Si le Kremlin parie sur la réélection de Trump, ce n’est pas seulement en raison de son opposition à l’aide à l’Ukraine ou de sa politique étrangère isolationniste, mais pour les dommages qu’il peut causer à la démocratie américaine. Selon l’historienne, la culture politique russe a déjà imprégné certains cercles politiques américains. Les électeurs MAGA voient en Poutine le leader « anti-woke » qui sauvera et régénérera la civilisation judéo-chrétienne. Heureusement, conclut Saint-Gilles, l’opinion américaine demeure majoritairement favorable à Kyïv tout comme l’establishment républicain, dont le soutien est indispensable à Trump dans la dernière étape de la course à la Maison Blanche.
La passe d’armes entre partisans et opposants de l’aide à l’Ukraine qui vient de s’achever in extremis par la victoire des premiers avec le vote des 61 milliards de dollars promis par Joe Biden, est une nouvelle illustration de l’intensification des ingérences russes dans la vie politique américaine. Comment expliquer qu’une minorité d’élus du GOP, le parti de Reagan traditionnellement hostile à la Russie et favorable aux « combattants de la liberté » ait pu pendant six mois opposer son veto au déblocage d’une nouvelle tranche d’aide, en dépit de la volonté du Président Biden et de la majorité des Congressmen — élus républicains compris ? La Putin Wing de la Chambre n’a certainement pas agi seule. Elle a bénéficié du soutien de taupes russes capables de coordonner sur ordre de Moscou l’action des « idiots utiles », présents dans l’entourage de l’administration démocrate comme chez les Républicains mais également dans la sphère intellectuelle et médiatique. Le déferlement depuis l’été 2023 d’une campagne défaitiste, dévoilant des canaux secrets de négociations avec la Russie, conjugué aux efforts des partisans du Kremlin au Congrès pour faire barrage à l’assistance militaire le démontre. Dans le contexte de la course à la présidentielle, l’aide à l’Ukraine occupe une large place dans l’agenda des candidats. C’est l’une des raisons pour lesquelles Moscou accorde une telle importance à cette échéance politique. Car dans la vision russe du monde — largement héritée de l’époque soviétique —, les États-Unis représentent un ennemi omnipotent capable de dicter sa loi aussi bien aux États du Sud qu’à ses alliés du monde occidental. Mais s’ils semblent invulnérables sur le plan militaire, les États-Unis présentent en revanche des faiblesses intrinsèques, inhérentes à leur système politique. Le pluralisme des idées et des partis, l’existence de contre-pouvoirs pour prévenir la tyrannie — signes d’une démocratie saine et vigoureuse — sont vus par Moscou comme autant de failles dans lesquelles s’insinuer pour favoriser ses desseins. Nulle élection n’a donc plus d’importance que celle du prochain président des États-Unis, qui déterminera non seulement l’issue de la guerre en Ukraine mais le devenir de la démocratie américaine et celui de l’ordre mondial. Pour façonner un environnement international et interne propices à l’élection de leur candidat, les services russes recourent à une panoplie toujours plus variée de « mesures actives » alliant désinformation, subversion des élites, conditionnement psychologique des masses et soutien aux organisations extrémistes.
Campagne défaitiste
La première étape de cette vaste opération d’influence remonte à l’été 2023. Le lancement de la contre-offensive ukrainienne a été le catalyseur d’une campagne médiatique défaitiste visant à saper le moral des Ukrainiens et à convaincre les opinions occidentales d’abandonner l’Ukraine. Son lancement coïncide avec le sommet de l’OTAN à Vilnius, des 11 et 12 juillet 2023, et les premières fissures du camp occidental : bien que l’engagement de l’OTAN en faveur de l’Ukraine y soit réaffirmé, les États-Unis, contre l’avis de la majorité de leurs alliés européens, refusent d’adresser à l’Ukraine une invitation formelle en vue de son adhésion au motif qu’intégrer ce pays en guerre représente un risque de confrontation directe entre la Russie et l’OTAN. L’idée que le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, préfère garder cet atout dans sa manche en vue d’éventuelles discussions russo-américaines préalables aux futures négociations de paix avec la Russie fait son chemin. « Dans certaines conférences, un fantôme hante les couloirs […]. A Vilnius, le fantôme c’est la volonté américaine de négocier si possible avec la Russie », écrit sur X Gérard Araud.
