Retour sur la conférence de Munich : les Européens sauront-ils conjurer le pire ? 

Fondée voici plus de six décennies, la Conférence sur la sécurité de Munich, dont la dernière édition s’est tenue du 16 au 18 février, est l’un des principaux forums transatlantiques où sont discutés les enjeux militaires, stratégiques et géopolitiques. On se souvient du discours qu’y prononça Vladimir Poutine, le 10 février 2007. Le maître du Kremlin fit alors montre de sa hargne anti-occidentale et, sous couvert de « multipolarité », esquissa un programme géopolitique révisionniste. Dix-sept ans plus tard, nous y sommes en plein. Un gouffre s’ouvre devant les Européens. En ont-ils conscience ? Sauront-ils se préparer au pire pour qu’il n’advienne pas ?

De nombreux commentaires journalistiques ont souligné l’inquiétude des dirigeants et experts européens réunis à Munich, voire l’effroi que la mort d’Alexeï Navalny a provoqué chez eux. Comme s’ils découvraient la nature profonde du régime Poutine et des siloviki — un système meurtrier et liberticide dont Staline est la figure de référence —, et la réalité du programme géopolitique méthodiquement mis en œuvre. En effet, l’ « opération spéciale » du 24 février 2022 n’est jamais que l’accélération de ce programme, englobé et surdéterminé par une idéologie eurasiste. Tout cela, on en conviendra, est fort éloigné du kitsch slave-orthodoxe et de l’histoire de la princesse Anastasia, censés justifier la russophilie de milieux en quête de représentations mentales rassurantes. 

Le facteur « Trump » et la surextension stratégique américaine

L’énième saillie de Donald Trump sur l’OTAN et ses membres européens, le 10 février dernier, était à l’arrière-plan des débats et discussions1. Les esprits forts diront qu’il ne faut pas s’en inquiéter, mais conservons à l’esprit cette vérité : « En voulant rassurer, on contribue au pire » (René Girard). Le fait qu’un candidat à l’élection présidentielle américaine, supposé avoir l’expérience de la Maison Blanche et soutenu par une partie significative de l’électorat républicain, tienne de tels propos est fort inquiétant, en dépit de leur aspect infantile. D’une part, ces propos en disent long sur le personnage, mais rien que nous ne sachions déjà. Depuis les années 1980, Trump n’a pas varié, indépendamment de la situation stratégique et géopolitique (cela est révélateur). D’autre part, des propos irréfléchis ou à l’emporte-pièce ont des conséquences, notamment sur les perceptions des dirigeants des pays hostiles et ennemis.

Quoi qu’en pensent les tenants du Make America Great Again, les dirigeants russes, chinois et iraniens ne perçoivent pas l’ancien président Trump comme l’expression de la puissance irrépressible des États-Unis. Ils voient en lui les signes du profond désordre politico-psychologique américain, ceux d’une grande fatigue occidentale et de déséquilibres géostratégiques qu’ils pourront exploiter ad libitum. Le début de la fin en quelque sorte. Au demeurant, Pékin, Moscou et Téhéran ne cessent de l’affirmer : les États-Unis et l’Occident sont au bord du précipice, et il faut les y pousser. Si Poutine et les siens entendent asservir l’Europe pour alimenter la machine de guerre russe et financer leur Machtpolitik, les dirigeants chinois veulent d’abord la séduire, pour la couper les États-Unis et isoler ces derniers. D’une façon ou l’autre, la bascule de l’Europe bouleverserait la « corrélation des forces » (pour parler comme les stratèges russo-soviétiques) au détriment des États-Unis, n’en déplaise aux partisans américains de l’isolationnisme2.

Mais il faut voir au-delà de la personne de Trump, qui n’est d’ailleurs pas encore élu. En vérité, les États-Unis sont écartelés sur plusieurs théâtres géopolitiques, d’une extrémité à l’autre de la masse euro-asiatique et sur son boulevard méridional, c’est-à-dire le Moyen-Orient. Alors qu’il leur faut assurer à l’Europe les garanties de sécurité accordées dans le cadre de l’OTAN, et qu’ils représentent à ce jour la majeure partie de l’aide militaire apportée à l’Ukraine, les États-Unis montent la garde au Moyen-Orient. Présents en Méditerranée orientale, en mer Rouge et dans le golfe Arabo-Persique, ils s’emploient à contenir le régime islamique iranien et ses affidés locaux. Ils y assurent la sécurité d’Israël, au péril de leurs positions diplomatiques régionales.

