« Omerta », la voix de Moscou

Dernière mise à jour le 26 novembre 2024

Le magazine Omerta, diffusé sur papier et en ligne, affiche des positions ouvertement pro-russes et anti-américaines, ce qui était totalement compatible et cohérent jusqu’à l’élection de Donald Trump. Que vont devenir désormais ces invectives anti-américaines ? Car les premières nominations des secrétaires d’État et des chefs de différentes structures importantes aux États-Unis ont un dénominateur commun : ces gens sont contre l’Ukraine et ont un tropisme russe plus ou moins clairement exprimé. Tout comme notre extrême droite et notre extrême gauche, et pas seulement elles. Affaire à suivre.

Si Russia Today France (RT) n’est plus en service, les propagandistes du Kremlin n’ont pas désarmé pour autant. À l’origine du magazine Omerta, deux noms sont à retenir : Charles d’Anjou, président-fondateur, et Régis Le Sommier, directeur de la rédaction. De quelle famille le premier est issu ? Pas, semble-t-il, des Denier d’Anjou. Des Danjou Durassow ou des Danjou Cambell ? Pas trace de noblesse authentique dans ces familles. Pseudonyme ? Mystère.

Candidat sous l’étiquette les Républicains aux législatives de 2017 en Seine-Maritime, où il était conseiller municipal d’Yvetot, il vit à Moscou, si l’on se réfère à l’enquête détaillée d’Olivier Faye dans Le Monde du 14 janvier 2023. Il travaille, de 2012 à 2019, pour une société de sécurité que dirige un ex-colonel du FSB. Il a été à la tête de la sécurité de Leroy-Merlin dans la capitale russe. Il rencontre à diverses reprises Lavrov, l’inamovible ministre des Affaires étrangères. Proche d’Orlov, l’ex-ambassadeur à Paris, lui-même intime de madame Carrère d’Encausse et de Renaud Girard, qui a co-écrit son livre, d’Anjou est évidemment lié à Mariani.

Lié au sulfureux Frédéric Chatillon, Régis Le Sommier fut rédacteur en chef de Russia today France après avoir officié à Paris-Match, où il publie des interviews complaisantes de Bachar el-Assad. Dans Le Journal du dimanche du 30 juin 2024, il paraît déplorer le mandat d’arrêt lancé par la cour d’appel de Paris à l’encontre du dictateur sanguinaire syrien, s’étonnant qu’une telle procédure n’ait pas visé un ancien président américain et un premier ministre britannique au sujet de la guerre en Irak, comme si un parallèle pouvait être établi.

Le portrait que dresse Adrien Franque de Le Sommier dans Libération du 10 mai 2022 est dans le genre accablant, rejoint le 24 mai 2023 par celui de Yann Barte pour Franc-tireur, tout aussi percutant. Le Sommier obtient un droit de réponse le 30 août suivant, annonçant une action en diffamation, qui ne semble pas seulement avoir été instruite.

Dans Le Journal du dimanche du 3 mars 2024, il met en cause « la présence de la CIA » en Ukraine et dénonce le revirement de la position française qui pourrait conduire « à la guerre mondiale ». Il accorde aussi une interview à l’actuel ambassadeur russe à Paris, lequel récite évidemment le catéchisme du Kremlin, au point que pour Franc-tireur, Le JDD est devenu une nouvelle Pravda.

Dans le même quotidien du dimanche, celui du 9 juin, Le Sommier fait état de son ex-beau-père, Loïc Bouvard, député centriste du Morbihan presque à vie, tant cet élu intègre y était populaire, engagé dans la Résistance à 15 ans. L’ex-gendre oublie de signaler que cet Européen de la première heure, proche de Jean Lecanuet, présida l’assemblée parlementaire de l’Atlantique-Nord et qu’il ne se départit jamais d’une grande méfiance envers Moscou. Dans le même article, il déplore que les Russes n’aient pas été invités aux cérémonies de commémoration du Débarquement, allant jusqu’à écrire que la France falsifie l’histoire, pas moins. Sûrement plus que la Russie de Poutine, qu’il se garde de jamais critiquer !

Omerta !