Les partisans de l’apaisement avec la Russie s’engouffrent dans la brèche pour insinuer que les États-Unis seraient prêts à imposer à l’Ukraine une paix négociée avec la Russie. Le Washington Post rapporte que lors d’un voyage secret en Ukraine, en mai 2023, le directeur de la CIA, William Burns, dévoilant ses plans de sortie de guerre aux responsables militaires ukrainiens, leur aurait fixé un ultimatum, leur donnant jusqu’à l’été pour percer le front adverse. À l’automne, quel que soit le résultat, il leur faudrait négocier1. Dans la foulée, des rumeurs de contacts secrets entre des membres du gouvernement démocrate, comme Jake Sullivan, et des proches du Président Poutine se multiplient dans les médias. Des « fuites » évoquent même des canaux de négociations souterrains entre d’anciens hauts responsables américains de la sécurité nationale et le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, pourtant sous le coup de sanctions américaines. Celui-ci aurait pu s’entretenir pendant plusieurs heures à New York, en avril 2023, avec Richard Haas, ancien diplomate et président sortant du Conseil pour les relations internationales ainsi qu’avec les experts Charles Kupchan et Thomas Graham.
Si le gouvernement affirme ne pas être à l’origine de ces contacts, il ne prétend pas non plus les ignorer. D’autant que Charles Kupchan, ancien conseiller pour les affaires européennes du président Obama, proche de l’actuelle administration démocrate, se démarque depuis le début du conflit en Ukraine par ses prescriptions « réalistes ». Après l’annexion de la Crimée, il s’était même vanté d’avoir su convaincre Obama de ne pas fournir à l’Ukraine les armes létales susceptibles de conduire à « l’escalade » avec la Russie malgré l’avis contraire de Joe Biden et d’Anthony Blinken2. Ses précieux conseils auront ainsi facilité l’invasion de février 2022. Mais, loin de faire amende honorable, Kupchan se présente comme le champion du parti de l’apaisement chez les démocrates. Anticipant un raz-de-marée des trumpistes aux élections de mid-terms en 2022, il exhortait déjà l’administration Biden et ses alliés européens à forcer les Ukrainiens à revenir « à la table des négociations »3. Pourtant, lors des discussions de février-mars 2022 au Bélarus et en Turquie, la Russie avait signifié son mépris pour ses interlocuteurs en exigeant leur capitulation.
Un an plus tard, surfant sur la nouvelle vague de pessimisme, Kupchan expose dans un article de Foreign Affairs co-écrit avec Richard Haass, sa nouvelle stratégie pour l’Ukraine qui n’est que la réitération de ses positions précédentes : selon lui, l’Ukraine doit se résoudre à négocier un cessez-le feu avec la Russie bien que cette dernière ait systématiquement violé tous les accords antérieurs conclus avec Kyïv4.
Ces fuites délibérées, dévoilant des canaux diplomatiques secrets, ne sont guère de bon augure. Elles indiquent que dans les cercles intellectuels proches de l’administration Biden, les colombes « réalistes », comme Kupchan, favorables depuis le début de la guerre à une solution « diplomatique », prennent la main sur les « faucons libéraux » (Michael MacFaul, Max Boot ou Anne Appelbaum). Ces révélations donnent la fâcheuse impression que le gouvernement américain chercherait une porte de sortie parce qu’il douterait de la victoire de l’Ukraine — un objectif que l’administration Biden n’a jamais clairement soutenu. De fait, l’opinion cède à son tour aux sirènes du défaitisme : pour la première fois depuis le début de l’invasion russe, un sondage publié en août 2023 par CNN indiquait que 55 % des personnes interrogées (72 % chez les Républicains) étaient hostiles au déblocage d’une nouvelle tranche d’aide financière à l’Ukraine5.
