Propos recueillis par Anton Alekseev (ERR)
Pendant la guerre, la culture devient un champ de bataille. Dans cet entretien accordé au service russophone de la Radio-télévision publique estonienne (ERR), Olesia Ostrovska-Liuta, la directrice du centre national ukrainien d’art et de culture Mystetsky Arsenal, porte un regard postcolonial sur l’héritage artistique russe. Il s’agit notamment de la question très controversée de l’appartenance de certains artistes à la culture nationale russe ou ukrainienne.
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Le mot ukrainien « Futuromarennia » du titre de l’exposition [consacrée aux expérimentations artistiques avant-gardistes dans l’Ukraine des années 1910-1920, cette exposition est accueillie par le musée d’art KUMU à Tallinn, NDLR] pourrait se traduire par « Rêves futuristes ». Qu’entend-on par futurisme et pourquoi ce terme apparaît-il dans ce titre ?
Cette exposition aborde le phénomène du futurisme qui s’est développé en Ukraine au début du XXe siècle : il s’agit de retracer l’histoire de ce mouvement, la façon spécifique dont il s’est développé en Ukraine et la réalité artistique qu’il couvrait. Il faut dire qu’il s’agit d’un phénomène très varié qui englobait la littérature, la musique et les arts visuels. L’exposition présente au public des grands noms du futurisme comme David Bourliouk, Vassyl Yermilov et Kazimir Malevitch. Tous ces artistes ont été étroitement liés à l’Ukraine, ils y sont nés et y ont travaillé. David Bourliouk descendait même d’une vieille famille cosaque. D’ailleurs, le développement du mouvement futuriste ukrainien a été lié à la propriété du père de David Bourliouk, qui était située dans l’oblast de Kherson. À l’heure actuelle, impossible d’y aller car c’est une zone de combats. J’en parle pour rappeler que la région qui entoure Kherson est importante pour nous, non seulement en termes d’histoire ou d’économie, mais aussi en termes de culture. C’est l’endroit d’où provient un certain nombre de phénomènes culturels ukrainiens. Dans le cadre de l’exposition qui démarre à Tallinn, nous abordons le futurisme non seulement en tant que style artistique particulier, mais aussi en tant que tentative de transformer le monde et de développer une vision de l’avenir, ce qui est très caractéristique pour le début du XXe siècle. Au Mystetsky Arsenal, cette exposition a littéralement pris fin la veille de l’invasion russe, en février 2022. Elle a rencontré un véritable succès auprès du public ukrainien. À ce moment-là, nous avons été confrontés à la question suivante : souhaitions-nous que cette exposition se poursuive au printemps, ou la menace était-elle telle que nous devions d’abord mettre les œuvres en sécurité et, par conséquent, fermer l’exposition ? Nous avons fait le choix d’interrompre l’exposition pour assurer la sécurité des œuvres. Aussi, l’exposition qui s’ouvre en ce moment à Tallinn fait le pont entre ce moment qui était encore plus ou moins paisible et ce que nous vivons maintenant.
Quelle place occupe le futurisme dans la culture ukrainienne ?
La place qu’occupe ce mouvement artistique du début du XXe siècle dans l’histoire de l’art de l’Ukraine est centrale. Dans les milieux intellectuels ukrainiens, on considère qu’il s’agit là de la période artistique la plus prolifique de l’histoire de notre pays, et on en parle en disant : « nos années 1920 ». Il s’agit d’une période de puissant foisonnement culturel qui s’est terminée par une terrible catastrophe que nous appelons la « Renaissance fusillée ». En effet, quasiment tous les artistes ont été exécutés, réprimés, expulsés, et de nombreuses œuvres ont été détruites. Dans l’histoire de l’Ukraine, ce sont les années 2020 que l’on pourrait voir comme une période comparable au début du XXe siècle, par sa fécondité et la force de l’essor culturel. Les Ukrainiens avaient le sentiment de vivre un moment de renouveau, et c’est précisément à ce moment-là que nous avons été derechef attaqués par la Russie.
