Le projet Ā« La douleur des autres Ā», prĆ©sentĆ© au centre dāart contemporain DOX Ć Prague jusquāau 16 avril, est nĆ© des consĆ©quences de lāinvasion de lāUkraine par la Russie et des atrocitĆ©s innommables commises par lāarmĆ©e russe. Lāambition des artistes est dāaborder, Ć travers cette guerre, une expĆ©rience humaine universelle ā notre capacitĆ© Ć ĆŖtre touchĆ©s par la douleur et la souffrance des autres Ć travers lāart.
Le 12 dĆ©cembre, lāun des fondateurs du collectif dāartistes anonymes Partia miortvykh (Le Parti des morts), Maxim Evstropov, qui a quittĆ© la Russie aprĆØs le dĆ©but de lāinvasion de lāUkraine, a Ć©tĆ© inscrit sur une liste fĆ©dĆ©rale de personnes recherchĆ©es. Les photographies des actions quāil a menĆ©es avec dāautres membres du collectif sont actuellement exposĆ©es Ć Prague dans le cadre de lāexposition intitulĆ©e Ā« The Pain of Others Ā» (La douleur des autres) Ć la galerie DOX. Ce projet est prĆ©sentĆ© juste Ć cĆ“tĆ© du journal visuel de Bohdan Sokour, un artiste ukrainien qui, au moment de lāinvasion, faisait des Ć©tudes de peinture Ć Brno, avant de retourner Ć KyĆÆv, sa ville natale, pour aider ā en tant que volontaire ā ses concitoyens Ć faire face aux consĆ©quences de lāinvasion russe de lāUkraine.

Ces artistes, chacun Ć leur maniĆØre, rĆ©flĆ©chissent au traumatisme quāils ont vĆ©cu le 24 fĆ©vrier. Leurs Åuvres cohabitent dans lāexposition avec des Åuvres dāautres artistes ayant vĆ©cu des expĆ©riences similaires par le passĆ©, par exemple, celles de lāartiste allemand Otto Dix, qui a peint la souffrance des hommes et lāimpossibilitĆ© de rĆ©sister aux circonstances une fois les hostilitĆ©s lancĆ©es. Dans lāAllemagne nazie, lāÅuvre de Dix a Ć©tĆ© dĆ©clarĆ©e Ā« art dĆ©gĆ©nĆ©rĆ© Ā» et, Ć la fin de la Seconde Guerre mondiale, Dix a Ć©tĆ© enrĆ“lĆ© contre son grĆ© dans le Volkssturm, une unitĆ© de la milice nationale.
Plusieurs gravures de la sĆ©rie Les DĆ©sastres de la guerre de Francisco Goya ā des images qui Ć©voquent le caractĆØre impitoyable de lāagresseur ā sont Ć©galement exposĆ©es dans cette galerie pragoise. En 1808, lāEspagne est occupĆ©e par les troupes de NapolĆ©on. Goya est alors le tĆ©moin direct de ces Ć©vĆ©nements et nous montre Ć voir Ć travers ce cycle, entre autres thĆØmes, la souffrance des gens ordinaires.
Lāexposition comprend Ć©galement Oncle Rudi de Gerhard Richter, une Åuvre reprĆ©sentant lāoncle de lāartiste en uniforme de la Wehrmacht, revenu du front pour rendre visite Ć sa famille. Dans cette peinture, que lāon pourrait presque prendre pour une photographie, on voit lāoncle sourire bien que lāimage soit brouillĆ©e. Pourtant, le spectateur sait quāil est mort au front. Richter a peint ce tableau dans lāaprĆØs-guerre, Ć une Ć©poque oĆ¹ la sociĆ©tĆ© allemande se lanƧait dans une rĆ©flexion sur son passĆ© nazi, et oĆ¹ une nouvelle gĆ©nĆ©ration dāartistes cherchait des moyens dāexpression adĆ©quats1.