Alors que l’arrivée de l’automne a mis un terme aux espoirs de reconquête des terres ukrainiennes avant l’hiver, les « réalistes » imputaient ces maigres résultats aux choix du Général Valeri Zaloujny. Le New York Times et le Wall Street Journal évoquaient même ses dissensions avec le chef d’État major américain, le général Mike Milley, favorable depuis le début du conflit à un règlement négocié, contre l’avis de la plupart de ses collègues6. Ces critiques ont laissé un goût amer aux Ukrainiens qui se sont vu reprocher de s’être éloignés de la stratégie du Pentagone, qui a cependant différé la livraison des équipements nécessaires à sa mise en œuvre.
Le Président Zelensky reste toutefois la principale cible des critiques de la presse américaine qui s’interroge sur le report de l’élection présidentielle initialement prévue en mars 2024, amplifie sa rivalité avec Zaloujny et condamne sa prétendue inertie dans la lutte anti-corruption7. Le long article que Time consacre à la venue du président ukrainien à Washington le 12 septembre insiste sur le contraste avec sa visite triomphale de décembre 2022. Tendu et fatigué, le Président Zelensky n’a pas été reçu en grande pompe au Capitole8. Le Président Biden a renouvelé sa promesse d’aider l’Ukraine « autant que possible » (et non « autant qu’il le faudrait ») — une évolution sémantique qui traduit sa lassitude face à l’enlisement du conflit. Car Donald Trump, favori dans la course à l’élection présidentielle malgré ses déboires judiciaires, a fait du règlement de la paix « en 24 heures », une de ses promesses de campagne. Imputant à l’aide américaine la responsabilité d’une prolongation inutile du conflit, il accuse les démocrates de dilapider l’argent des contribuables au lieu de l’affecter à la défense des frontières américaines, un argument qui permet aux élus MAGA de la Chambre d’exercer un véritable chantage sur l’assistance militaire.
Subversion des élites et manipulation des masses
À l’automne, les attaques terroristes du Hamas contre Israël interviennent opportunément pour détourner vers Israël l’attention du public et les fonds promis à Kyïv. Le fragile consensus bipartisan sur le soutien à l’Ukraine qui cimentait l’opinion américaine dans les premiers mois du conflit vole en éclat. Les priorités changent et l’idée selon laquelle Israël est un allié bien plus précieux que l’Ukraine est avancée notamment par le sénateur républicain de l’Ohio, J. Vance9. Les démocrates ne peuvent plus se prévaloir du large soutien de l’opinion pour forcer les isolationnistes du Congrès à débloquer l’aide à l’Ukraine, victime collatérale du conflit à Gaza. En outre, la Maison Blanche commet l’erreur d’accepter d’inclure l’aide dans une négociation plus large, « un paquet fourre-tout englobant le soutien militaire à Israël, à Taïwan et des mesures de renforcement des frontières américaines »10.
Cependant, les trumpistes de la Chambre utilisent le différend sur la question migratoire pour repousser l’examen du texte, voté par le Sénat en février 2024, malgré les exhortations de Joe Biden : « Allez-vous défendre la liberté ou prendre le parti de la terreur ou de la tyrannie ? Serez-vous avec l’Ukraine ou avec Poutine ? ». Le fait que des élus républicains refusent de voler au secours d’une démocratie pour faciliter la victoire du régime autocratique poutinien en dit long sur l’inversion de valeurs qui s’est opérée au sein du GOP : « Comment le parti de Reagan… qui mit fin à l’Union soviétique en relançant la course aux armements, en est-il arrivé à représenter la meilleure chance de survie de Poutine ? »11. Ce renversement d’alliance est symptomatique du dévoiement idéologique d’une partie des élites républicaines depuis les années Reagan.