C’est un million d’euros que le riche d’Anjou investit pour la création de la revue. À près de 15 € le numéro, nul doute qu’elle sera acquise par un grand nombre de foyers. Le magazine se déclare « 100 % indépendant ». Qu’on en juge. Nous ne parlerons pas des fautes, coquilles et impropriétés en surnombre émaillant les premiers numéros.

Pour s’en tenir au numéro 1, qui couvre la période février-avril 2023, le choix des auteurs confirme qu’il s’agit d’une publication pro-russe, Laurent Joffrin semblant fondé à parler, dans Le Journal info du 10 mars 2023, des « collabos de Poutine ». Apprécions, dans l’ordre des pages.

Michel Onfray dénonce la « vassalisation » imposée par les Américains depuis le 6 juin 1944, lesquels poursuivent une « guerre froide contre la Chine » mais d’aucune façon l’inverse : quatre pleines pages contre l’impérialisme, pas un mot de réprobation — ne parlons pas de condamnation — de l’agression russe en Ukraine.

On continue avec Maurice Gourdault-Montagne, ex-diplomate et ancien conseiller de Jacques Chirac, qui veut bien consentir un soutien à Kyïv, mais « de manière très concertée » pour ne pas dire réservée. Ce proche de Galouzeau de Villepin n’a pas hésité à considérer que Roland Dumas, dont on connaît l’affairisme et les amitiés troubles, fut l’un des plus grands ministres des Affaires étrangères1 ; même des diplomates de gauche sont presque unanimes à estimer que ce pro-soviétique et anti-israélien, proche de Dieudonné, fut l’un des pires responsables du Quai d’Orsay. Gourdault-Montagne a droit à près d’une pleine page du Figaro du 26 mars 2022, au titre évocateur : « Face à la Russie, sortons de la dynamique qui peut conduire à la guerre », bref négocions avec ce brave Poutine, humilié et encerclé par cette agressive OTAN… Le Monde diplomatique d’avril 2022 reprend aussitôt les propos que le ci-devant diplomate a tenus sur Europe 1, faisant grief à Washington d’avoir sabordé une proposition de « neutralisation » de l’Ukraine présentée par la France en 2006. Dans son ouvrage, Les autres ne pensent pas comme nous, il déplore « une forme d’hystérie anti-russe ».

Arno Klarsfeld prend la suite, condamnant Moscou — une première dans ce magazine —, tout en insistant sur le fait que « l’Ukraine n’est pas innocente non plus », laquelle ne doit pas être admise au sein de l’Union européenne, cette guerre étant en fait « un combat entre Amérique et Russie ».

Les deux pages suivantes sont intitulées « L’Ukraine, pays de la corruption systématique ». Parmi les livres dont il est conseillé la lecture figure celui de Jacques Baud, Poutine, maître du jeu ?, jugé « lucide et éclairant ». Comment ne pas l’être pour cet ex-officier suisse — maître dans le complotisme —, doutant que Ben Laden soit le cerveau des attentats du 11 septembre 2001 ? Plus loin, Le Sommier interroge ledit Baud, sur quatre pages, lequel insiste sur la nécessité de « dézanifier » l’Ukraine.

On poursuit avec l’inévitable Jacques Sapir, dont on s’étonne qu’il n’ait pas encore sollicité la nationalité russe. Rappelons seulement que, lors de la parution du Livre noir du communisme en 1997, il s’en était indigné2.

Les parties 3 et 4 d’Omerta ont pour titre « Les profiteurs de guerre » et « Propagande de guerre », mettant en cause, sous forme de photos, l’Amérique, la CIA et l’Europe. Deux pages s’attaquent à Bernard-Henri Lévy.

Erik Tegnér, militant d’extrême droite, soutien de Zemmour, interroge Bernard Squarcini, qui charge Washington et exonère Moscou. Cet ancien directeur des services spéciaux, impliqué dans nombre d’affaires judiciaires, était à la soirée de lancement de la revue, en présence de tout ce qui compte d’affidés de Poutine, dont l’actuel directeur du JDD.

La charge suivante émane de Pierre Conesa, pour qui il ne faut pas humilier la Russie, ce qui, de la part de ce proche de Dialogue franco-russe et de RT France, ne surprendra guère. Il déplorait, en juillet 2022, que l’on fût selon lui « face à une ukrainophilie absolue et une poutinophobie totale ».

