Demain, la France contre l’Ukraine ? Un élan brisé

Alors que la France avait accompli ces derniers mois des progrès conceptuels remarquables dans son soutien à l’Ukraine, une victoire de l’extrême droite pourrait les remettre en question au pire moment. Paris apparaissait comme l’un des meilleurs amis de Kyïv en Europe ; la France se retournerait alors en l’un de ses pires ennemis tandis que, précisément, elle semblait annoncer une compréhension nouvelle des enjeux de la guerre totale russe contre l’Ukraine et les démocraties. Le scénario d’une grande coalition hors RN permettrait de sauver le soutien à l’Ukraine dans l’immédiat, mais il n’est pas certain que la France puisse encore jouer le rôle de moteur.

Tout semblait avoir bien commencé. Au cours des mois qui ont précédé l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron paraissait avoir accompli un changement de cap bienvenu commencé lors de son discours du 31 mai 2023 à Bratislava au Globsec. Dans ce discours, il avait effectué une sorte de mea culpa implicite, soulignant notamment que le fait de ne pas avoir écouté suffisamment les avertissements des pays d’Europe centrale et orientale à propos de la menace russe avait été une faute. Il avait même considéré que le sommet de l’OTAN à Bucarest en avril 2008 avait conduit à une erreur dès lors que le refus d’accorder une voie d’adhésion à la Géorgie et l’Ukraine à l’Alliance atlantique ne s’était accompagné d’aucune garantie réelle de sécurité et de protection. Il s’était ensuite démarqué de Washington et de Berlin qui avaient refusé de dessiner une perspective d’intégration à l’OTAN de l’Ukraine lors du sommet de Vilnius des 11 et 12 juillet 2023. À compter du 26 février de cette année, il avait refusé d’exclure l’envoi de troupes au sol à l’Ukraine, suscitant un flot d’attaques d’une partie de la classe politique, en particulier des extrêmes. D’abord réticents, plusieurs pays de l’Union européenne s’étaient ensuite ralliés à ce principe. Surtout, le président français avait clairement déclaré qu’il ne souhaitait plus qu’on se fixât des lignes rouges dans notre action et qu’on « achetât » celles de la Russie. Il avait insisté sur ce qu’il appelait « l’ambiguïté stratégique ». Comme d’autres pays de l’Alliance, il avait accepté également que Kyïv fût autorisé à frapper dans certaines conditions des cibles militaires sur le sol russe avec des armes françaises. Enfin, en recevant le président Zelensky trois jours avant ce dimanche fatidique, il avait annoncé l’envoi à l’Ukraine de Mirage 2000-5 et d’instructeurs militaires dans le cadre d’une coalition plus large.

Soyons clairs : si, à la suite du second tour de scrutin des élections législatives, l’extrême droite et ses alliés remportent la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale et forment un gouvernement, tout ceci sera remis en cause. On doit même s’attendre à ce que les livraisons d’armes déjà prévues soient annulées, que le budget consacré à l’aide militaire à l’Ukraine — directement ou par des transferts à l’Union européenne — soit considérablement diminué, que la surveillance de l’application des sanctions soit largement érodée ainsi que le début de la lutte contre les ingérences étrangères, notamment au moyen de Viginum. Le reste devrait suivre : un gouvernement d’extrême droite plaiderait pour la levée des sanctions et le non-transfert des avoirs gelés de la Banque centrale russe à l’Ukraine. Ce gouvernement se présenterait en avocat de la « paix », dont on sait qu’elle signifierait un gel territorial aux conditions de la Russie. Celle-ci recommencerait ses attaques par la suite et cette victoire pour Poutine serait un signal encourageant aux autres dictatures révisionnistes de la planète, Chine populaire, Iran, Corée du Nord et Syrie notamment. Même si Jordan Bardella a plaidé pour le maintien des alliances actuelles « pour le moment », le projet énoncé par Marine Le Pen dans son programme de 2022 d’un retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN et d’une dénonciation des différents accords qui lient Paris à ses partenaires outre-Rhin et outre-Atlantique deviendrait progressivement réalité, en particulier si elle devait être élue présidente de la République en 2027. Les services de renseignement occidentaux cesseraient vraisemblablement de partager avec la France leurs informations sensibles. La France deviendrait l’ennemie de l’Ukraine et des démocraties.