Le long travail d’infiltration du GOP par les agents du Kremlin porte aujourd’hui ses fruits et permet à la Russie de s’appuyer à la Chambre sur un petit groupe d’extrémistes, le mal nommé « Caucus de la Liberté ». Farouchement hostile à l’Ukraine, la Putin wing du GOP a pour égérie l’élue de Géorgie, Marjorie Taylor Greene. Surnommée par ses détracteurs « le perroquet du Kremlin » pour sa fidélité aux thèses de la propagande russe, elle est l’objet d’un culte dans les médias russes et devance même Donald Trump dans le cœur du propagandiste Vladimir Soloviov qui s’est pris à rêver tout haut sur la chaîne d’État Russia 1 de la voir gagner les primaires du Parti républicain12. D’après l’historien Timothy Snyder, six thèmes majeurs de la propagande de guerre russe sont ainsi relayés au Congrès par la « Putin Wing »13.
Cette poutinophilie n’est certes pas majoritaire chez les Républicains mais elle est extrêmement répandue dans la masse de ses électeurs. Or sans le soutien de cette base populiste, aucun candidat républicain ne peut espérer passer la barrière des primaires. La russophilie des masses républicaines est un phénomène récent, largement imputable à Donald Trump après son élection remportée en 2016 avec l’aide du Kremlin. Trump a puissamment contribué à réhabiliter ce dictateur auprès des électeurs républicains et a laissé la propagande russe se déployer sans entrave sur la toile et dans les médias grâce à d’importants flux financiers en provenance de Moscou.
Forts de l’expérience soviétique, les Russes sont passés maîtres en matière de guerre informationnelle et de manipulations psychologiques. Mais aujourd’hui, ils ne se contentent plus de diffuser de la « propagande » pour démontrer la supériorité de leur modèle, ni de répandre des fausses rumeurs comme celle qui, dans les années 1980, attribua aux États-Unis la fabrication du virus du sida. Ils adaptent ces méthodes à l’espace informationnel mondialisé d’Internet : la « stratégie du troll » est une « technique d’interaction sociale dans le champ informationnel qui vise à rompre avec le discours dominant » et à « saper la notion de vérité objective »14.
Les médias Sputniknews et Russia Today ont été les « ambassadeurs » aux États-Unis d’une vision russe du monde. Depuis leur exclusion du câble en 2022, les réseaux sociaux, la chaîne Fox News ou les médias de l’alt-right, continuent de relayer les théories du complot en provenance des usines à trolls de feu Prigojine. Ainsi, la base de l’électorat républicain, anti-système, anti-élites, défiante envers les médias mainstream, est entrée dans l’ère des « faits alternatifs » : ni les preuves, ni les expertises scientifiques n’ont de valeur en dehors des fictions qui circulent dans la réalité virtuelle de l’univers des MAGA, cette « bespoke reality » [réalité sur mesure, NDLR], selon l’expression de l’éditorialiste David French. Retranchées dans leur « bulle », ces communautés MAGA interagissent selon « leurs propres normes, médias, guides et cadres conceptuels »15.
La détestation du Président Zelensky et l’opposition farouche à l’aide à l’Ukraine constituent leur point de ralliement. Le ressort de cette attitude n’est nullement politique : les MAGA ne se réfèrent aucunement aux arguments des isolationnistes traditionnels soucieux de préserver la supériorité du modèle américain16. Leur haine irrationnelle trouve son origine dans les légendes et les stéréotypes de leur univers fantasmé où le président Zelensky tient le rôle du méchant face à l’héroïque « Vladimir Le Grand ». Ces représentations dérivent de théories complotistes largement diffusées sous la présidence Trump comme l’affirmation selon laquelle l’Ukraine et non la Russie serait à l’origine des interférences dans l’élection présidentielle de 2016, une thèse fantaisiste longtemps accréditée par Trump car elle a le mérite de l’innocenter. Si l’on ajoute à cette rumeur, la théorie extravagante diffusée au début de l’invasion russe via l’application Telegram selon laquelle les Américains ont développé des armes biologiques dans des laboratoires secrets en Ukraine, on a là assez d’éléments pour faire de ce pays le parfait bouc émissaire.
