Notre auteur continue sa croisade contre les agents d’influence russes, ainsi que les « idiots utiles », qui véhiculent la propagande de Moscou. Cette fois, c’est le général Olivier Kempf qui est dans sa ligne de mire. Il s’agit d’un commentateur zélé qui semble toujours regretter dans des médias mainstream que l’Ukraine soit perdue, tout en délivrant des messages proches de la propagande du Kremlin.
Depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, le général Olivier Kempf est régulièrement invité dans de nombreux médias français pour la commenter. Toujours plein de certitudes sans paraître excessif, il tient une ligne très pessimiste sur les capacités de l’Ukraine à faire face au crime d’agression de la Russie, sans toutefois remettre en cause qui est l’agressé et qui l’agresseur.
Cette position ne manque pas d’exemples. Chacune de ses interventions, chacun de ses articles vont dans le même sens : l’Ukraine n’a pas d’autre avenir que de céder devant la puissance russe, d’accepter une paix contrainte en faisant des concessions territoriales. Les propos du général Kempf, notamment lors de cette interview du 8 février 2023, qui ont beaucoup plu au plus infâme propagandiste russe Vladimir Soloviev (il les a postés sur sa chaîne Telegram !), sont qualifiées par Cédric Mas d’éléments de langage de la propagande russe.
En tant qu’expert, Kempf est souvent convaincu des erreurs stratégiques ou tout du moins de l’inefficacité des choix et décisions de l’armée ukrainienne et du Président Zelensky. Mais il mesure leur efficacité essentiellement en termes de gains ou de pertes de kilomètres carrés.
Certes ses positions répétées, ostensiblement pessimistes, pourraient relever d’une analyse personnelle en tant que général français (on peut au passage rappeler qu’aucun général français en vie ne s’est jamais retrouvé dans la situation militaire des généraux ukrainiens pour défendre leur pays…). Mais, qu’on le veuille ou non, elles s’inscrivent dans le contexte de la propagande défaitiste orchestrée par le Kremlin, notamment par Sergueï Kirienko, très proche conseiller de Vladimir Poutine.
Cette propagande russe prend différentes formes et a pour but d’instiller le doute et d’épuiser le soutien des populations des pays alliés de l’Ukraine. La notion de la propagande « douce » a été très bien expliquée par Nicolas Tenzer. Alors, le général Kempf serait-il un analyste résolument pessimiste ou un vecteur d’une propagande douce, défaitiste visant à arrêter le soutien de l’Ukraine ?
Pour essayer de comprendre, nous allons analyser l’ensemble de ses interventions, de ses publications… mais aussi de ses réseaux sociaux, tout particulièrement X, un très puissant outil de propagande utilisé par la Russie, comme vient encore de le démontrer récemment le Wall Street Journal. Nous allons nous pencher également sur la perception qu’ont la Russie ou ses plus fervents supporters franco-russes (Français ayant obtenus la nationalité russe) des analyses du général Kempf sur la guerre contre l’Ukraine.
Olivier Kempf, chercheur associé à l’IRIS, dirigé par Pascal Boniface (de 2013 à 2017)
Pendant cette période, le général Kempf a publié un livre avec « son vieux complice » (c’est ainsi qu’il le nomme) François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS, et très proche de Pascal Boniface. Or F.-B. Huyghe a longtemps été un invité régulier du Dialogue franco-russe de Thierry Mariani. Il a appartenu à Ordre Nouveau, au GUD, à Défense de l’Occident. Il a été aussi proche de Pierre-Yves Rougeyron, fondateur du très russophile Cercle Aristote, et a enseigné à l’École de guerre économique du non moins russophile Christian Harbulot.
Olivier Kempf, membre du Comité de rédaction de la revue Conflits
La revue de géopolitique Conflits a été créée par Pascal Gauchon, ancien du GUD, d’Ordre Nouveau, qui a soutenu le coup d’État du général Pinochet… Gauchon est également aux sources de la création de TV Libertés, d’extrême droite, identitaire, totalement pro-russe (proche de toute la sphère Radio Courtoisie, Tocsin, Omerta…). C’est aussi un ex-membre de l’ISSEP de Marion Maréchal.
La revue Conflits est très marquée à droite, selon La Lettre. Elle est aussi très pro-russe, Plusieurs de ses membres interviennent dans les médias dits mainstream comme Jean Baptiste Noé, son rédacteur en chef, Eugène Berg, et/ou dans tous les médias de ré-information pro-russes ou encore très régulièrement au Dialogue Franco-Russe, comme Frédéric Pons.