Ā« Il y a plus de vingt ans sortait lāessai de Susan Sontag Devant la douleur des autres2 dans lequel elle posait une question importante : peut-on montrer la souffrance Ć ceux qui ne lāont pas vĆ©cue eux-mĆŖmes ? Ā» Cāest la question que posent les commissaires dāexposition, nous invitant ainsi Ć nous interroger nous-mĆŖmes en regardant les Åuvres des quarante artistes qui sont prĆ©sentĆ©s dans cette exposition et qui dĆ©veloppent une rĆ©flexion sur la guerre,
Le slaviste et historien de lāavant-garde TomĆ”Å” Glanc est lāun des commissaires de lāexposition. Il nous explique pourquoi, quand une guerre brutale fait rage, il est important de parler de la souffrance quāelle engendre.
Lāessai de Susan Sontag Devant la douleur des autres montre la perception de la guerre par une sociĆ©tĆ© extĆ©rieure Ć la zone de guerre. Elle vise Ć montrer lāimportance de la maniĆØre dont les images de la guerre sont prĆ©sentĆ©es lĆ oĆ¹ la paix est maintenue. Pourquoi cet essai est-il le point de dĆ©part de la rĆ©flexion des commissaires de cette exposition ?
Lorsque nous avons discutĆ© du concept de lāexposition, il nous a semblĆ© que le texte de Sontag nous touchait au point le plus sensible : la souffrance qui est associĆ©e Ć la guerre mais qui ne nous est pas accessible directement. Susan Sontag a Ć©crit son essai en analysant les photographies de guerre et la faƧon dont les mĆ©dias les utilisent pour nous toucher. Nous savons de maniĆØre indirecte que quelque chose de monstrueux se passe quelque part Ć proximitĆ©, mais nous nāy avons pas accĆØs. Et cāest le point de dĆ©part de toute lāexposition. Elle parle de crĆ©ation artistique et Ć©voque des choses monstrueuses : des instants, des Ć©vĆ©nements, des crimes, des processus. Au cours des premiers mois de la guerre, il māa semblĆ© que les beaux-arts et la littĆ©rature devaient se mettre en pause. Mais avec le temps, cette impression a Ć©voluĆ©. Dans cette exposition, la grande majoritĆ© des Åuvres sont rĆ©alisĆ©es par des artistes du monde entier, mais dans le mĆŖme temps, nous nāĆ©vitons pas de parler de politique. Je pense que cāest bien sĆ»r extrĆŖmement important en ce moment. Je ne peux pas me figurer une exposition qui ignorerait lāhorreur dans laquelle nous vivons.

Cette exposition prĆ©sente des Åuvres dāart crĆ©Ć©es lĆ oĆ¹ la guerre se dĆ©roule, en Ukraine. Est-ce que vous pourriez nous en parler ?
La reprĆ©sentation artistique nāest jamais un tĆ©moignage direct. Son fondement mĆŖme, ce sur quoi elle repose, cāest toujours un mĆ©canisme de mĆ©diation quelle que soit la chose reprĆ©sentĆ©e. Les artistes et peintres ukrainiens dont les Åuvres sont incluses dans lāexposition habitent Ć diffĆ©rents endroits dāUkraine. Certains dāentre eux se trouvent Ć KyĆÆv, dāautres sont dans lāest de lāUkraine, dāautres encore se trouvent maintenant Ć lāĆ©tranger. Ćvidemment, il est extrĆŖmement important et intĆ©ressant de savoir comment ces personnes perƧoivent ce qui se passe. Le fait que lāon accorde aujourdāhui une attention particuliĆØre Ć ces artistes et peintres semble tout Ć fait justifiĆ©, car, pendant ces derniĆØres dĆ©cennies, ces personnes ont souvent Ć©tĆ© marginalisĆ©es dans lāhistoire de lāart contemporain, ou perƧues en gĆ©nĆ©ral Ć travers le prisme des galeries et des institutions artistiques moscovites. Souvent, leurs origines ukrainiennes Ć©taient prĆ©sentĆ©es sous la forme dāune note de bas de page dans leur biographie. Maintenant on peut les considĆ©rer diffĆ©remment. Et cāest tout Ć la fois la question de savoir comment on prĆ©sente les choses, comment on les hiĆ©rarchise, et comme on Ć©labore un canon dans lāart contemporain.