Ainsi, dans l’univers MAGA, Poutine n’apparaît ni comme un dictateur autoritaire et agressif ni comme une menace pour la démocratie américaine, sa suprématie et les valeurs du monde occidental. Il y incarne l’allié qui aidera Donald Trump à remporter la victoire contre leur véritable ennemi — un ennemi intérieur — celui de « l’idéologie woke » — le nouveau « totalitarisme » qui menace la civilisation occidentale. Bien que Poutine ne cesse de clamer sa détestation de l’Occident et de transgresser les valeurs du christianisme, ils voient en lui le leader « anti-woke », selon Steve Bannon, qui sauvera et régénérera la civilisation judéo-chrétienne. Ces idées sont d’ailleurs clairement exprimées par les idéologues ultra-conservateurs dont l’éditorialiste de l’American Conservative, Rod Dreher qui appelle les nouveaux « conservateurs-croquants » (Crunchy conservatives), religieux, partisans d’une vie frugale et de la famille traditionnelle, « les adeptes de Burke en Birkenstock, les cultivateurs bio pro-armes, les éleveurs traditionnels de sensibilité évangélique et les mères qui assurent l’école à domicile, à changer l’Amérique, ou du moins le Parti républicain ». Cet ancien méthodiste qui exhorte les fidèles à se regrouper en communautés pour vivre en chrétiens à l’écart du « monde qui ne l’est plus », compare volontiers le wokisme à un nouveau « totalitarisme mou »17.
L’idée que la Russie et son président représentent un rempart contre la menace existentielle que la culture woke fait peser sur les sociétés occidentales est omniprésente dans les médias ultra-conservateurs et les déclarations de leurs guides. Parmi les nouveaux gourous des trumpistes, le psychologue canadien Jordan Peterson est un cas emblématique de ces idéologues « anti-politiquement-correct » qui ont prêté allégeance à Vladimir Poutine. Célèbre polémiste, rompu à l’art de la provocation, cet universitaire très populaire dans les médias anglo-saxons cible dans ses vidéos « les féministes radicales », les militants anti-racistes et transgenres qu’il accuse de menacer la liberté d’expression par leurs « diktats linguistiques »18. Mais par un curieux paradoxe, Jordan Peterson, nouveau « héraut des masculinistes », voit en Vladimir Poutine le champion de la guerre culturelle contre le wokisme et de la liberté d’expression… Ainsi, l’attaque russe contre l’Ukraine ne serait qu’un geste défensif motivé par la crainte d’une invasion de ce pays par la culture occidentale décadente. Dans le climat politique hyperpolarisé par les extrêmes et savamment entretenu par les agents du Kremlin, les trumpistes soutiennent Vladimir Poutine dans sa guerre contre l’Ukraine parce qu’ils le considèrent comme leur allié dans leur lutte politique intérieure pour faire barrage à la réélection de Joe Biden.
Piéger Joe Biden et détruire la démocratie américaine
Ainsi, les intérêts de Donald Trump et ceux de Vladimir Poutine convergent pour faire de cette campagne présidentielle 2024 une élection à haut risque. Vue du Kremlin, la victoire du candidat républicain représente une opportunité de mettre rapidement un terme à la résistance de l’Ukraine en exploitant le ressentiment de Donald Trump contre le président Zelensky, responsable, à ses yeux, de la première procédure d’impeachment déclenchée contre lui en 2019. Elle permettrait à Moscou de poursuivre ses desseins expansionnistes en Europe, Trump adoptant une posture de plus en plus isolationniste, menaçant non seulement de laisser les Européens seuls face à la Russie mais « d’encourager » celle-ci « à faire tout ce qu’elle veut » d’un membre de l’OTAN qui n’aurait pas versé sa contribution à l’organisation19.