Charles Gave, millionnaire, complotiste (encore un qui voit George Soros et l’État profond partout, notamment), appartenant à l’extrême droite identitaire, écrit régulièrement dans Conflits, par exemple pour dénoncer les sanctions contre la Russie.
Olivier Kempf, co-Président du cabinet de synthèse stratégique La Vigie
La Vigie est une lettre bimensuelle d’analyse stratégique fondée fin 2014 par Jean Dufourcq et Olivier Kempf.
Dans le comité de parrainage ayant aidé à sa formation on trouve Hervé Juvin. Aujourd’hui député européen Rassemblement National, Juvin est un pro-russe zélé. Son nom apparaît dans l’affaire Voice of Europe. Il a été mis sous sanction du Parlement Européen en 2021, avec Thierry Mariani et d’autres, pour avoir cautionné les élections truquées en Crimée occupée en 2020. Sans surprise, Hervé Juvin écrit des articles dans la revue Conflits, encore récemment en juin 2024.
Hervé Juvin a aussi co-créé le think tank Geopragma, un relais de toute la propagande russe, avec Caroline Galactéros, qui en devient présidente. Les deux vice-présidents en sont Jean-Bernard Pinatel, très connu dans les milieux complotistes d’extrême droite pro-russes, et Patricia Lalonde (épouse de Brice Lalonde, militant écologiste, homme politique et ancien ministre de 1988 à 1992). Cette dernière, une ancienne députée européenne UDI, est connue pour être une fervente défenseuse d’Ilham Aliyev, le dictateur d’Azerbaïdjan, responsable de nombreuses ingérences, actuellement en France, à travers le Groupe d’initiative de Bakou.
Sur le site de Géopragma, La Vigie de Kempf et Dufourcq est affichée comme un partenaire. Il est vrai que le contre-amiral Jean Dufourcq côtoie les mêmes personnes que Caroline Galactéros, et tous les médias de ré-information pro-russe, ainsi que le Dialogue franco-russe, le Cercle Aristote…
Ainsi, on pourrait parler d’une répartition des tâches entre les deux co-fondateurs de La Vigie : le général Kempf parcourt les médias dits mainstream pendant que Jean Dufourcq parcourt surtout ceux de ré-information, affichant plus ostensiblement un attachement à la Russie de Poutine. Jean Dufourcq est aussi très présent sur la chaîne Terra bellum, liée à Géopragma.
Le numéro 98 de la lettre de La Vigie, qui vient de paraître, présente notamment le bilan du suivi de la « guerre d’Ukraine », présenté comme totalement objectif, basé sur de l’open source (en fait des données issues de chaînes Telegram anonymes). Cette lettre est réalisée avec le concours d’un réseau de comptes tous reliés à La Vigie du général Kempf, et est très suivie au plus haut niveau par les réseaux franco-russes et en Russie.
Olivier Kempf, ses réseaux sur X
Dans cette lettre, on retrouve les références de deux comptes X, très populaires chez ceux qui suivent la « guerre d’Ukraine », comme l’appelle La Vigie. Ces comptes, qui pourraient paraître pro-ukrainiens, sont fortement dénoncés par des Ukrainiens ou des comptes ayant une connaissance approfondie du sujet.
Il s’agit de « Poulet Volant » et de « Macette Escorter ». Les comptes du général Kempf, de Macette et de Poulet Volant travaillent ensemble, se soutiennent, et sont abondamment cités par La Vigie. La structure, le déroulé des articles les plus récents ressemblent aussi étrangement à ceux d’un nouveau venu, « Clément Molin ». Il s’agit d’un étudiant qui a rejoint le groupe et qui lui-même a créé une association d’analyse géo-stratégique Atum Mundi (on ne peut exclure qu’il signe, par les initiales AM, les articles sur le point de la situation de « la guerre en Ukraine » dans La Vigie). Les messages dans ces comptes qui se soutiennent mutuellement correspondent étrangement à cette rhétorique de la propagande douce qui, sous couvert d’objectivité, permet de critiquer régulièrement les choix stratégiques des généraux ukrainiens, d’instiller le doute et le défaitisme comme le fait ensuite le général Kempf dans les médias.
Une analyse plus poussée et une véritable connaissance du terrain et des enjeux peuvent amener à se poser des questions sur la qualité et l’exactitude de ce travail. Ainsi, le général Kempf est régulièrement interpellé sur X par d’autres experts, ou mieux encore des combattants français en Ukraine. Très courtois dans les médias, il peut être beaucoup plus cassant, dur, voire agressif sur X. Tout cela pourrait être anecdotique et sans réel intérêt si l’on ne savait pas à quel point les réseaux sociaux sont utilisés par la Russie pour sa propagande, qu’elle soit dure ou douce, et tout particulièrement X. La ligne défaitiste, répétée sans cesse, est bien l’un des leviers de la propagande du Kremlin, révélé notamment dans un rapport du FBI. Or quel meilleur moyen de propagande qu’un compte présentant en apparence un prisme plutôt pro-ukrainien mais parvenant finalement à faire passer des informations biaisées, des jugements orientés, à faire douter ?