Il Ć©tait Ć©galement trĆØs important pour moi que les voix de la Russie soient reprĆ©sentĆ©es. Je suis contre le boycott de lāart russe. Lorsque des artistes ukrainiens insistent sur ce point, jāĆ©coute bien sĆ»r les arguments, mais pour moi, cāest a priori inacceptable, car je connais par exemple depuis longtemps le travail de ChaĆÆm Sokol, dont les Åuvres sont Ć©galement prĆ©sentĆ©es dans lāexposition. Cāest un artiste dāune force extraordinaire, qui travaille sur le thĆØme de la violence depuis de nombreuses annĆ©esā¦ Et cāest lĆ aussi une question intĆ©ressante : comment des Åuvres dāart nĆ©es bien avant la phase actuelle de la guerre peuvent-elles encore sāinscrire dans le prĆ©sent ? Cāest le cas de cet artiste. Il peut aborder des thĆØmes abstraits, ce sont des figures qui vont quelque partā¦ mais cāest tout aussi intĆ©ressant que des Åuvres dans lesquelles on voit transparaĆ®tre lāactualitĆ©. Je suis Ć©galement trĆØs heureux dāaccueillir Partia miortvykh, un collectif artistique russe trĆØs curieux, qui dĆ©veloppe avec audace et crĆ©ativitĆ© un travail sur le thĆØme de la mort et de lāactionnisme politique dans le contexte actuel.

Pourquoi est-il important pour vous que lāart des deux pays figure dans la mĆŖme exposition, malgrĆ© la guerre qui sĆ©vit entre lāUkraine et la Russie ?
Je suis impliquĆ© dans la culture russe depuis des dĆ©cennies, et grĆ¢ce Ć lāexpĆ©rience de lāannĆ©e qui vient de sāachever, je sais quāil y a des gens lĆ -bas qui souffrent vraiment de ce qui se passe et qui sont sincĆØres. Aussi, je ne me permettrai jamais de les priver dāune voix simplement parce quāils ont un passeport russe. Je ne pense pas que vous puissiez dire que tous ceux qui ont un passeport russe sont coupables de cette guerre. Dans ce cas-lĆ , nous devons dire que nous en sommes tous coupables, Ć un degrĆ© ou Ć un autre. Cāest essentiel quāexistent de telles personnes qui non seulement souffrent, mais qui sont Ć©galement capables de transmettre cette souffrance dāune maniĆØre qui, jāen suis sĆ»r, restera dans lāhistoire culturelle comme un acte de rĆ©sistance crĆ©ative, une expression de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je comprends ceux qui, en Ukraine, sont trĆØs prudents quant Ć la mise en relation de ce qui est ukrainien avec ce qui vient de Russie ou qui est culturellement russe. Cāest une rĆ©action normale. On peut tout Ć fait comprendre quāau cours de ces Ć©changes il y ait des dĆ©clarations ou des rĆ©actions qui pourraient sembler injustes ou controversĆ©es dāun point de vue extĆ©rieur. Je pense que cela fait partie de la guerre, et que cāest loin dāen ĆŖtre la pire partie : lāapparition de nouveaux conflits et de nouvelles questions. Je pense que cela va durer de nombreuses annĆ©es. Ce que je dis lĆ , ce nāest que mon opinion subjective. Dāautres opinions existent sur ce sujet et je les respecte et les Ć©coute bien sĆ»r. Pour moi, il est impossible dāexclure du processus culturel et intellectuel tous ceux qui ont un passeport russe, car je sais quāil y a des gens qui ont quelque chose Ć dire. Il est important quāils parlent. Cāest important pour lāUkraine, pour lāavenir de la Russie ā quel quāil soit ā et pour le reste du monde.
Si jāai bien compris, les artistes ukrainiens dont le travail est prĆ©sentĆ© dans cette exposition ont acceptĆ© que leurs Åuvres apparaissent aux cĆ“tĆ©s de celles dāartistes russes. Il y a par exemple un journal ā trĆØs intĆ©ressant Ć mon avis ā en provenance directe des lieux oĆ¹ se dĆ©roulent les combats : il sāagit quasiment dāun reportage en dessins par un artiste ukrainien qui, par ailleurs, a fait ses Ć©tudes en RĆ©publique tchĆØque.