En tant qu’acteurs du monde de la culture, comment travaillez-vous en temps de guerre ?
En mars 2022, lorsque nous avons évalué les risques possibles, nous avons non seulement examiné la situation actuelle, mais nous avons également pris en compte notre histoire. Nous savons ce qui arrive aux artistes et aux personnalités de la culture lorsque nos villes sont occupées. Nous savons que c’est un danger mortel pour eux. Quand on réfléchit au destin de ceux dont nous exposons les œuvres à Tallinn, on comprend qu’aujourd’hui aussi, les personnes qui ont un lien avec la culture en Ukraine sont de nouveau en danger de mort. Nos craintes ont déjà pu être confirmées. L’écrivain de littérature jeunesse Volodymyr Vakoulenko a été tué pendant l’occupation de la région de Kharkiv. Le chef d’orchestre Youri Kerpatenko a été tué pendant l’occupation de la ville de Kherson. Et la liste est encore longue. Dans notre vie quotidienne, nous sommes soumis à une forte pression. D’une part, nous comprenons que notre sécurité est objectivement menacée. D’autre part, la situation change constamment, ce qui perturbe également notre travail. Par exemple, s’il y a des tirs d’obus ce soir, il se peut que demain il n’y ait ni électricité ni eau, que les gens ne puissent pas venir travailler ou que quelque chose soit endommagé. Or on ne peut pas prévoir les bombardements. Il faut donc s’habituer au fait que nous vivons et travaillons dans une situation très changeante, ce qui nous oblige à avoir constamment différents plans d’action en fonction des circonstances. Nous parvenons à accomplir notre travail, mais les gens sont épuisés.
Depuis le début de la guerre totale, y a-t-il des expositions à Kyïv ? Le public est-il au rendez-vous ?
Absolument, car la ville continue de vivre. Au Mystetsky Arsenal, nous avons inauguré notre première exposition depuis le début de la guerre totale, en juin dernier, après le retrait des troupes russes. Elle s’intitulait « Exposition au sujet de nos sentiments », car nous avons pris conscience du fait qu’il était essentiel de parler de ce que nous étions en train de vivre, nous, c’est-à-dire le personnel du Mystetsky Arsenal, mais aussi nos visiteurs et les artistes avec lesquels nous travaillons. C’est une expérience si terriblement bouleversante et traumatisante que les gens ont besoin de s’exprimer, d’avoir leur mot à dire. L’idée de monter une exposition qui soit un espace dédié à cette ambition est née en avril de l’année dernière, après le retrait des Russes. Il s’agissait principalement d’art contemporain, car en temps de guerre, il est bien plus facile de travailler avec ce type d’art qu’avec des objets de musée, tout simplement pour des raisons de sécurité. Dans le cas de l’art contemporain, l’artiste décide lui-même si son œuvre peut être exposée ou non, s’il souhaite ou non prendre ce risque. Alors que pour ce qui est des objets de musée, personne ne peut prendre cette décision, car ils sont censés être en lieu sûr par défaut. C’est pourquoi, nous avons choisi l’art contemporain et avons ouvert cette exposition comme un lieu de partage de nos expériences, d’échange de pensées et d’impressions. Cette exposition a été un succès. En temps de guerre, les institutions culturelles deviennent des lieux essentiels d’interactions. L’exposition suivante s’est intitulée « Le cœur de la terre » et elle vient tout juste de se terminer. Ce fut une expérience de travail tout à fait spéciale : sans électricité et sans pouvoir déterminer à l’avance les horaires d’ouverture. Notre public a su se montrer compréhensif dans la mesure où tout est fluctuant en ce moment. Cette exposition portait sur les liens entre la terre sur laquelle nous vivons, les gens et la nourriture que cette terre produit. L’exposition évoquait l’importance pour différents pays, souvent éloignés, des produits alimentaires de l’Ukraine, et sur la manière dont les menaces, notamment environnementales, que nous voyons et ressentons aujourd’hui ici, se reflètent quelque part loin de chez nous, dans les pays du Sud ou en Asie.