En Extrême-Orient, la pression militaire de Pékin sur l’île-État de Taïwan et les « Méditerranées asiatiques » (les mers de Chine du Sud et de l’Est) s’accentue, d’autant plus que les perspectives mirifiques de la « Chine éternelle » se dérobent à l’horizon : il n’est pas écrit dans l’Histoire que l’île-État de Taïwan succombera naturellement aux délices et tentations du nouveau siècle chinois, ce que Xi Jinping et le parti-État communiste comprennent. Aussi leur impatience stratégique pourrait-elle emporter les préceptes de Sun Zu [selon Sun Zu, l’art de la stratégie consiste à gagner la guerre sans livrer bataille, NDLR], pieusement colportés en Occident, le pouvoir chinois décidant de forcer le destin. Il revient donc aux États-Unis, alliés aux démocraties de la région Asie-Pacifique, de contrarier la poussée encore maîtrisable de la Chine populaire.

À ce facteur s’ajoutent les incertitudes autour du régime-bunker de Pyongyang, dont un certain nombre d’experts avaient longtemps affirmé que le programme nucléaire et balistique était un tigre de papier. Le dernier rejeton de la famille Kim (la « lignée du mont Paektu ») allumera-t-il le feu ? Dans l’immédiat, ses agissements et provocations sont couverts par la double tutelle de Pékin et Moscou, la Russie bénéficiant par ailleurs des stocks militaires nord-coréens, hérités de la guerre froide, pour bombarder l’Ukraine. Toujours est-il qu’il revient encore aux États-Unis d’élargir leur dissuasion aux territoires de la Corée du Sud et du Japon, directement exposés à la malfaisance du tyran de Pyongyang.

En somme, les multiples engagements politiques, diplomatiques et militaires des États-Unis les exposent aux périls de la « surextension stratégique ». Nous nous référons ici aux thèses de l’historien britannique Paul Kennedy sur la « strategic overextension », c’est-à-dire l’écart grandissant entre fins politiques et moyens militaires, à l’origine du déclin des empires et des grandes puissances. On comprendra donc aisément une certaine lassitude américaine à l’égard de la faible contribution de l’Europe à l’effort militaire commun.

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Volodymyr Zelensky prend la parole à la conférence de Munich // nato.int

La périlleuse tentation isolationniste américaine

Un seul exemple. Est-il bon et sain que les États-Unis se retrouvent seuls ou presque à frapper les Houthistes qui, depuis le Yémen, menacent la circulation en mer Rouge ? L’essentiel du commerce entre l’Europe et l’Asie transite par le canal de Suez et l’ancienne route des Indes. Certes, une opération navale sous le drapeau de l’Union européenne est en cours de préparation, mais il faudra plusieurs semaines avant qu’elle soit effective3. Qui plus est, ces navires européens ne frapperont pas au sol : il ne faudrait surtout pas apparaître comme un soutien militaire de l’État hébreu, lui-même menacé par l’interruption des flux en mer Rouge. Autrement dit, la sécurité de la voie maritime la plus courte entre l’Europe et l’Asie repose sur l’engagement naval et militaire des États-Unis, avec le Royaume-Uni à leurs côtés.

Cela ne peut que susciter des crispations aux États-Unis. Pourtant, le discours isolationniste repose sur une illusion, celle selon laquelle les États-Unis auraient le choix de participer ou non au système international. Bien des Américains le croyaient en 1914, puis dans l’entre-deux guerres ; le cours des choses n’est pas allé en leur sens. Dès le milieu des années 1930, une partie des élites américaines avait compris l’erreur de ne pas avoir ratifié le traité de Versailles et d’avoir dédaigné la Société des Nations. Aussi un autre cap fut-il pris après la Deuxième Guerre mondiale. Face à l’expansionnisme soviétique, une grande stratégie américaine de containment fut décidée, et elle tint jusqu’à la dislocation du bloc soviétique.