Oui, il sāagit de Bohdan Sokour, qui Ć©tudiait Ć Brno, une ville quāil a quittĆ©e pour sāengager et rejoindre le front. Cāest de lĆ quāil nous a envoyĆ© son journal. On peut y voir Ć quel point il a tournĆ© le dos au langage de lāart moderne, le rĆ©pertoire visuel qui a habitĆ© toute la seconde moitiĆ© du XXsup>e siĆØcleā¦ Il sāest dĆ©barrassĆ© de tout cet hĆ©ritage et a adoptĆ© le langage graphique des enfants de maternelle. Mais dans le mĆŖme temps, il sāagit de tĆ©moignages extrĆŖmement expressifs sur ce qui se produit, sous forme de fragments matĆ©riels ou dāhistoires personnelles. Il dresse les portraits des victimes de la guerre en cours, ce qui, dāune part, renvoie aux aspects pragmatiques de la vie et de la mort, mais dāautre part instaure une distance dāautant plus grande que les moyens expressifs sont primitifs. Lorsque lāartiste se place au niveau de lāillustration simple voire simpliste, cela confĆØre une intensitĆ© extraordinaire Ć lāÅuvre, et induit chez le spectateur une sĆ©rie de questions.

Aux cĆ“tĆ©s dāartistes contemporains ukrainiens et russes, les commissaires ont rassemblĆ© des Åuvres de classiques de lāHistoire de lāart comme Goya, Richter et Dix. Pourquoi avoir dĆ©cidĆ© de mener une rĆ©flexion sur la guerre actuelle en miroir avec dāautres guerres appartenant Ć lāHistoire ?
Cāest un point trĆØs dĆ©licat qui māinquiĆ©tait dĆ©jĆ beaucoup au moment oĆ¹ nous prĆ©parions lāexposition et oĆ¹ nous passions des heures Ć discuter de ce quāil fallait choisir et de ce quāil fallait Ć©viter. Il Ć©tait trĆØs important pour moi de ne pas donner lāimpression que dans notre exposition nous cherchions Ć montrer ce que les guerres avaient Ć©tĆ©, Ć©taient et seraient toujours, que nous tentions dāillustrer avec des Ć©lĆ©ments tirĆ©s de lāHistoire la guerre qui fait rage actuellement. JāĆ©tais trĆØs anxieux Ć ce sujet. Dans lāexposition, nous avons inclus des Åuvres de diffĆ©rentes Ć©poques : du XVIIe siĆØcle, de la guerre de Trente Ans, du dĆ©but du XIXe siĆØcle (Goya), de la Seconde Guerre mondiale (Otto Dix et Gerhard Richter), de la pĆ©riode contemporaine (Christian Boltanski qui a abordĆ© le sujet de lāHolocauste pendant toute sa vie). Parmi les Åuvres de ces artistes, nous avons choisi celles Ć travers lesquelles on ne reconnaĆ®t pas les circonstances historiques de maniĆØre spĆ©cifique, quāil sāagisse de lāHolocauste, de lāIrak et des guerres mondiales. Cela a Ć©tĆ© fait afin de rester au niveau de la perception de la souffrance des autres, pour rester dans le moment que nous vivons actuellement. Dans le mĆŖme temps, je suis trĆØs heureux quāil ne sāagisse pas dāune exposition ukrainienne ou prĆ©tendument russo-ukrainienne, car la souffrance nāest pas un sujet liĆ© Ć tel ou tel peuple ou Ć tel ou tel Ćtat : en rĆ©alitĆ©, cāest un sujet qui nous concerne tous. Il y a ici des artistes dāEurope orientale et dāEurope occidentale, dāAllemagne de lāEst et dāAllemagne de lāOuest, dāAutriche ou dāIrak, de Grande-Bretagne ou de RĆ©publique tchĆØque. Et je pense quāil est juste de montrer des artistes ukrainiens et russes contemporains aux cĆ“tĆ©s de classiques canonisĆ©s. Pour nous, cāest une maniĆØre de montrer que nous prenons leur travail trĆØs au sĆ©rieux. Ce nāest pas une question de hiĆ©rarchie, dāune Ligue des champions de lāart. Il sāagit de montrer un art qui rĆ©pond avec force et intensitĆ© aux questions que lāexposition se propose de soulever.
Cette exposition prĆ©sente des reprĆ©sentations nombreuses et diverses de la guerre, telles quāelles existaient dans le passĆ© et telles quāelles sont de nos jours. Avez-vous trouvĆ© dans le travail des artistes contemporains quelque chose de commun ou de nouveau qui nāexistait pas auparavant ?