Revenons au futurisme et à l’avant-garde. Pour moi, Vassyl Yermilov et Kazimir Malevitch ont toujours été de grands artistes russes. Le célèbre Carré noir de Malevitch qui est exposé à l’Ermitage est connu dans le monde entier. Malevitch est perçu comme un représentant exceptionnel de l’avant-garde russe. Maintenant, vous les considérez comme des « artistes ukrainiens », ce qui implique en conséquence que je doive renoncer à ma vision des choses. Pourquoi est-ce nécessaire ?
Ce que vous décrivez, c’est la conséquence de l’action de l’Empire russe, une culture dont vous êtes issu. Il est normal que pour vous, ces représentations aient de l’importance. Lorsqu’un auteur, un artiste, est étiqueté comme appartenant à telle ou telle culture, il s’agit toujours d’une construction politique. Et la décision de donner l’étiquette d’« artistes russes » à Malevitch, Bourliouk ou Exter est une décision absolument politique. Ce n’est ni un choix artistique ni le résultat de la recherche scientifique. Pendant longtemps, l’Empire russe a utilisé — et il continue à le faire — le mythe de la « grande culture russe ». Pour entretenir ce mythe, il faut s’approprier les figures et les pratiques artistiques les plus marquantes. C’est ainsi que beaucoup de gens connaissent Kazimir Malevitch, David Bourliouk, Vassyl Yermilov ou Aleksandra Exter comme des artistes associés à la culture russe. Comment se fait-il que, dans de nombreux pays, on ne sache rien de l’Ukraine ? Parce que les schémas narratifs sont contrôlés par ceux qui détiennent le pouvoir politique et militaire. Or, en URSS, c’était la Russie qui détenait ce pouvoir.
D’accord, mais comment pouvez-vous déterminer quels artistes peuvent être qualifiés d’ukrainiens et lesquels ne le peuvent pas ? Nous ne pouvons pas sortir Malevitch de sa tombe et lui demander : « Kazimir, qui es-tu ? Es-tu polonais, russe ou ukrainien ? ». De la même manière que nous ne pouvons pas dire de Malevitch, Bourliouk et Yermilov qu’ils sont « russes », nous ne pouvons pas non plus leur demander : « Est-ce que vous êtes bien ukrainiens ? »
Cette question fera toujours l’objet d’un débat. Une autre question est de savoir comment nous définissons et décrivons le lieu de naissance de ces personnes et l’endroit où elles ont travaillé. Il n’y a pas si longtemps, on écrivait par exemple : « Année de naissance : 1948, lieu de naissance : Tallinn, URSS ». On peut difficilement être d’accord avec cette façon de présenter les choses. En Ukraine, nous pensons qu’identifier Kyïv à l’URSS, c’est comme identifier Berlin au Troisième Reich. Cela signifie que l’on est prisonnier de certaines conceptions. Nous insistons sur le fait que nous devons appeler le lieu de naissance des artistes par leur nom actuel. Et si ce lieu est l’Ukraine, nous indiquons « Ukraine », et non pas « ancien Empire russe » ou « ex-URSS ». Que les faits décrits se soient déroulés sous l’ère soviétique est en quelque sorte une caractéristique secondaire, et non centrale. Vous n’écririez pas « Inde, ancien Empire britannique », n’est-ce pas ? Adopter une approche post-coloniale ou anti-coloniale permet de prendre conscience des mécanismes de la colonisation dans le domaine de la création artistique.