Malheureusement, ces leçons historiques et stratégiques semblent oubliées. D’une certaine manière, il y a là une sorte de fatalité : la temporalité d’un individu est linéaire, quand celle de l’inconscient collectif est cyclique. Toujours est-il que nous sommes embarqués, l’Amérique comme l’Europe, d’autant que la technologie et les moyens militaires modernes ont rétréci l’espace géographique, bien plus encore qu’au cours du XXe siècle. Soulignons le fait que la mondialisation, qu’il faut appréhender en termes géohistoriques, n’est pas réductible à la libre circulation des marchandises et des capitaux. Ce processus séculaire (cinq siècles d’histoire depuis le début des Grandes Découvertes) repose sur l’arraisonnement de l’espace par la technique, ce que l’affrontement dans le cyberespace, les menaces au fond des abîmes et la possibilité d’une guerre dans l’espace exo-atmosphérique nous rappellent sans cesse. Bref, en cas de déflagration mondiale, les États-Unis ne pourront pas se réfugier sur un vaisseau spatial d’Elon Musk.

Dans l’immédiat et de façon concrète, les connexions et répercussions entre le théâtre européen, sur lequel se déroule la guerre en Ukraine, et les autres théâtres géopolitiques du monde — le Moyen-Orient, l’Extrême-Orient et même l’Afrique, où la guerre a déjà entraîné des « effets de bord » — , affectent les positions américaines à travers le monde et infléchissent le rapport global des forces (la « corrélation des forces »). Une hypothétique victoire russe dans la guerre en Ukraine serait déterminante. Qu’on se rappelle seulement les effets induits par le renoncement de Barack Obama à faire respecter ses « lignes rouges » en Syrie (septembre 2013), ou encore le retrait précipité d’Afghanistan (août 2021). Ces deux épisodes ont encouragé Poutine à pousser les feux, en Crimée et au Donbass (2014), puis à tenter d’éradiquer l’État national ukrainien (2022).

Deux ans après le lancement de l’ « opération spéciale » russe, une hypothétique victoire de la Russie amènerait ses troupes au contact de la Pologne, des États baltes, de la Roumanie et de la Moldavie. D’emblée, la clause de défense mutuelle de l’OTAN serait mise à l’épreuve. Certes, ceux qui n’ont rien vu venir précédemment prétendent aujourd’hui que cette armée russe serait en piteux état, et même impuissante. D’autres experts affirment qu’en deux ou trois ans, le potentiel militaire russe sera reconstitué. Et ne parlons pas des esprits galvanisés par la « défaite de l’Occident »4 (miam-miam !). Dans l’intervalle, le régime islamique iranien, au seuil du nucléaire, travaillerait à parfaire sa domination sur l’ensemble Moyen-Orient/Méditerranée, et la Chine populaire testerait la résolution américaine dans le détroit de Taïwan et tout le Pacifique occidental. À bien des égards, nous y sommes5.

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Un char de carnaval du sculpteur Jacques Tilly à Berlin le 13 mars 2022 // Wikimedia Commons

L’heure des responsabilités géopolitiques européennes

S’il importe que les dirigeants américains, leurs homologues européens et les opinions publiques de la sphère occidentale aient pleinement conscience des périls de l’heure, il est vrai que la peur n’élimine pas le danger. D’autant plus que les Américains sont confrontés au problème de leur « surextension stratégique », précédemment pointée. Quitte à pécher par hégélianisme, peut-être faut-il voir dans la conjoncture une « ruse de l’Histoire » qui conduirait les alliés européens des États-Unis à prendre enfin leurs responsabilités politiques, au sens éminent du terme (leurs responsabilités diplomatico-stratégiques), et militaires.