A priori, le groupe essaie d’intégrer de nouveaux comptes, souvent des jeunes, sur ses réseaux. Toujours la même méthode : leur donner de la visibilité et les flatter (avoir 20, 22 ans et être cité en exemple par un général qui a le parcours de Kempf pourrait effectivement ne pas laisser insensible). Ils sont alors aussi soutenus par Gérard Araud, cet ex-ambassadeur pseudo-réaliste qui veut une paix rapide quoi qu’il en coûte à l’Ukraine et à l’avenir de l’Europe, en n’oubliant jamais, comme d’autres adeptes de la Realpolitik, de verser une petite larme pour l’Ukraine, afin de mieux faire passer l’idée majeure.
De plus, le groupe est ensuite régulièrement cité comme unique source (décomposée en quatre, cela donne l’illusion d’une multiplicité de sources, alors qu’en fait tout se retrouve dans la lettre de La Vigie et dans la version Internet de La Voix du Nord, comme le montre cet exemple flagrant. Le général Kempf utilise son réseau pour faire citer autant que possible ces comptes par des journaux dits mainstream, ou des revues spécialisées en lien avec la Défense.
Le général Kempf sur X n’en reste pas là !
Il re-poste très régulièrement, et la réciproque est vraie, des posts de l’inénarrable Gérard Araud. La technique est classique, il faut toujours avoir aussi quelques positions soi-disant pro-ukrainiennes pour ne pas être autant « à découvert » que Caroline Galactéros ou Xavier Moreau.
Plus osé, le général Kempf n’hésite pas à avoir une « vision économique » de la situation en s’appuyant sur les posts de Jacques Sapir dont la position rouge-brun pro-russe n’est plus à démontrer. Régulièrement, on retrouve des comptes moins connus, anonymes, mais tout aussi russophiles comme Ananke Group, aussi très apprécié les pro-russes, sans être trop excessif. On peut ajouter à cette liste le compte « Baron fou ».
Olivier Kempf, ses analyses reconnues par la Russie
Xavier Moreau, connu pour son activité de désinformation sur la guerre russo-ukrainienne et son soutien affiché à la politique de Poutine, se félicite régulièrement de la qualité du travail du général Kempf sur X, mais pas seulement : « Il est le meilleur, avec Chauvancy, mais bien meilleur tout de même dans ses analyses, même s’ils ne sont pas d’accord sur tout », dit-il sur TV Libertés lors de son dernier passage à Paris en octobre 2024 ou encore sur sa chaîne Youtube de propagande russe.
Arnaud Dubien, Directeur de l’Observatoire à Moscou est, lui, en haut de l’échelle des personnes influentes dans les réseaux franco-russes. Il a obtenu la nationalité russe le 24 février 2022 par décret signé de Poutine ; rien que cela. Il est celui dont parle l’Ambassadeur Ripert, sans le nommer, lors de l’audition de la Commission d’enquête parlementaire sur les ingérences russes : « Un homme qui a le pouvoir de convoquer l’ambassadeur de France et de l’engueuler. » Dubien lui aussi est un fidèle des analyses et posts du général Kempf (et de sa petite troupe : Macette, Molin, Poulet Volant), comme on peut le voir sur son compte X.
En Russie, où Moreau et Dubien résident en permanence, les analyses du général Kempf sont souvent reprises dans différents médias, sur des blogs facilement accessibles, des chaînes Telegram ou le réseau social VK.
Est-il nécessaire de rappeler que la Russie ne réutilise les informations produites en Occident que si elles sont conformes à « sa » réalité, sa propagande et la renforce ainsi auprès de sa population en donnant l’illusion d’une pluralité des sources d’information et en la confortant dans le fait que même des généraux comme Kempf, un général dans ce cas français, sont bien en accord avec le Kremlin et partagent une vision commune de la situation ?
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À la vue de tous ces éléments, la ligne défaitiste mais « objective et neutre » du général Kempf, et par extension de sa petite troupe, peut pour le moins interroger, voire laisser penser à une propagande douce bien organisée au sein d’un réseau aux multiples ramifications.
Paul Marie est un pseudonyme. Scientifique de métier, il étudie les réseaux complotistes et pro-russes depuis des années.