Aujourd’hui, de nombreuses personnalités russes du monde de la culture (et pas seulement des Russes) sont scandalisées par le fait qu’à New York, le Metropolitan Museum of Art considère désormais Ivan Aïvazovsky comme un artiste ukrainien. Selon eux, c’est l’Ukraine qui s’approprie ainsi l’héritage culturel russe. Est-il donc si important que les artistes soient considérés comme « russes » ou « ukrainiens » ?
Oui, c’est une question très importante, car il s’agit d’autonomie politique et culturelle. Il est important de définir clairement ce qui appartient à telle ou telle culture. Ici je souhaiterais citer une formule de Vladimir Maïakovski dans son poème intitulé Poème au sujet du passeport soviétique (Stikhi o sovetskom pasporte) dans lequel la Pologne apparaît comme une « nouveauté géographique », ce qui revient à imaginer les choses de la manière suivante : qu’est-ce donc que cette Pologne ? Existe-t-il vraiment un tel pays ? Après tout, jusqu’à récemment, c’était la Russie, l’Empire russe. Ce que je veux dire, c’est que toutes ces conceptions politiques ne sont pas gravées dans le marbre une fois pour toutes. Elles sont créées par certaines personnes dans un certain but. Et en particulier, la conception que je viens de citer est créée pour apporter son appui à l’identité impériale. Or, pour nous, le problème posé par cette identité est son agressivité, le fait qu’elle entraîne des meurtres. Aussi, il semble que cette notion doive être reconsidérée. Pour être tout à fait honnête, nous espérons que les intellectuels russes se mettront enfin à analyser la nature même de la Russie. Nous attendons d’eux qu’ils soient capables de formuler une pensée articulée sur l’essence de ce que pourrait être une Russie qui ne soit pas un empire. La Russie a besoin d’une transformation interne et pour cela, elle doit se demander quel genre de pays elle est, quel genre de société, et effectuer un travail d’analyse de sa propre culture et de ses acteurs.
Si l’on part du principe que l’une des missions de la culture est d’empêcher les gens de se transformer en barbares, alors on peut dire que la fameuse « grande culture russe » a échoué dans sa mission. Quant à nous, en Occident, comment devons-nous réagir ? Devons-nous arrêter de jouer les œuvres de Tchaïkovski par exemple ? Comment devrions-nous considérer Dostoïevski qui, à en juger par ce qu’on peut lire dans ses œuvres, ses journaux et ses lettres, aurait soutenu activement l’« opération militaire spéciale » s’il avait vécu à notre époque ?
Pour commencer, nous devons interroger le concept même de « grande culture russe », l’analyser pour nous rendre compte de son caractère artificiel, construit. Il s’agit d’un concept créé dans un but politique et non le prolongement organique de la culture en tant que telle. C’est une vision politique que le peuple russe a de lui-même. C’est pourquoi, ce sont aux intellectuels russes d’effectuer ce travail d’analyse. Il s’agit pour eux de comprendre dans quelle mythologie ils vivent, pourquoi cette mythologie est si toxique, et comment elle mène à l’agression. Et si les intellectuels n’effectuent pas ce travail, c’est qu’ils ne remplissent pas du tout leur mission. C’est l’un des aspects du problème. En ce qui concerne l’opportunité de collaborer avec des représentants de la culture russe, je suis d’avis qu’aucune institution culturelle pour laquelle la vie et la dignité humaines ont de la valeur ne peut coopérer avec une organisation qui a le moindre lien avec l’État russe. Ni les musées ni les orchestres d’État russe ne devraient être invités par des partenaires étrangers, pour peu que ces derniers soient attachés à certaines valeurs. En Russie, la culture devient une arme. Le secteur muséal russe a tout simplement subi une gigantesque catastrophe éthique, car ce sont précisément les musées russes qui aident à dévaliser les musées ukrainiens dans les territoires occupés, à Kherson ou à Melitopol, par exemple. Les objets en provenance des territoires occupés atterrissent dans les musées russes et les employés traitent ce nouvel inventaire sans poser de questions. Nous n’avons observé aucune protestation à ce sujet en Russie. Bien sûr, cela peut être dangereux, mais nous ne voyons pas non plus quelque protestation que ce soit à ce sujet dans les pays où cela pourrait être possible en toute sécurité. Où sont les protestations des Russes basés en Grande-Bretagne ou en France contre les politiques de leur gouvernement, y compris les politiques culturelles ? En Russie, la culture fait partie intégrante de la logique de guerre, c’est pourquoi nous disons qu’il ne faut en aucun cas les aider à faire la guerre en coopérant avec eux.