Le Sommier interroge le souverainiste Henri Guaino, lequel dénonce une guerre américano-européenne contre la Russie, position rejointe par Sarkozy, ce qui demeure incompréhensible de la part de celui qui a réintégré l’OTAN, mise à mal par M. de Gaulle en 1966. L’on termine par trois pages où débattent Georges Kuzmanovic et le général Trinquand.

Ex-militant de Lutte ouvrière, Kuzmanovic a été proche de Mélenchon, il a été le candidat France insoumise aux législatives de 2017, il a défendu l’intervention russe en Syrie et présente l’annexion du Donbass comme « un acte de légitime défense face à un putsch fomenté par les néo-nazis et par Washington ». Rappelons qu’il fut débouté de sa plainte en diffamation contre le courageux livre de Cécile Vaissié. 

Trump, l’Empire contre-attaque

Tel est le titre du numéro 6 d’Omerta, daté septembre-novembre 2024. On y retrouve toujours les mêmes, assoiffés de poutinisme et d’hostilité à l’Amérique, mère de tous les vices, à savoir Conesa, Squarcini, Caroline Galactéros, Arno Klarsfeld, Alexandre del Valle, etc. Ajoutons-y Alain Juillet, Alain de Benoist, Eric Branca, Renaud Girard et Loïc Le Floch-Prigent, vivant symbole de la corruption de l’ère Mitterrand, condamné naguère à de la prison ferme. Eric Denécé — fanatique de Moscou, pauvre victime de l’Ukraine — y occupe dix pages à travers six articles. Et voilà qu’un ancien secrétaire général de l’UDF, le presque nonagénaire Michel Pinton, se déchaîne aussi contre Washington, ce qui n’étonnera guère quand l’on sait que le défunt président Giscard d’Estaing, fondateur de ladite UDF, assistait, le 26 mars 2015, à l’assemblée générale de Dialogue franco-russe.

Pour Denécé — complaisant avec Bachar el-Assad, avec Thierry Meyssan, et invité de Dialogue franco-russe, souvent cité par Alain Soral —, s’affranchir de « la servilité américaine » consiste à quitter l’OTAN et à se libérer de l’hégémonie américaine, dont il dénonce « les barbouzes US au service du big business » et qui « a transformé le reste de la planète en un nouvel État américain », pas moins, s’en prenant toujours au seul coupable, à savoir « l’Oncle Sam [qui] frappe en dessous de la ceinture », auquel il attribue le sabotage de Nord Stream. Elie Guckert a décrit l’étrange Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) dudit Denécé, où l’on retrouve les habituels soutiens de Moscou, tels les Jacques Myard, Caroline Galactéros, Jacques Baud, Alain Juillet et autres ci-devant responsables du renseignement, tout acquis à la constante propagande russe3.

Renaud Girard, fidèle de l’ambassade russe à Paris, s’en prend, comme dans presque chacun de ses papiers du Figaro, à l’Amérique, à l’Europe « vassalisée », situation aggravée, selon lui, par l’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande, et il occulte la menace permanente que fait peser Moscou sur Helsinki.

Michel Pinton est devenu un chantre de la détestation de Washington et ce n’est pas récent puisque, en 1991, il s’en prenait à l’intervention américaine au Koweït aux fins de repousser l’agression de Saddam Hussein : « Il n’est pas bon, déplorait-il, que l’Amérique se croit autorisée à couvrir à sa guise et en fonction des intérêts de ses protégés, cette région du monde4. » Ce qui lui vaut une réplique cinglante de Gérard Longuet, alors député UDF et futur ministre de la Défense, louant, lui, le courage du président américain5. Il est piquant de voir l’ex-centriste Pinton se rallier à la candidature Chevènement pour l’élection présidentielle de 2002. Au sein de l’officine CF2R de Denécé de juillet 2022, il estime que, s’agissant de l’Ukraine, Washington « est aussi coupable que la Russie », dénonçant « la légèreté, l’arrogance et l’hypocrisie » de l’Amérique et de l’Europe. Aussi ne peut-on guère être surpris du titre de son article d’Omerta, à savoir « La France contre l’OTAN, arme de soumission massive », où il fustige le président Biden, « vieillard entêté » (moins âgé toutefois que Pinton), prônant un retrait de l’OTAN et un rapprochement de la France et de l’Allemagne avec la Russie de par leur complémentarité culturelle, économique et politique. On a bien lu : politique !