Les synergies entre la Russie et la Putin Wing sont déjà à l’œuvre pour nuire au candidat démocrate et transformer sa campagne en un parcours semé de pièges comme le démontrent les révélations de l’affaire Smirnov. Pour discréditer Joe Biden, la Russie n’a pas hésité à recourir à la bonne veille technique du kompromat, une affaire judiciaire causée par la diffusion d’un document compromettant (le plus souvent fabriqué de toutes pièces). C’est sur la base des allégations d’Alexander Smirnov, un binational américano-israélien parlant couramment le russe, que la Chambre des représentants a déclenché une procédure de destitution le 13 décembre 2023 contre Joe Biden pour des faits présumés de corruption. Majoritaires à la Chambre, les Républicains ont pu lancer la procédure grâce à leurs seules voix, en dépit de l’absence de preuves formelles. Ils accusent le Président démocrate d’avoir usé de son influence lorsqu’il était vice-président d’Obama (2009-2017) pour aider son fils à faire des affaires en Chine et en Ukraine. L’informateur Alexander Smirnov aurait transmis au FBI les preuves que Joe Biden et son fils auraient reçu chacun 5 millions de dollars d’une société énergétique ukrainienne. Or, la source des Républicains — inculpée et arrêtée le 14 février 2024 pour avoir fabriqué de fausses accusations contre la famille Biden — était en fait liée aux services de renseignement russes20. Malgré cette inculpation, les Républicains continuent leur procès parlementaire et l’avenir dira si ces élus ont été abusés par la source russe ou s’ils en étaient les complices. Pour couper court à de nouvelles accusations de conspiration, Vladimir Poutine a immédiatement affirmé qu’il préférait une victoire de Joe Biden jugé plus « prévisible ».
Si les intrusions de la Russie dans la vie politique américaine n’ont jamais vraiment cessé, elles se sont intensifiées au cours des derniers mois. Le Washington Post a récemment dévoilé le contenu d’un appendice secret au Foreign Policy Concept of the Russian Federation, du ministère russe des Affaires étrangères, confirmant le rôle de la Russie dans les mouvements qui déstabilisent actuellement nos sociétés occidentales21. Les « mesures actives » visent à y répandre le chaos en instrumentalisant des formations souverainistes ou extrémistes.
Ajoutons le soutien aux organisations terroristes, comme le Hamas, qui s’inscrit dans le droit fil de la stratégie soviétique. Selon le général Ion Mihai Pacepa, « le terrorisme d’aujourd’hui a été conçu à la Loubianka, le quartier général du KGB, au lendemain de la guerre des Six Jours »22. Après l’humiliante défaite des pays arabes, le KGB décida d’armer contre Israël ses voisins palestiniens. Si l’implication de la Russie dans les attentats du 7 octobre — jour anniversaire de Vladimir Poutine — ne peut être prouvée, un faisceau de présomptions alimente la thèse de sa complicité : la Russie entretient des relations avec l’organisation depuis 17 ans et les visites de plusieurs de ses dirigeants à Moscou, en mars et septembre 2023 (alors que les attaques terroristes étaient déjà planifiées) ne relevaient peut-être pas de la simple courtoisie23.
Au-delà de leur l’impact sur l’aide à l’Ukraine, nous mesurons aujourd’hui les interférences des événements moyen-orientaux et du conflit israélo-palestinien sur les sociétés occidentales, et notamment aux États-Unis où la relation à Israël est autant une affaire de politique intérieure que de politique extérieure, en raison du poids de l’électorat juif, du lobby pro-israélien et de l’influence des chrétiens évangéliques au sein du Parti républicain. Ainsi, depuis les attentats du 7 octobre, le conflit israélo-palestinien s’invite dans la campagne présidentielle, exacerbant les tensions communautaires de la société américaine, comme l’attestent les heurts entre étudiants juifs et les jeunes militants propalestiniens sur les campus. Il fragilise la coalition démocrate sans laquelle nulle victoire n’est possible pour Joe Biden. Depuis plus de six mois, des rassemblements en soutien à la Palestine ont lieu toutes les semaines dans les villes américaines pour protester contre l’appui inconditionnel du gouvernement démocrate à Israël : « Tout le camp démocrate y est représenté dans sa diversité »24. Les femmes, les jeunes, les Noirs, les Latinos ainsi que les Américains d’origine palestinienne ou arabe se disent trahis par Joe Biden auquel ils reprochent sa fidélité sans faille à Israël.