Un mois et plus après un accord de sécurité entre Londres et Kyïv6 (12 janvier 2024), Allemands et Français ont à leur tour signé des accords similaires avec les Ukrainiens (16 février 2024), alors que se tenait la Conférence sur la sécurité de Munich7. Au vrai, la négociation de tels accords fut décidée lors du G-7 du 12 juillet 2023, au moment du sommet atlantique organisé dans la capitale lituanienne8 (11-12 juillet 2023). L’idée est de compenser le report dans le temps d’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, à charge pour les Alliés d’apporter au pays candidat des garanties de sécurité, et ce sur une base bilatérale. Lesdites garanties sont moins étendues que celles accordées dans l’OTAN : les accords bilatéraux consistent en financements, formations militaires et équipements ; ils ne comportent pas de clause de défense mutuelle (pas d’ « article 5 »). D’autres Alliés ont signé ou signeront de tels accords avec l’Ukraine.

Certes, cela va dans le bon sens mais, si l’on entend éviter le pire et perdre toute marge de manœuvre dans un futur proche, il importe d’amplifier l’effort militaro-industriel et d’accélérer les fournitures de matériels à l’Ukraine. Précédemment, bien des gouvernements européens n’ont pas compris l’urgence et le niveau de la menace russe, si l’on excepte les « petites nations » d’Europe centrale et orientale (la Mitteleuropa), soit l’« Occident kidnappé » de Milan Kundera, et celles de l’espace nordico-scandinave, au contact ou à proximité de la masse russo-asiatique. Pour bien des nations ouest-européennes, les actes n’ont pas toujours suivi les mots. D’une certaine manière, la politique « d’accommodements » d’avant le 24 février 2022 (une politique d’apaisement « New Look ») s’est perpétuée, à travers une diplomatie coercitive aux objectifs limités, et pour un temps limité.

Un même postulat l’anime : la rationalité et le caractère limité des revendications de Poutine ( « Vladimir va se reprendre »). En raison de l’échec de l’ « opération spéciale », le maître du Kremlin était censé venir à la table des négociations pour chercher une porte de sortie honorable ( « Ne pas humilier la Russie »). D’autant plus que Poutine serait obsédé par la menace chinoise, ce qui imposerait à terme une forme d’entente entre la Russie et l’Occident ( « Ne galvaudons pas le terme d’alliance. Il n’y a pas d’alliance sino-russe »). De toute façon, disait-on, la Russie est isolée ( « Le Sud global n’existe pas, l’Iran est l’Iran et la Corée du Nord est insignifiante »), et il lui faudra bien sortir de cet isolement.

Cet ensemble d’affirmations, assénées plus que démontrées, et une vision de la politique étrangère réductible à un calcul coûts/bénéfices, expliquent les atermoiements en matière de livraisons d’armes et l’insuffisance de l’effort militaro-industriel européen. Nul besoin d’armements lourds et d’avions de combat, expliquait-on au fil des mois, avec pour prétexte la priorité accordée aux munitions. Tout cela pour découvrir que les livraisons de munitions n’ont pas été assurées en temps et en heure voulus, de l’aveu même de la Commission européenne ; l’objectif d’un million de munitions fournies en une année pourrait n’être atteint qu’à la fin du mois de mars, plus tardivement encore selon divers experts9.

Au demeurant, cette impéritie n’est pas celle de la Commission européenne, qui n’est pas un gouvernement fédéral mais un organe de coordination ; elle est celle des États membres de l’Union européenne. Des États globalement surendettés — comme s’ils sortaient d’une guerre totale alors même qu’ils émergent d’une longue paix —, dont les gouvernements, accaparés par l’opinion publique et les intérêts catégoriels, s’avèrent bien plus myopes que les marchés dont ils prétendent corriger le « court-termisme » et les défauts. L’absence de vision stratégique longue et de conscience historique est patente. Quant à l’emploi surabondant du terme de « souveraineté », il transforme ce concept en un hochet que l’on agite pour se rassurer ( « Le mot vient quand manque la chose »).