Les commissaires dāexposition ont choisi de se pencher sur les expĆ©riences personnelles, et, comme le titre de lāexposition lāindique, sur la douleur et la souffrance. Il est clair que nous ne parlons ni dāhĆ©roĆÆsme, ni de sacrifice, ni dāidĆ©ologie, ni mĆŖme dāart engagĆ© mis au service de la politique. Tous ces sujets sont importants, mais il y a dĆ©jĆ suffisamment dāexpositions qui sāy intĆ©ressent. Nous voulions mettre lāaccent sur les expĆ©riences personnelles, individuelles. La souffrance des civils pendant la guerre de Trente Ans nous rappelle ce qui se passe actuellement en Ukraine. Cāest ce que peut Ć©clairer la mise en regard des Ć©poques. ParallĆØlement, les moyens dāexpression changent et nous avons aussi voulu comprendre comment. Cela apparaĆ®t sur une pĆ©riode de prĆØs de 400 ans, en pointillĆ©. Quant aux guerres mondiales du XXe siĆØcle, nous nāavons pas cherchĆ© Ć comparer quoi que ce soit. Une seule question se pose : comment lāart peut-il travailler avec la souffrance, et comment cela se reflĆØte-t-il dans les Åuvres dāart et, Ć travers lāart, dans notre perception du prĆ©sent ?
Est-il possible de sāapprocher de la souffrance dāautrui par les arts visuels ?
Lāart nous convainc du fait que cāest en train de se passer. Bien sĆ»r, je pense que certaines images resteront Ć jamais. Nous vivons Ć lāĆ©poque de cette guerre, une guerre unique en termes de prĆ©sence mĆ©diatique. Cela nāa jamais eu lieu auparavant : ce nāest pas une guerre qui se dĆ©roule en direct Ć la tĆ©lĆ©vision, elle est dans notre poche grĆ¢ce aux rĆ©seaux sociaux, aux vidĆ©os. Et cette documentation gĆ©nĆØre un stress liĆ© Ć un flux infini dāimages qui engourdissent notre perception. Je crois que lāart a la capacitĆ© dāinterrompre ce flux. Ć mon sens, lāÅuvre de Kateryna Lyssovenko a un tel potentiel. Lāartiste a quittĆ© lāUkraine au dĆ©but de la guerre avec ses trois enfants, et elle vit aujourdāhui Ć Graz oĆ¹ elle a prĆ©sentĆ© une exposition remarquĆ©e par la grande historienne de lāart et conservatrice Ekaterina Degot. Jāai Ć©tĆ© impressionnĆ© par le travail de cette artiste. Nous avons exposĆ© trois de ses tableaux, mais jāaurais aimĆ© pouvoir en montrer plus. Lāun dāeux est une toile de grande taille qui reprĆ©sente un jardin dāenfants utopique : des enfants et leur professeur se promĆØnent. Mais il sāagit dāenfants tristes aux corps quelque peu mythiques : ils sont Ć moitiĆ© centaures, et semblent se rendre quelque part, dans un passĆ© prĆ©historique.

Comme lāa Ć©crit lāartiste en commentant ce tableau, son caractĆØre utopique est avant tout liĆ© au fait que la promenade en classe de maternelle est devenue une utopie dans les circonstances actuelles. Ses tableaux, terriblement glauques et dāune monstrueuse simplicitĆ©, ont pour thĆØme les viols Ć Boutcha. Elle parle des viols dāenfants avec franchise et distanciation : elle dĆ©clare les choses de maniĆØre directe tout en adoptant un regard distanciĆ©, ce qui est le propre de lāart. Je pense que cela crĆ©e un mĆ©lange explosif pour la perception, cāest pourquoi je suis le travail de cet artiste avec grand intĆ©rĆŖt.
Traduit du russe par Clarisse Brossard
Alexandra Wagner est une journaliste ukrainienne, qui travaille, depuis 2006, Ć la radio Liberty. Elle a beaucoup publiĆ© dans la presse ukrainienne et dans des Ć©ditions europĆ©ennes.
Notes
- Voir Ć ce sujet Gerhard Richter : Oncle Rudi (1965) – Centre Pompidou. (Toutes les notes sont de la traductrice.)
- Voir lāĆ©dition du texte en franƧais : Devant la douleur des autres – Christian Bourgois Ć©diteur.