Mais on pourrait aussi dire au sujet de l’Ukraine que la culture est une arme, que la langue est une arme.
C’est vrai, en Ukraine, tout le monde est en guerre. Tous les acteurs du monde de la culture, en tant que partie de la société ukrainienne, font tout pour défendre le pays. Il faut se rappeler que nous nous défendons, que nous n’attaquons personne.
En Ukraine, on retire les œuvres de Pouchkine des programmes scolaires et on démolit les monuments qui lui sont consacrés. Pourquoi ? Après tout, on trouve chez Pouchkine à la fois des œuvres que l’on pourrait qualifier d’« impérialistes » et d’autres que l’on pourrait qualifier d’ « anti-impérialistes ».
Pour nous, il ne s’agit pas d’un auteur si essentiel qu’il faille lui consacrer autant d’énergie dans le cadre des programmes scolaires. Il est évidemment impossible de lutter contre Pouchkine en tant que phénomène culturel. Mais pour nous, il s’agit actuellement d’annuler la présence de Pouchkine dans les programmes en tant que signe de l’emprise impérialiste, de sa domination. Essayez de m’expliquer pourquoi une petite ville ukrainienne devrait avoir un monument à Pouchkine ! Une telle statue n’a rien à voir avec la valeur culturelle de Pouchkine. Il s’agit seulement d’un symbole de domination, conçu pour montrer à tous qui détient le pouvoir. C’est contre cette symbolique qu’il faut lutter, et non contre la poésie en tant que telle.
Je souhaite revenir à la question de la culture classique russe et à la manière dont nous, les opposants à la guerre, devons la considérer. Est-il acceptable d’écouter Tchaïkovski, de lire Tolstoï, etc. ? Où se situe la limite au-delà de laquelle l’amateur de culture se retrouve lui-même à adopter la posture « impérialiste » de l’auteur ?
Cela dépend toujours du but dans lequel telle œuvre est lue, écoutée ou regardée. Si vous êtes chef d’orchestre et que vous travaillez sur l’œuvre d’un certain auteur, vous devez vous demander ce que vous souhaitez dire à votre public en faisant cela. Mais d’une manière générale, la question que vous posez n’est pas spécifique à cette situation, elle s’est déjà posée dans d’autres cultures, par exemple, dans le cas des relations entre la Grande-Bretagne et l’Inde. Comment lisez-vous Kipling aujourd’hui ? Peut-on le lire sans esprit critique ? Apparemment, ce n’est plus le cas. C’est la même chose avec Dostoïevski. Lorsque vous le lisez, vous tombez toutes les trois pages sur des descriptions présentant de manière très négative des représentants d’autres cultures que la russe : des Allemands, des Polonais, des Juifs. Il est indispensable d’avoir une certaine perspective critique. La question est donc la suivante : comment lisez-vous et dans quel but ? Ou dans quel but présentez-vous tel ou tel phénomène culturel et avec quel commentaire ? Il s’agit là d’un travail très important à l’heure actuelle. Pour la première fois, nous examinons la culture russe en adoptant un prisme décolonial. C’est déjà une grande réussite.
Traduit du russe par Clarisse Brossard
Journaliste basé à Tallinn, il couvre la guerre russo-ukrainienne pour le service russophone de la Radio-télévision publique estonienne (ERR).