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Jordan Bardella au salon Eurosatory, à Villepinte, le 19 juin dernier // Compte X de Bardella

Homme malade de l’Europe, la France serait isolée au sein de l’UE et de l’Alliance ; elle perdrait toute crédibilité et serait l’objet d’une méfiance empêchant toute coopération. Le projet économique, doctrinal et institutionnel de l’extrême droite serait incompatible avec son maintien au sein de l’Union européenne. Au-delà de ce « frexit » annoncé, quoique le Rassemblement national en ait officiellement abandonné l’idée, c’est toute la politique étrangère française établie depuis plus de soixante ans qui prendrait une trajectoire inverse de ce qu’elle fut. Un jour peut-être, la France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, joindrait son veto à ceux de la Russie et de la Chine sur des résolutions favorables au droit international.

Il ne semble pas que la possibilité d’une telle régression de l’autre côté du miroir ait d’ailleurs été prise en compte dans la décision du président de dissoudre l’Assemblée nationale, comme si tout ce qu’il avait affirmé précédemment n’avait finalement qu’une valeur secondaire et que la guerre de la Russie contre l’Ukraine et contre nous n’était pas première dans la hiérarchie des priorités.

C’est précisément à la situation en Ukraine qu’il faut revenir. Lors de mon déplacement à Kyïv, en mars 2024, l’inquiétude se portait d’abord sur les États-Unis, alors que la Chambre des Représentants bloquait encore le paquet d’aide américaine et que des déclarations de l’administration Biden elle-même semblaient augurer un soutien timide. On se rappelle à ce sujet les déclarations américaines s’alarmant des frappes, légales en droit international, de l’Ukraine contre des raffineries russes. Les regards se tournaient alors avec espoir vers la France. Lors de mon dernier voyage en Ukraine, début juin, un début de confiance, certes encore fragile, avait été rétabli avec Washington et la France était vue comme une force motrice en Europe. Pour autant, l’inquiétude principale était que la stratégie de moyen terme des puissances occidentales ne paraissait toujours pas se dessiner. On voyait certes avec espoir l’annonce de la livraison d’armes nouvelles permettant de mieux protéger les villes ukrainiennes et de mieux résister aux nouvelles offensives russes, mais beaucoup doutaient de la volonté des Alliés d’aider l’Ukraine à gagner et pas seulement à se protéger et à se défendre. Pour autant, les déclarations d’Emmanuel Macron semblaient une frêle lueur d’espoir : peut-être au moins avait-il compris que l’Ukraine ne pourrait pas, seule, repousser l’ennemi et qu’il faudrait un engagement plus direct des Alliés. Il avait au moins eu le mérite de lever le tabou que représentait encore celui-ci.

La question posée, fût-ce implicitement, était celle-ci : aider l’Ukraine massivement sans intervenir pouvait-t-il suffire pour qu’elle expulse la totalité des forces russes de son territoire ? La réponse était assurément non. Certains stratèges américains ont sans doute fait la même analyse, tout en en tirant la conclusion opposée : puisque les Ukrainiens ne peuvent gagner la guerre tout seuls, nous ne devons pas intervenir mais au contraire chercher à l’arrêter en parvenant à un prétendu équilibre. Pourtant, celui-ci est inacceptable pour l’Ukraine, en termes de droit international et pour la crédibilité même de la puissance de l’Alliance. Cela signifierait que, en fin de compte, l’agression paie puisque Moscou conserverait certains territoires et cela apparaîtrait comme une trahison des engagements de la quasi-totalité des chefs d’État et de gouvernements démocratiques sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Cela équivaudrait également à un permis de tuer conféré à Poutine puisqu’on sait que, dans les territoires occupés, les tortures, exécutions sommaires et déportations d’enfants constituent la norme. Certains Ukrainiens sont tentés aussi de récuser cette hypothèse pour une autre raison : ils estiment en effet que le futur de l’Ukraine sera d’une certaine manière plus grand s’ils parviennent à montrer à la face du monde qu’ils peuvent seuls, pourvu qu’ils soient aidés, défaire les Russes. Mais peu d’analystes militaires considèrent que cela soit possible. De surcroît, le coût d’une telle option sera encore plus insensément élevé pour le peuple ukrainien.

