Le tribunal militaire du district central d’Iekaterinbourg a condamné le mathématicien Azat Miftakhov à quatre ans d’emprisonnement pour « apologie du terrorisme ». Ce jeune anarchiste avait déjà purgé une peine de six ans pour soi-disant « hooliganisme ». En septembre 2023, Miftakhov fut arrêté immédiatement après son élargissement. La nouvelle affaire contre lui s’appuie sur le témoignage de prisonniers affirmant que Miftakhov aurait promis de « venger » un ami mort au combat du côté de l’Ukraine. Le 28 mars, Miftakhov a prononcé sa dernière déclaration au tribunal.
Pendant les années de mon emprisonnement, je n’ai jamais manifesté d’amour pour l’État — et me voici à nouveau sur le banc des accusés. Aujourd’hui, je suis jugé pour ce que les forces de l’ordre ont voulu appeler « apologie du terrorisme », en falsifiant de nouveau les preuves, comme la fois précédente. L’évidence et l’impudence d’une telle falsification ne les embarrassent pas du tout. C’est comme s’ils nous disaient : « Nous pouvons mettre n’importe qui en prison et cela ne nous coûte rien. » Nous constatons la même arrogance dans de nombreux cas de torture inhumaine pratiqués par les sbires du régime appartenant au FSB. Ils ne se soucient pas que leurs agissements honteux soient rendus publics. Au contraire, ces cas sont exhibés comme une source de fierté. De cette manière, l’État montre sa nature terroriste, comme l’ont souligné les anarchistes avant la dernière élection présidentielle, en descendant dans la rue avec le slogan « Le FSB est le principal terroriste ». Ce que nous avons dit à l’époque est devenu évident non seulement dans notre pays, mais dans le monde entier. Nous voyons aujourd’hui comment l’ensemble de la politique étrangère et intérieure de l’État se transforme en tapis roulant du meurtre et de l’intimidation. Alors que mon accusation est « prouvée » par de faux témoins, on entend sur les chaînes fédérales des appels au meurtre de masse de ceux qui ne sont pas d’accord avec la politique de l’État. Nous voyons que l’État, tout en affirmant lutter contre le terrorisme, cherche en fait à maintenir son monopole de la terreur.
Cependant, quelle que soit la manière dont les tchékistes tentent d’intimider la société civile, même en ces temps sombres, nous voyons des gens courageux affronter la terreur qui a débordé les frontières de l’État. En risquant non seulement leur liberté mais aussi leur vie, leurs actions éveillent la conscience de notre société, dont nous ressentons si durement l’absence, et leur détermination extrême devient un exemple pour nous tous.
L’un de ces exemples est celui de mon ami et camarade Dmitri Petrov (alias Dima l’écolo), qui est mort en défendant Bakhmout contre les troupes impérialistes. Je l’ai connu comme un anarchiste ardent qui, sous la dictature, a fait de son mieux pour nous conduire vers une société basée sur les principes d’entraide et de démocratie directe. Docteur en histoire, il avait des convictions étayées et était capable de bien argumenter sa position, ce qui m’a toujours fait défaut. En même temps, il ne se contentait pas de théoriser, mais participait activement à l’organisation du mouvement de guérilla, ce qui n’a pas échappé à l’attention du FSB. De ce fait, il a été contraint de poursuivre ses activités anarchistes en Ukraine.
Lorsque les sinistres événements de ces deux dernières années ont commencé, il n’a pas pu rester à l’écart, et il a créé une association de libertaires convaincus luttant pour la liberté des peuples d’Ukraine et de Russie. Malheureusement, il n’y a pas de guerre sans victimes, et Dima en fait partie. Il serait d’un égoïsme injustifiable de ma part d’admirer l’abnégation des inconnus sans accepter le sacrifice de ceux qui me sont personnellement chers. J’en suis bien conscient, malgré mon regret que tous mes rapports avec lui appartiennent désormais au passé. Pourtant, j’ai du mal à accepter cette perte : il était l’un des meilleurs d’entre nous et je souhaite faire de mon mieux pour que son sacrifice ne soit pas vain, même si ma contribution est insignifiante par rapport à ce dont il était capable.
