La révolution américaine et le conflit en Ukraine

Il devient de plus en plus évident que les changements prônés par Donald Trump, son entourage, ainsi qu’une grande partie de la high-tech et des banques américaines devraient être qualifiés de révolution ou, pour le moins, d’une démarche révolutionnaire1. Le principe même de MAGA (Make America Great Again) repose non pas sur des valeurs humanistes et morales, des institutions démocratiques, une justice indépendante, la solidarité entre les pays occidentaux, etc., mais sur un système de « deals Â», à savoir des arrangements, des marchés, des transactions conclus entre des parties. Dans ces deals, la première puissance du monde, les États-Unis, traitera avec d’autres pays uniquement d’une position de force.

Ohé, Canada, vous ne voulez pas devenir le cinquante-et-unième État de notre pays ? On vous écrasera de taxes et pire encore, si vous résistez. Ohé, Danemark, vous ne voulez pas nous céder le Groenland ? On vous le prendra de force, car nous en avons besoin. Ohé, pays de l’OTAN, vous ne voulez pas augmenter votre versement à la caisse commune jusqu’à 5 % de votre PIB respectif ? Eh bien, je ne lèverai pas le petit doigt pour vous défendre. Ohé, la Russie, vous ne voulez pas arrêter cette « guerre stupide Â» avec l’Ukraine ? Malgré ma sympathie personnelle pour Vladimir Poutine, ce « great guy Â», ainsi que pour le peuple russe, qui aurait perdu 60 000 000 de personnes (sic !), en aidant les États-Unis à gagner la Seconde Guerre mondiale (sic !), si vous n’arrêtez pas, on renforcera la puissance militaire de l’Ukraine et vous imposera encore plus de taxes !

La liste est déjà longue, et elle risque de s’allonger encore. Dernière idée de Trump : déplacer intégralement la population gazaouie vers la Jordanie et/ou vers l’Égypte, pour tout déblayer et y bâtir de « belles choses Â». En tant que promoteur immobilier, il rêve sûrement de transformer la bande de Gaza en un paradis touristique. Et comme c’est un homme peu cultivé, il n’a peut-être jamais entendu parler de l’existence des camps de réfugiés palestiniens qui se trouvent en Jordanie, en Égypte, au Liban etc. depuis des dizaines d’années…

J’évoque ces idées de Trump pour essayer de comprendre à quoi il faut s’attendre pour son deal concernant l’Ukraine. Le peuple ukrainien a versé et continue de verser son sang, pour ne pas se retrouver sous la domination russe. Il a choisi la voie européenne, se prépare pour intégrer l’UE et l’OTAN, combat la corruption, se débarrasse de l’oligarchie, développe la société civile et la justice indépendante. Péniblement, il avance, malgré la guerre. Et c’est là que le bât blesse. Car Trump n’a ni empathie ni respect pour les valeurs européennes ou pour le droit international. L’agression russe ne peut vraiment gêner celui qui est prêt à s’emparer de force des territoires d’autres pays souverains. Si POTUS ne veut pas que la guerre continue, c’est parce que cela coûte de l’argent à l’Amérique, et puis parce que l’arrêt de la guerre lui permettrait de rétablir une bonne entente avec la Russie et de faire d’ « excellentes affaires Â», aussi bien avec celle-ci qu’avec l’Ukraine pacifiée qui aura besoin de reconstruction. Oh, son flair de promoteur immobilier est toujours à l’affût d’opportunités, n’en doutons pas !

Volodymyr Zelensky a senti avant l’élection de Trump que le vent tournait. En pur pragmatique, il a compris que celui-ci était capable de « lâcher Â» l’Ukraine, à moins qu’on ne lui propose des deals, et il lui a en effet suggéré d’associer les industriels américains à l’exploitation des richesses minières ukrainiennes, y compris des terres rares, ou encore d’envoyer des soldats ukrainiens dans des bases américaines en Europe pour y remplacer les Américains.

Depuis le début de la guerre, Zelensky se bat comme un lion pour obtenir un soutien international pour l’Ukraine, pour recevoir des armements et une aide économique indispensable, pour négocier une paix durable et juste pour son pays martyrisé. Mais un deal avec Trump est-il possible ? Et quel deal ? N’oublions pas que la Russie peut toujours proposer davantage à Trump, car elle est simplement plus riche que l’Ukraine.

Revenons alors à l’essentiel. L’Europe et plusieurs autres pays occidentaux se sont impliqués en Ukraine pour ne pas permettre à la Russie de gagner. Non pas au nom de deals, mais parce que, jusqu’à l’avènement de Trump, tous les Occidentaux partageaient les mêmes valeurs avec l’Ukraine : état de droit et démocratie. Dans notre paradigme, un chat était un chat, et un agresseur un agresseur. De quel droit deux impérialistes, Poutine et Trump (après ses déclarations sur le Groenland, le canal du Panama, le Canada et Gaza, il faut le nommer ainsi), vont-ils régler le sort de l’Ukraine ?

Il est clair que si l’Ukraine est abandonnée par tous ses alliés, son combat se transformera en Massada, cette forteresse occupée par un millier d’Hébreux qui, au Ier siècle après J.-C., ayant subi un siège romain de plusieurs mois, ont choisi de mourir plutôt que de devenir esclaves. Heureusement, ce scénario ne se réalisera pas. L’Ukraine n’a pas besoin de conclure des deals avec l’administration Trump, car son combat est non seulement sur les champs de bataille, mais aussi sur ceux de la morale et de la justice. Si l’Europe, malgré les sirènes de Trump ou de Poutine qui tentent de séduire certains dirigeants de pays européens, veut rester la digne héritière de la cité grecque, des Lumières, de Tocqueville, de Churchill, de Jan Palach, elle restera aux côtés de l’Ukraine jusqu’à la victoire.

Au début de mon éditorial, j’ai utilisé le mot « révolution Â» en parlant du régime que Donald Trump veut instaurer en Amérique : la gérer comme une entreprise, faire taire les voix critiques, influencer la population via les algorithmes des réseaux sociaux, chasser manu militari des millions de migrants traités comme des criminels, abolir les programmes de « diversité et inclusion Â» dans l’administration, expulser les transgenres de l’armée, etc. S’il réussit, ce sera un rude réveil pour l’Europe, qui devra s’opposer non seulement à l’axe Russie-Chine-Iran-Corée du Nord, mais aussi… aux États-Unis.

Là encore, ce scénario ne se réalisera probablement pas. À la différence de la Russie, le peuple américain, qui s’est battu pour la démocratie et la liberté pendant près de deux siècles, est suffisamment fort pour empêcher les États-Unis de s’autodétruire sous la houlette de Donald Trump. Ainsi, le décret retirant le droit du sol sous certaines conditions a immédiatement été contesté en justice par vingt-deux États américains. Et ce n’est que le début. 

galina photo

Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.

Notes

  1. Voir la définition de « révolution Â» par Larousse : « Changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d’un État, qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir. Â» Le fait d’avoir gagné l’élection présidentielle ne change rien quant à la nature des changements proposés.

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