Que faire face à Donald Trump ?

La puissance de Donald Trump est immense. Il a gagné avec un avantage considérable sur Kamala Harris, et les Républicains ont désormais la majorité au Sénat, au Congrès et à la Cour suprême. Il est l’homme le plus puissant du pays et le plus puissant du monde. Il ne joue pas dans la même ligue que Vladimir Poutine, même doté de ses soldats nord-coréens et de sa capacité de nuisance héritée du KGB. Néanmoins, Vladimir Poutine se comporte avec Trump comme si c’était lui, l’homme fort. Il ne l’a félicité qu’au troisième jour après son élection, et encore, pas directement, mais pendant une conférence de presse. Quant à son proche conseiller Patrouchev, il a déclaré que Trump devait son élection en 2016 à l’aide russe, et que l’heure est arrivée de rendre son dû au régime russe.

Plus troublant encore, le président américain élu veut s’entourer de gens qui sympathisent avec la Russie et qui sont « en phase » avec les valeurs traditionnelles et le complotisme du Kremlin. Robert Kennedy Jr., complotiste et antivax, est désigné pour diriger l’équivalent de notre ministère de la Santé. Matt Gaetz, que Trump veut mettre à la barre du département de la Justice, a une personnalité clivante et un passif judiciaire lourd, il est misogyne, antisémite et complotiste, sans formation juridique. Pete Hegseth, proposé au poste de secrétaire d’État à la Défense, est un présentateur de Fox News qui défend des criminels de guerre et affiche des tatouages associés au suprématisme blanc. Son objectif est de « déwokiser » l’armée, ce qui signifie en clair qu’une chasse aux sorcières s’annonce parmi les hauts gradés. Enfin, Tulsi Gabbard, qui répand la désinformation syrienne et russe (le propagandiste Vladimir Soloviev l’appelle « notre copine Tulsi »), va diriger les services de renseignements. Cerise sur le gâteau, les milliardaires Elon Musk et Vivek Ramaswamy vont être aux commandes d’une nouvelle structure visant à transformer l’État américain en une gigantesque entreprise où le critère premier sera l’efficacité et la rentabilité, aux dépens des faibles, des malades, des chômeurs, des sans-abri.

Tout ce beau monde considère que l’investissement dans la guerre en Ukraine est inutile. Même le sénateur Marco Rubio, un faucon hostile à la Chine et à l’Iran, et qui est nommé à la tête de la diplomatie américaine, se prononce contre l’aide à l’Ukraine, ce qui rend la situation de celle-ci bien plus précaire que dans le passé. Vladimir Zelensky lui-même essaie de séduire Trump en lui proposant, en échange d’une position ferme face aux Russes, un partage des richesses ukrainiennes, voire l’envoi de soldats ukrainiens en Europe pour y remplacer les Américains. Mais si on commence à parler business au lieu de parler valeurs, la Russie, hélas, aura toujours bien plus à proposer que l’Ukraine pour séduire le mercantile Trump. Nous sommes confrontés à une sorte de révolution aux États-Unis qui risque d’y provoquer le démantèlement de la démocratie et de la justice en faveur d’une dictature.

Cependant, tout n’est pas encore perdu. La nomination des personnes citées doit être confirmée par le Sénat où, à côté des Démocrates, siège un certain nombre de Républicains qui n’appartiennent pas à l’aile MAGA. S’ils votent contre les candidatures de Trump, cela le fera peut-être basculer vers des choix plus raisonnables.

Mais le plus grand rôle dans l’amélioration des positions ukrainiennes en prévision des négociations qui pourraient être imposées par Trump doit être joué par le président sortant, Joe Biden, qui a encore deux mois devant lui. Que peut-il faire ?

Premièrement, transférer à l’Ukraine tout ce qui a été voté par le Congrès en avril 2024, à savoir des fonds et des armements. À ce jour, seule la moitié de l’enveloppe globale de près de 60 milliards de dollars a été acheminée. Des promesses dans ce sens ont été faites, mais il faut qu’elles soient exécutées avant le 20 janvier, ce qui pourrait être carrément saboté. Le président sortant doit utiliser tous ses pouvoirs pour atteindre cet objectif.

Deuxièmement, Biden doit lever les restrictions qui ne permettent pas à l’Ukraine de frapper des objectifs militaires à l’intérieur du territoire russe. Actuellement, les deux pays, l’Ukraine et la Russie, sont dans une situation dissymétrique : la Russie frappe l’Ukraine depuis son territoire, mais l’Ukraine ne peut répondre. Si Biden fait ce geste, plusieurs pays européens suivront, dont la Grande-Bretagne en premier lieu, mais peut-être aussi la France, l’Allemagne, la Pologne et d’autres.

Certaines mesures pourraient s’ajouter à celles-ci, comme l’autorisation d’utiliser les fonds de la Banque centrale russe gelés pour la reconstruction de l’Ukraine, et notamment la reconstruction de son infrastructure énergétique détruite à plus de 80 % par l’armée russe. Ou encore l’imposition de sanctions dures sur le secteur énergétique, y compris le transport du pétrole par des tankers russes opérant sous un faux drapeau. Biden pourrait enfin ajouter la Russie à la liste des États « sponsors du terrorisme », ce qui serait parfaitement légitime, au vu du soutien du Kremlin au Hamas, au Hezbollah, aux Houthis, aux Talibans et, bien entendu, à cause du terrorisme d’État exercé contre la population civile ukrainienne et les infrastructures vitales du pays. Cette dernière mesure pourrait isoler encore davantage la Russie sur la scène internationale.

Joe Biden et ses conseillers auront-ils l’audace de prendre de telles mesures ? Les Conservateurs raisonnables oseront-ils voter contre les nominations proposées par Trump et affronter la colère d’un président vindicatif, qui parle déjà de la lutte à venir contre les « ennemis intérieurs » ? En fait, le plus grand espoir de l’Ukraine, c’est l’Europe — un îlot d’humanisme et de démocratie dans un monde de plus en plus incertain. Malgré nos dissensions, notre unique chance de rester nous-mêmes, hommes et femmes libres, est d’aider l’Ukraine, coûte que coûte.

galina photo

Née à Moscou, elle vit en France depuis 1984. Après 25 ans de travail à RFI, elle s’adonne désormais à l’écriture. Ses derniers ouvrages : Le Régiment immortel. La Guerre sacrée de Poutine, Premier Parallèle 2019 ; Traverser Tchernobyl, Premier Parallèle, 2016.

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