En outre, certains de ces dirigeants européens, qui affirment désormais avoir compris le caractère global de la menace russe, maintiennent des limites dans leur aide militaire à l’Ukraine, alors même qu’elles ne sont pas imposées par les lacunes de leur industrie d’armement. Par exemple, la France refuse encore de livrer des avions Mirage 2000-D et, à ce stade, l’Allemagne entend conserver l’intégralité de ses missiles à longue portée Taurus10 (pas de couverture aérienne des forces ukrainiennes et une capacité de frappe sur le second échelon de facto limitée). Et d’expliquer, envers et contre les demandes de Kyïv, qu’il s’agit de rationaliser l’aide militaire à l’Ukraine, pour le plus grand avantage de cette dernière (nous connaîtrions mieux que Kyïv et son état-major les besoins de l’armée ukrainienne). Réticence des appareils militaires nationaux ou velléité de conserver une marge de négociation avec Moscou ?

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La Premier ministre britannique Rishi Sunak devant le parlement ukrainien le jour de la signature de l’accord bilatéral sur la securité // president.gov.ua

En guise de conclusion

In fine, il s’avère évident que, dans de telles conditions et avec cet état d’esprit, la « main invisible » de l’Histoire et son action ne suffiront pas à faire de l’Europe une puissance digne de ce nom, ni à édifier un pilier européen à l’intérieur de l’Alliance atlantique et du monde occidental. Nul besoin, pour partager le « fardeau » avec les États-Unis et assurer la sécurité de l’Europe, de se gorger de mots et de concepts tels que « souveraineté européenne », « commission géopolitique », « autonomie stratégique européenne » ou encore « économie de guerre ». Sur cette question, rappelons simplement que les pays européens membres de l’OTAN, au cours de la « guerre de Cinquante Ans » (la première guerre froide), consacraient quatre à cinq points de PIB à la chose militaire, sans pour autant qu’ils soient en « économie de guerre ». À cette époque, les coûts de la défense de la zone géostratégique couverte par l’OTAN étaient assurés pour moitié par les alliés européens (30 % aujourd’hui, le reste étant à la charge des États-Unis). Dans le présent contexte géopolitique, ces alliés européens pavoisent lorsqu’ils atteignent les 2 % quand ce devrait être la valeur-plancher. Si l’Europe veut conjurer le pire et ne pas dépendre excessivement de la protection des États-Unis, surexposés sur plusieurs théâtres, l’idée directrice ne saurait être de se lancer dans un nouvel exercice d’ingénierie géopolitique ou de constructivisme juridico-institutionnel (de nouveaux traités et referenda !). L’essentiel, en premier lieu, est de prendre conscience du gouffre qui s’ouvre devant nous, de réaliser que la conservation de l’être est en jeu ; il importe de se préparer au pire pour qu’il n’advienne pas. Cette prise de conscience, ici et maintenant, est nécessaire et indispensable non pas à un nouveau «couple franco-allemand », mais à un alignement des positions et une synergie des efforts entre les capitales des principaux pays du Continent, de Londres à Varsovie, en sus de Paris et Berlin, sans oublier Rome. Nul besoin de convertir les pays d’Europe du Nord et de la Mitteleuropa, déjà convaincus du danger si l’on excepte la Hongrie. Les tâches sont simplissimes : soutenir par tous les moyens l’Ukraine, bastion avancé de la défense de l’Occident, et réarmer. C’est à l’aune des budgets et des capacités militaires qu’on jugera des intentions politiques et stratégiques. Le reste nous sera donné de surcroît.

Professeur agrégé d’histoire-géographie et chercheur à l’Institut Français de Géopolitique (Université Paris VIII). Auteur de plusieurs ouvrages, il travaille au sein de l’Institut Thomas More sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe. Ses domaines de recherche couvrent la zone Baltique-mer Noire, l’Eurasie post-soviétique et la Méditerranée.

