « nazisme » et « d’autres types d’informations destructrices ». Sa principale production est le système informatique « Profilaktika » , qui suit en temps réel plus de 540 millions de profils d’adolescents sur les réseaux sociaux (et considère que plus de deux millions d’entre eux présentent un « comportement destructeur »).
« C’est Big Brother pour les adolescents », explique à Meduza un fonctionnaire du ministère russe de l’Instruction publique qui connaît bien le système. « Le TsISM établit pour chaque enfant [à l’aide de réseaux de neurones] un profil de risques (suicide, terrorisme, extrémisme) et le signale à ses opérateurs. Il peut également le transmettre aux autorités. » Les opérateurs de Profilaktika s’appuient sur une brochure intitulée « Appareil conceptuel » élaborée par le TsISM : comme exemple d’ « organisation extrémiste », elle cite « l’association QG Navalny » tandis que l’Euromaïdan ukrainien est décrit ainsi : « Des organisations néo-nazies sont utilisées pour former la soi-disant “opposition” et fomenter des coups d’État. »
Selon les documents que s’est procuré Meduza, le système Profilaktika a déjà été testé dans 44 régions de la Fédération de Russie ; il sera bientôt mis en œuvre sur l’ensemble du territoire et intégré aux bases de données du ministère de l’Intérieur. Une fiche est établie pour chaque personne suivie. Meduza a pu s’en procurer plusieurs dizaines : chacune contient, outre la photo, l’adresse et le numéro de téléphone de l’adolescent concerné, une analyse détaillée de ses activités sur les réseaux sociaux, jusqu’au décompte de ses commentaires, like et repost. L’appartenance éventuelle à une « communauté d’opposition » est scrupuleusement notée. L’analyse ainsi effectuée permet d’attribuer à chaque enfant un « coefficient de destructivité » et un « coefficient d’opposition » (dans les fiches consultées, ce coefficient varie de 0,0 à 19,7).
« Le TsISM est à l’affût, il surveille les activités sur Internet et aide nos services à détecter les activistes de la résistance, les opposants au pouvoir russe », explique notre interlocuteur du ministère. En 2023, il a reçu de l’État 621 millions de roubles pour cette tâche. Plus de 1,7 milliards de roubles sont inscrits au budget à ce titre pour les trois prochaines années : avec cette somme, selon les « Kremlin Leaks », l’administration présidentielle prévoit d’ouvrir « des antennes du TsISM dans les nouvelles régions ». Les documents les appellent explicitement des « centres de sécurité de l’information » destinés à « informer sur les menaces émergentes » conformément aux « instructions » du Président et du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie. La surveillance devrait donc, selon des documents internes, « couvrir au moins 85 % » des comptes des enfants et des adolescents vivant dans les parties occupées par la Russie des régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia.
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Meduza a eu connaissance de documents évoquant le projet de créer une nouvelle structure fédérale pour « soutenir […] les enfants en situation difficile, les orphelins et les enfants privés de protection parentale ». Derrière ce projet de nouvelle structure, que certains de nos interlocuteurs nomment « le ministère des orphelins », se trouve Anna Kouznetsova, qui occupait avant Maria Lvova-Belova les fonctions de médiatrice pour les enfants et s’était illustrée à ce poste par une avalanche de déclarations et d’initiatives ultra-conservatrices. Selon les interlocuteurs de Meduza, l’objectif est de faire en sorte que « tous les enfants ukrainiens » se retrouvent « sous l’autorité d’A. Kouznetsova ».
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Les bénévoles russes qui travaillent avec les Ukrainiens se trouvant sur le territoire de la Fédération de Russie observent que beaucoup d’écoliers russes, sous l’effet de la propagande, rechignent a priori à entretenir des rapports normaux avec les Ukrainiens. « Un garçon est arrivé dans notre école et a déclaré : “Je suis un citoyen ukrainien et j’en suis fier”. Il s’est fait tabasser et n’est plus revenu », raconte une bénévole à Meduza sous couvert d’anonymat. « Un autre garçon, originaire de Marioupol, dont il a pu s’échapper in extremis avec sa mère, est arrivé dans notre école et s’est fait traiter de khokhol [surnom péjoratif donné par les Russes aux Ukrainiens, NDT]. Il a supporté sans broncher jusqu’à ce que le groupe de ses harceleurs le passe violemment à tabac. La maîtresse était consternée mais les parents de ses camarades de classe lui ont dit : “Qu’est-ce que tu fais ici, d’abord ? Personne ne t’a demandé de venir ici.” On ne l’a plus jamais revu à l’école. »
Traduit du russe par Fabienne Lecallier
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Lilia Iapparova est grande reporter à Meduza. Née à Tcherepovets, elle a fait ses études à Volgograd et à Moscou. Après un bref passage à la télévision ( les chaines de propagande Pervy kanal et REN ) au début des années 2010, elle s'est orientée vers les médias indépendants, dont Dojd et The Bell. Son travail a été récompensé plus qu'une fois par Redkolleguia, le prestigieux prix journalistique russe.