Mais dire aujourd’hui que gagner la guerre supposera nécessairement un engagement des forces alliées, dont le niveau sera à déterminer de manière pragmatique, c’est briser un non-dit — et plus gravement un non-pensé. L’hypothèse, pourtant présentée avec beaucoup de retenue, d’un possible envoi de troupes au sol par Emmanuel Macron, avait suscité, nous l’avons rappelé, une certaine émotion, alors même qu’il évoquait une étape logique, potentiellement nécessaire, même s’il ne s’était pas étendu sur les différents scénarios qu’elle ouvrait. Parler aujourd’hui de guerre de notre côté — en prononçant le mot — constitue une plongée dans un abîme plus redoutable. Mieux vaut pourtant y penser avant, non point pour en rejeter l’hypothèse, mais pour la regarder en face.

Ne refaisons pas ici toute l’histoire de la guerre totale russe contre l’Ukraine. Rappelons seulement que, au début, l’aide occidentale était très mesurée. Certains avaient même introduit la distinction, peu pertinente en termes militaires, entre les armes défensives et les armes offensives. Kyïv, disait-on parfois, peut utiliser les premières, mais non les secondes. Puis sont vite arrivées des armes de combat, les crimes génocidaires de Boutcha et la puissance de la résistance ukrainienne étant passés par là, mais il a fallu encore attendre pour que les armes les plus lourdes soient livrées — les avions F-16 ne devraient arriver que prochainement, et encore en très petit nombre. La Belgique vient aussi d’annoncer la fourniture de tels avions, geste certes à saluer, mais qui ne devraient arriver qu’en… 2028 ! Cela rejoint la phrase, maintes fois prononcées par des dirigeants occidentaux, que la guerre serait longue, alors que, si les Alliés l’avaient voulu, ils auraient pu gagner la guerre dès cette année-là. Songeons aux dizaines, voire à la centaine de milliers de vies qui auraient été sauvées ! Nous aurions aussi fermé à la Russie toute faculté de se réarmer et de passer en économie de guerre.

La contre-offensive ukrainienne de l’été et de l’automne 2023 n’a pas été couronnée de succès essentiellement parce que toutes les armes n’avaient pas été livrées, ni en termes de nombre, ni en termes de performance. Beaucoup ont alors dit à raison que l’Ukraine était sommée de combattre les mains liées derrière le dos. Certains ont même eu l’outrecuidance de reprocher à Kyïv ces insuccès, alors qu’aucune des armées de l’OTAN n’aurait lancé, a fortiori remporté, une contre-offensive dans ces conditions. Chacun sait également qu’une offensive, d’autant plus dans de telles conditions, est considérablement plus coûteuse en vies humaines qu’une action défensive. Une contre-offensive victorieuse, déjà, aurait supposé que l’Ukraine ait les moyens de frapper dans la profondeur du dispositif ennemi au moyen de missiles à longue portée et d’avions de chasse afin de couper la logistique de l’approvisionnement des forces ennemies. On sait que cela ne fut pas le cas.

Aujourd’hui, l’Ukraine est dans une position défensive. Les paquets d’armes nouvelles qui devraient arriver trop progressivement à l’Ukraine lui permettront au mieux de tenir et non de lancer une nouvelle offensive. Il faudra nécessairement de nouvelles aides substantielles pour qu’elle puisse reconquérir le pays.

C’est là que l’on mesure la réalité de la guerre ou, plus exactement, de la contre-guerre que l’Ukraine doit livrer à la Russie pour contrer celle que Moscou a portée. Non seulement, comme certains manuels de stratégie nous l’apprennent, la meilleure défense est dans l’attaque, mais le but même de l’Ukraine et le nôtre ne sauraient être limités à la défense du territoire non occupé par l’envahisseur russe. La seule guerre envisageable et nécessaire pour l’Ukraine et pour nous est une guerre de reconquête des territoires aujourd’hui occupés, sans aucune exception. Plus encore, notre but est d’assurer de tout mettre en œuvre pour que les criminels, tant donneurs d’ordre qu’exécutants, soient jugés et punis par la justice internationale. Il est d’exiger le retour des enfants ukrainiens déportés en Russie et le paiement sur la durée de l’ensemble des dommages de guerre. Il est enfin l’obtention de garanties de sécurité crédibles pour l’Ukraine au sein de l’OTAN et de l’Union européenne.

