Comment expliquer les massacres à Boutcha ? Pour le célèbre journaliste ukrainien, il faut parler de l’ultime objectif de Vladimir Poutine : détruire l’Ukraine et déraciner les Ukrainiens.
Boutcha, Vorzel, Irpin… Pour moi, comme pour beaucoup d’habitants de Kyïv, ce sont des souvenirs d’enfance, la forêt, le lac, les champignons dans les bois, les fraises, la pluie d’été, les arcs-en-ciel, le lait frais, les jeunes parents… Que d’associations heureuses !
Désormais, le monde entier et moi allons associer ces noms à la mort. Meurtres, tortures, brimades, charniers, cadavres dans les rues. C’est ce que sont Boutcha, Vorzel, Irpin maintenant. Auparavant, ces noms n’étaient connus que de nous. Maintenant, tout le monde les connaît. Et on se souviendra d’eux même lorsque le mot « Poutine » sera oublié, faute de demande. Et même lorsque le mot « Russie » sera oublié. Pourquoi pas ? Qui se souvient aujourd’hui des noms des pays qui avaient exterminé les Juifs dans les temps anciens ? La Bible ne préserve pour l’humanité que le souvenir de l’extermination et de ceux qui l’ont empêchée.
Je ne peux pas dire que je sois surpris par cette nouvelle. Stupéfait, choqué, bouleversé — mais pas surpris, non. Dans les années 1930, mes collègues essayaient de persuader le monde que Staline était en train de pratiquer l’extermination du peuple ukrainien — le monde ne les a pas crus ; beaucoup croyaient que le Holodomor n’était dû qu’aux « excès » de la politique économique des bolcheviks. L’ampleur de l’atrocité n’est apparue clairement qu’une décennie plus tard. Quelques années après, nombreux étaient ceux qui savaient que l’objectif de Hitler était l’anéantissement complet des Juifs, mais le monde ne les croyait pas. L’ampleur des atrocités n’est apparue que lorsque les Alliés sont entrés dans les camps de concentration, et il a fallu des années pour comprendre les dimensions de la catastrophe.
Dès les premiers jours de cette guerre, j’ai averti que son objectif principal n’était pas simplement l’occupation des terres ukrainiennes, mais l’extermination et l’expulsion massives du peuple ukrainien. Le président de l’Ukraine n’a pas été cru lorsqu’il a comparé cette guerre à l’Holocauste. Dommage ! C’est l’Holocauste et le Holodomor en même temps, car Poutine détruit et les gens et les infrastructures ! Son armée fait tout pour que les gens soient tués et obligés de partir — et qu’ils n’aient aucune chance de survivre. Poutine n’a pas besoin des Ukrainiens, même en tant que nation conquise, il les craint et les déteste. Il a besoin de centaines de kilomètres de terres dévastées pour y placer des missiles — c’est tout. Pourquoi ? Et pourquoi Staline avait-il besoin que les campagnes ukrainiennes soient dévastées, alors que l’URSS manquait perpétuellement de pain ? Pourquoi Hitler avait-il besoin de millions de cadavres juifs ? Pour faire quoi ? Pourquoi Poutine a-t-il besoin de ces terres dévastées, alors que la province russe elle-même est indigente ? Avez-vous besoin de trouver une réponse à cette question ?
Je vais la trouver pour vous. C’est mon travail, je peux donner une longue conférence sur cette folie. Et la Cour pénale internationale la trouvera, elle a des spécialistes qualifiés. Mais pourquoi essayer de deviner la logique d’un paranoïaque ? Pourquoi passer des heures à essayer de comprendre les objectifs d’un État entier, devenu une organisation terroriste commettant des crimes contre l’humanité ?
Il est important de saisir le but, l’objectif. L’objectif, je le répète, est la destruction et l’expulsion du peuple ukrainien de sa terre natale. L’objectif est le génocide. Et cela est devenu évident non pas après quelques décennies, non pas après quelques années, mais après quelques semaines. Je ne vous ai pas menti en vous mettant en garde. Je n’ai pas exagéré. C’était un constat très factuel. Et donc, qu’importent les mensonges que les Russes racontent, ou même les armes qu’ils choisissent. La seule chose qui compte, c’est l’objectif qu’ils poursuivent. Ce qu’ils visent.
Et le salut, malheureusement, ce n’est pas la neutralité de l’Ukraine ou notre « renoncement aux armes nucléaires », comme si nous en avions. Non, le salut viendra d’une démilitarisation, d’une dénucléarisation et d’une dénazification de la communauté terroriste qui porte le nom tapageur de Fédération de Russie.
Parce que nous sommes tout simplement les premiers sur la liste des cibles. Mais, croyez-moi, nous ne sommes pas les derniers. L’existence du régime de Poutine est une menace directe pour l’humanité et les êtres humains. Un danger absolu.
Soit l’humanité s’en rendra compte, soit elle disparaîtra plus vite que nous ne pouvons l’imaginer. Et les futurs visiteurs de cette planète mutilée pourraient même décider que son vrai nom était la planète Boutcha. Et pas une Terre quelconque.
(Le texte a été publié en ukrainien sur la page Facebook de l’auteur, le 3 avril 2022.)
Vitaly Portnikov est l’un des plus célèbres journalistes ukrainiens. Esprit analytique, il a travaillé aussi bien pour la presse écrite que pour la télévision. Il a toujours activement soutenu le combat des Ukrainiens pour la liberté, notamment pendant l’Euromaïdan.