Caroline Galactéros, qui intitule son papier « L’Amérique vit par la guerre, l’Europe refuse de le voir », récite son catéchisme manichéen, dénonçant la puissance des réseaux atlantistes, ce qui n’a rien de surprenant venant de cette adoratrice de Poutine. Eric Branca est sur la même ligne. L’ancien plumitif de Valeurs actuelles reprend les thèmes de son livre sous-titré Washington contre de Gaulle, considérant, tel Philippe de Villiers, que Jean Monnet et Robert Schuman sont des agents de Washington. Son ouvrage, où Branca cite abondamment l’historienne négationniste autant que marxiste, Annie Lacroix-Riz, lui vaut — échange de bons procédés — un compte rendu de celle-ci dans Le Monde diplomatique de juillet 2018…

Comment ne pas poursuivre avec l’extrême droite d’Alain de Benoist ? Il estime que le danger russe n’existant plus, la « colonisation » des États-Unis à travers l’Alliance atlantique est en conséquence devenue sans fondement. Qu’un ancien responsable du renseignement extérieur, Alain Juillet, soit sur la même ligne interpelle quant à son discernement. Cet ancien consultant de Russia Today France rend hommage au poutinolâtre Fillon. Il fustige « la propagande américaine », dont l’Europe est devenue « vassale ». C’est le même Juillet qui émettait de sérieuses réserves sur la proposition du député Haddad de qualifier la milice Wagner de « groupe terroriste6 ».

Concluons avec L’Humanité du 4 juillet 2024 qui consacre un grand article titré « Avec le RN et ses alliés, le Kremlin peut prendre pied au Palais Bourbon ». Comme il se doit, le quotidien stalinien se gardera de dénoncer les séides de Moscou au sein de la France insoumise, soumise, tel Mélenchon et tant d’autres, à Moscou. Cela n’est pas surprenant quand l’on sait que le parti communiste a voté avec les députés insoumis, à l’Assemblée nationale le 12 mars dernier, contre l’accord franco-ukrainien, l’extrême droite s’abstenant. Le parti ne cesse de dénoncer une éventuelle entrée de Kyïv dans l’Union européenne comme dans l’OTAN. Le 28 février, le quotidien communiste publiait deux pages intitulées « Macron choisit l’escalade grossière contre la Russie ». Et, au Parlement européen, le parti de Fabien Roussel a voté contre un texte relatif à la famine organisée par Staline en Ukraine, se refusant de contribuer, selon lui, à la « politisation des enjeux de mémoire et d’histoire », ainsi que l’a rappelé Patrick Forestier dans son excellent récent livre7.

Cependant, l’élection de Donald Trump ayant changé la donne, il faut se demander si Omerta et autres publications anti-américaines vont continuer sur la même ligne éditoriale ?

mystery man

Auteur, membre du comité de rédaction de Commentaire, ancien fonctionnaire et élu local.

Notes

  1. Le Journal du dimanche, 3 avril 2022.
  2. Pierre Rigoulot-Ilios Yannakakis, Un pavé dans l’histoire, Robert Laffont, 1998, p. 52, 69, 75.
  3. Elie Guckert, Comment Poutine a conquis nos cerveaux, Plon, 2023, p. 145-149. Voir aussi Le Canard enchaîné du 16 septembre 2022, qui rappelle que, pour Denécé, Moscou n’est en rien responsable de l’empoisonnement d’Alexeï Navalny, lequel était traité d’ « antisémite » par Mélenchon, qui proclame à chaque instant, avec ses séides, sa haine d’Israël et sa complaisance pour le terrorisme.
  4. Le Figaro magazine, 16 mars 1991.
  5. Ibid., 20 avril 1991.
  6. France Culture, 9 mai 2023, 7 h 10.
  7. Patrick Forestier, Poutine contre la France, Le Cherche midi, 2024, p. 288.

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