Si l’on se place dans cette perspective-là — il ne saurait y en avoir d’autre —, il faut nécessairement passer de la défense à l’attaque. C’est la seule condition de sécurité non seulement pour l’Ukraine, mais pour l’ensemble des pays européens. La plupart des gouvernements démocratiques commencent enfin à le percevoir et même à le formuler en ces termes. C’est à ces considérations qu’il faut articuler la question de l’engagement des pays de l’Alliance dans la guerre. Pouvons-nous sérieusement estimer que l’Ukraine pourra seule repousser l’ennemi hors de ses frontières ? En admettant même qu’elle puisse y parvenir, certes avec les armes occidentales et, de plus en plus, les siennes propres qui ont témoigné de leur efficacité, cela suffira-t-il pour que la Russie tombe de telle sorte qu’elle soit obligée de céder sur les autres points (justice internationale, retour des enfants, compensation des dommages de guerre) ? Il est plus que hasardeux de le penser. Dès lors, à quel niveau de puissance et d’implication l’engagement des pays occidentaux sera-t-il requis ? Pourrons-nous nous contenter de frappes aériennes opérées avec une certaine distance avec quelques centaines ou milliers d’instructeurs et « d’assistants » au sol ou conviendra-t-il d’envoyer combattre sur le terrain des dizaines de milliers d’hommes ?

Personne parmi les dirigeants politiques occidentaux ne peut échapper à ces questions et faire semblant de les ignorer, quand bien même aucun ne les expose dans le détail de manière publique.

Dès qu’on évoque la perspective non pas d’une guerre que mènent jour après jour, avec un courage inouï, les Ukrainiens, mais la guerre dans laquelle nous pourrions être directement impliqués, donc littéralement ce que j’avais appelé Notre Guerre, une peur irrépressible tend à surgir. Certes, chacun peut et doit le comprendre, encore plus les populations européennes, en particulier à l’ouest, auxquelles on avait vanté la fin des guerres sur leur territoire. L’espoir que l’Europe signifierait la paix n’était pas insensé ; il était, plus encore, le plus beau des projets qui puissent être ; mais l’anticipation était trop confiante et précipitée. Une large partie des peuples européens est finalement balancée entre le sentiment d’une peur profonde de la guerre et celui de son irréalité. Elle ne veut pas voir que la guerre est déjà là ; elle refuse de considérer que la guerre russe contre l’Ukraine est le prélude catastrophique à une opération potentiellement plus large, quelles que puissent en être les formes exactes.

Poutine, depuis longtemps, joue allègrement avec cette peur que l’extrême droite, principalement, relaie en France. Cette peur a réussi à dissuader les gouvernements occidentaux pendant au moins 22 ans. Cette peur, sans doute s’est-elle atténuée depuis le 24 février 2022 et les dernières décisions, certes encore incomplètes et limitées, de la plupart des gouvernements occidentaux importants d’autoriser Kyïv à attaquer certaines bases en Russie avec leurs armes, est un premier pas dans ce reflux de la peur. Pour autant, cette peur demeure encore en large partie et cela contribue à expliquer pourquoi la plupart des chefs d’État et de gouvernement des pays démocratiques rechignent encore à parler de la nature exacte de la guerre russe et de sa possible extension. Beaucoup continuent de souligner que « nous ne sommes pas en guerre avec la Russie » — comme si Moscou ne nous faisait pas la guerre — ou préfèrent utiliser le terme conflit, comme pour ne pas prononcer le nom de l’agresseur.