Pour certains, mes paroles ont peut-être été inattendues. J’ai pu décevoir des gens qui me soutiennent, car, à mon grand regret, j’ai du mal à m’exprimer publiquement. Peut-être que certains ne seront pas d’accord avec mes convictions qui vont à l’encontre du pacifisme. Cependant, en tant que personne rationnelle, je rejette la croyance en des entités non prouvées. C’est pourquoi je ne crois pas que le monde soit juste et que le mal soit puni, tôt ou tard. Je soutiens donc la résistance active à ce mal et la lutte pour un monde meilleur pour nous tous.
Même si certains de ceux qui me soutiennent ne partagent pas toutes mes convictions, je leur suis reconnaissant pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée.
Je suis reconnaissant à tous ceux qui m’ont écrit des lettres pleines de chaleur et de bons vœux. Malgré l’éloignement de ma colonie, j’en ai reçu des piles presque chaque semaine. Je suis sûre qu’une telle attention à mon égard fut prise en compte par les geôliers qui voulaient me briser. Je trouve très agréable et touchant que les gens partagent avec moi leur vie, avec leurs impressions joyeuses, leurs expériences heureuses. Chaque lettre était très chère à mon cœur et je n’en ai laissé aucune sans l’avoir lue.
Un grand merci à tous ceux qui m’ont soutenu financièrement. Grâce à vous, je n’ai eu besoin de rien pendant toutes ces années d’emprisonnement. Il m’est arrivé de manquer d’argent, mais dès que je lançais un appel à l’aide, en quelques jours, mon budget revenait à un niveau confortable. C’est très agréable et impossible à oublier. Je remercie tout particulièrement Vladimir Akimenkov, qui organise depuis plus de dix ans des collectes de fonds pour soutenir les prisonniers politiques, dont moi.
Je suis extrêmement reconnaissant aux activistes des collectifs FreeAzat et Solidarity FreeAzat qui organisent des actions et des événements en solidarité avec moi, dont l’ampleur me dépasse. Votre récente action « Mille et une lettres » était l’une d’entre elles. Après avoir lu toutes ces lettres, j’ai été agréablement surpris d’apprendre que des personnes de dizaines de pays différents s’inquiètent pour moi. Merci beaucoup à tous ceux qui ont participé à cette campagne et qui m’ont montré à quel point ils me soutenaient.
Je suis très reconnaissant aux mathématiciens du monde entier, et en particulier au « Comité Azat Miftakhov », de m’avoir soutenu au sein de la communauté mathématique. Je suis très touché par le fait que des personnes que j’admire et dont je rêve d’atteindre un jour le niveau scientifique connaissent mon existence et expriment leur solidarité.
Merci beaucoup à tous ceux qui ont parlé publiquement de moi. Je remercie tout particulièrement Mikhail Lobanov, qui a dû émigrer en France pour me soutenir activement. Malgré toutes les difficultés de l’émigration, sa solidarité avec moi est plus forte que jamais.
Un grand merci aux militants russes, y compris ceux qui ne font pas partie des collectifs susmentionnés, qui risquent leur confort en se solidarisant avec moi face à la dictature. Je suis très reconnaissant envers toutes les personnes qui sont venues me soutenir au procès par leur présence. Certains d’entre vous ont parcouru des centaines de kilomètres pour le faire, et d’autres l’ont fait à plusieurs reprises. J’ai été une fois de plus agréablement surpris par une telle attention à mon égard.
Je remercie tous les journalistes honnêtes qui, par leur travail, aident le public à suivre mon procès.
Je remercie mon avocate, Svetlana Sidorkina, pour le dévouement dont elle a fait preuve. Je ne cesse d’admirer son professionnalisme et je suis convaincu que j’ai beaucoup de chance de l’avoir. Enfin, je voudrais remercier Lena, mon principal soutien lors de mes procès. Elle m’a aidé avec tout son dévouement à surmonter toutes les difficultés de mon emprisonnement. Et en plus, j’ai la chance d’être amoureux d’elle.
En terminant mes remerciements, j’ai le sentiment que quelqu’un a peut-être été oublié. C’est la conséquence de l’immense soutien dont je bénéficie depuis mon arrestation. Je suis heureux de constater que je ne suis pas le seul à avoir été le bénéficiaire d’un tel soutien. Que malgré les sombres événements de ces dernières années, votre solidarité ne connaît pas de frontières. C’est ce qui me donne l’espoir d’un avenir radieux pour nous tous.
Traduit du russe par Desk Russie. Lire la version originale.
Mathématicien, militant anarchiste et prisonnier politique.