Notes

  1. Prétendant restituer devant ses partisans un échange avec un important chef d’État européen, qui lui aurait demandé si les États-Unis protégeraient son pays en cas d’offensive de Moscou, Donald Trump a déclaré : « J’ai dit : “Vous n’avez pas payé ? Vous êtes des mauvais payeurs ? […]Non, je ne vous protégerais pas. En fait, j’encouragerais [les Russes] à faire ce que bon leur semble”. » (Conway, Caroline du Sud, le 10 février 2024).
  2. Au vrai, l’isolationnisme fut plus une disposition d’esprit, voire un complexe psychologique, qu’une réalité historique. D’une certaine façon, la déclaration Monroe de 1823 (l’expression de « doctrine Monroe » fut plus tardive) reposait sur une alliance objective entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Bénéficiant de la protection de fait de la flotte britannique sur leurs frontières atlantiques, les États-Unis purent se déployer dans le Pacifique, considéré comme un « océan de la destinée » alors même que la « frontier » (la conquête de l’Ouest) était loin d’être achevée. Rappelons par ailleurs qu’au début du XIXe siècle, la Marine américaine combattait en Méditerranée la piraterie barbaresque.
  3. La mission « Aspides » ( « Bouclier protecteur » en grec ancien) a été officiellement lancée, ce lundi 19 février, par les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, réunis à Bruxelles. Après les missions Agénor (dans le golfe et le détroit d’Ormuz) et Atalante (ciblant le golfe d’Aden et l’océan Indien), cette nouvelle opération vise à surveiller et à protéger le trafic maritime en mer Rouge, perturbé par des attaques de rebelles houthistes depuis l’offensive terroriste du Hamas en Israël, en octobre. Plusieurs pays ont fait part de leur intention de participer à cette mission, dont la Belgique, l’Italie, l’Allemagne et la France. L’Espagne, quant à elle, a indiqué qu’elle n’y participerait pas. La Grèce fournira un commandant pour son quartier général opérationnel, l’Italie fournira le commandant de la force et la France, son commandant adjoint. L’opération est purement défensive et pourra faire feu pour défendre les navires marchands ou se défendre elle-même, mais ne pourra pas viser des objectifs à terre contre des positions de rebelles houthistes au Yémen.
  4. La perspective d’un tel déclin excite les esprits jusqu’au cœur des capitales occidentales. Une vieille histoire abordée entre autres par André Reszler dans L’Intellectuel contre l’Europe (PUF, 1976).
  5. Cf. Florence de Changy, « De nouveaux incidents maritimes entre Taïwan et la Chine renforcent la stratégie de la tension menée par Pékin », Le Monde, 21 février 2024.
  6. Cf. « Guerre en Ukraine : Sunak et Zelensky annoncent un accord de sécurité sans précédent entre leurs pays », Le Figaro-AFP, 12 janvier 2024.
  7. Cf. Cédric Pietralunga, Philippe Ricard et Thomas Wieder, « À Paris et à Berlin, Volodymyr Zelensky obtient un appui militaire inédit dans la guerre contre la Russie », Le Monde, 17 février 2024.
  8. Voir la déclaration de soutien du G7 à l’Ukraine, en date du 12 juillet 2023.
  9. Pour Thierry Breton, commissaire européen chargé de l’industrie d’armement, l’engagement pris sera respecté à la fin du mois de mars prochain. Il aura fallu doubler la capacité d’une production qui repose principalement sur l’allemand Rheinmetall et, plus modestement, le français Nexter, le norvégien Nammo et des producteurs bulgares (au total, une quinzaine de sites en Europe). Fin 2024, la production pourrait atteindre 1,5 millions d’obus, 2 millions l’année suivante. Ce ne serait jamais que le volume de munitions requis par le niveau des combats sur le théâtre ukrainien. L’enjeu global est de récupérer des capacités de production perdues dans les décennies de l’après-guerre froide (la « guerre de Cinquante Ans ») et de reconstituer des arsenaux à la mesure des menaces et défis contemporains, depuis l’Atlantique jusque dans l’Indo-Pacifique.
  10. Le Mirage 2000-D est un avion spécialisé dans l’attaque au sol, dont l’armée de l’air et de l’espace possède encore une soixantaine d’exemplaires. Quant au missile Taurus, un système furtif et capable de pénétrer en profondeur des cibles jusqu’à 500 km, il est jugé plus performant que les missiles français et britanniques dont Kyïv dispose. Un objectif évident serait la destruction du pont de Kertch reliant la Russie continental et la presqu’île occupée de Crimée, qui sert de ligne d’approvisionnement à l’armée russe.

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