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TF1, capture d’écran

Avec l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en France — sans même parler de la perspective d’une élection de Trump le 5 novembre —, le discours de peur reprendra le dessus. Non seulement la Russie continuera d’utiliser sa vieille tactique rhétorique du chantage nucléaire, qui serait abondamment relayée par les nouveaux officiels, mais elle pourrait faire un usage encore plus intensif d’autres procédés de déstabilisation, ce qu’elle a commencé à faire et ce contre quoi mettent en garde plusieurs services de renseignement, notamment attentats terroristes, incendies volontaires et destruction d’infrastructures critiques (énergie, eau, téléphonie). L’extrême droite ne pourrait que les amplifier, effrayant l’opinion, pour demander qu’on s’asseye à la table de négociations — une manière de laisser tomber l’Ukraine. Le régime de Poutine serait alors bien armé pour continuer sa politique de mainmise et d’agression ailleurs (Géorgie, Bélarus, Moldavie, Arménie, Afrique, Syrie notamment) et pour fidéliser certains de ses Alliés (Hongrie, Slovaquie, Serbie et désormais France).

Alors que nous avons besoin d’une résolution ferme d’aller jusqu’au bout pour faire plier Moscou et de préparer les opinions à un engagement plus marqué dans la guerre, la France ferait l’inverse et abandonnerait le combat. Cela serait un retour au pacifisme des années 1930 et, dans un autre contexte, de la guerre froide. Alors que Paris commençait à redevenir le centre stratégique de l’Europe et, potentiellement, le vecteur en Europe occidentale d’une conscience européenne pour l’instant incarnée par la plupart des pays d’Europe centrale et orientale ainsi que nordique, elle passerait du côté de la honte et du déshonneur. Les Alliés se mettent à réfléchir aux scénarios d’un retrait français et aux mesures d’urgence qu’ils pourraient prendre. C’est déjà un signe de notre marginalisation.

Alors que les opinions publiques commençaient à comprendre, encore que timidement, ce qui était en cause avec la guerre russe et l’impossibilité de vivre en paix avec le régime au pouvoir à Moscou, une victoire de l’extrême droite leur ferait parcourir le chemin inverse. Elles commenceraient à estimer que, contre toute réalité, on pourrait continuer à vivre avec la Russie telle qu’elle est à nos portes. Nous reprendrions le chemin de la dépendance envers les matières premières russes et, au lieu d’une nécessaire économie de guerre, nous aurions une économie assujettie, donc plus fragile, et soumise au diktat de Moscou sur les cours de l’énergie.

Certes, le pire n’est pas certain. Le scénario d’une grande coalition, ou gouvernement d’union nationale hors le Rassemblement national dès lors que celui-ci n’obtiendrait pas, avec ses alliés, la majorité absolue, permettrait de sauver, au moins pour l’instant, le soutien à l’Ukraine. Mais il est peu probable que, compte tenu des risques d’instabilité, la France puisse continuer à jouer le rôle d’une force motrice dans le monde. De surcroît, cela ne permettrait pas de lever la menace de l’extrême droite, qui vient de recevoir un soutien marqué de Moscou. Là aussi, une défaite de la Russie en Ukraine permettrait, certes non pas de faire refluer ce poison mortel pour les démocraties, mais au moins de limiter une propagande russe particulièrement active.

Si l’extrême droite prévaut dans les urnes, détruisant progressivement les règles de droit et mettant en cause la valeur des grandes déclarations de droit supranationales — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Convention européenne des droits de l’homme, Charte des Nations Unies, Convention de Paris, etc. —, la France emprunterait une voie russe, tant sont grandes les affinités idéologiques de l’extrême droite et du poutinisme. Ce serait la France de Montoire. Cela se traduirait par un Nuremberg à l’envers où les crimes cesseraient d’être punis et obtiendraient droit de cité. Le droit constitutionnel autant que le droit international seraient jetés aux oubliettes pour servir une politique de discrimination à l’intérieur et de soutien à l’agression à l’extérieur. Alors qu’on espérait un 1945, nous en contemplerions l’inverse.

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Non-resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogger sur Tenzer Strategics. Analyste des questions internationales et de sécurité, ancien chef de service au Commissariat général du Plan, enseignant à Sciences-Po Paris, auteur de trois rapports officiels au gouvernement et de 23 ouvrages, notamment Quand la France disparaît du monde (Grasset, 2008), Le Monde à l'horizon 2030. La règle et le désordre (Perrin, 2011), avec R. Jahanbegloo, Resisting Despair in Confrontational Times (Har-Anand, 2019) et Notre Guerre. Le crime et l'oubli : pour une pensée stratégique (Ed. de l'Observatoire, 2024).

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