La reprise du conflit israélo-palestinien nuit politiquement au président démocrate qui voit son soutien s’éroder parmi les électeurs musulmans et Américains d’origine arabe — un bloc qui avait assuré sa victoire face à Trump dans le Michigan25. Dans cet État clef, remporté de justesse par Joe Biden, en 2020, grâce à une faible marge de 150 000 électeurs, la population musulmane (240 000 personnes) et ses leaders sont très critiques vis-à-vis de sa politique au Moyen-Orient. Les jeunes la désapprouvent également. Or, sans la mobilisation massive de cet électorat, notamment à Durham, Raleigh ou sur l’immense campus de Chapel Hill, Joe Biden n’aura non plus aucune chance de reconquérir la Caroline du Nord, perdue de justesse face à Trump en 2020. En Caroline du Sud, c’est la mobilisation de l’électorat afro-américain au nom de « l’intersectionnalité des luttes » qui pourrait lui faire défaut. Une partie de la gauche démocrate serait susceptible de se reporter sur la candidate du Green Party, Jill Stein, une autre créature du Kremlin, d’après la presse américaine, dont la candidature en 2016 avait déjà privé Hillary Clinton de voix précieuses26. Dans la mesure où l’élection s’annonce serrée et se jouera dans quelques États clefs, l’abstention-sanction des minorités ou des jeunes de gauche propalestiniens peut offrir la victoire à Donald Trump.
Si le Kremlin parie sur la réélection de Trump, ce n’est pas seulement en raison de son opposition à l’aide à l’Ukraine ou de sa politique étrangère isolationniste, mais pour les dommages qu’il peut causer à la démocratie américaine. Après l’élection de 2016, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Boris Eltsine, Andreï Kozyrev, soulignait que, pour la première fois, le même genre d’hommes gouvernait à la fois le Kremlin et la Maison Blanche. « Avec Trump, la russification de l’Amérique progresse rapidement, l’autoritarisme macho de Vladimir Poutine, son dédain pour la presse et sa volonté de travestir la réalité se sont installés au Potomac », remarquait ironiquement Roger Cohen dans le New York Times.
De fait, la culture politique russe a déjà gangréné la Putin Wing de la Chambre : les outrances verbales, les injures à l’encontre du président sortant ( « Joe l’escroc ») et du président Zelensky, comparé à un « manager de strip club », sont monnaie courante27. Pour ces « anti-woke », la vulgarité décomplexée est une marque de rejet des élites et le signe de reconnaissance d’un vrai leader populiste, tout comme le langage de la pègre est l’apanage du pouvoir pour les oligarques du Kremlin. Au cours de sa campagne, les propos de Trump ont atteint un niveau de violence inédit. Il accuse Biden d’avoir importé « le carnage, le chaos et les tueries du monde entier », jure de se venger de ses opposants, des juges et procureurs chargés de ses affaires judiciaires et, lors d’un meeting dans l’Ohio, promet « un bain de sang » si Biden était réélu. L’assaut du Capitole par ses partisans prouve que le mensonge politique et le recours à la violence sont deux leviers que Trump n’hésiterait pas à actionner en cas de victoire (ou s’il refusait une nouvelle fois de concéder sa défaite).
Certains observateurs craignent un basculement des États-Unis vers l’autoritarisme, Donald Trump n’ayant cessé son travail de sape contre les institutions américaines depuis 2016. Les nombreuses accusations portées contre lui ne concernent en effet pas seulement sa vie privée, mais des atteintes au bon fonctionnement des institutions qu’il avait juré de défendre en prenant ses fonctions de président. Ainsi, son inculpation début août 2023, pour « complot contre l’État », en raison de son rôle dans l’assaut du Capitole, est simplement « l’acte d’accusation le plus important jamais déposé pour sauvegarder la démocratie américaine et l’état de droit dans un tribunal des États-Unis »28.
Face à ses accusateurs, Trump ne cesse de dénoncer la politisation de la justice et promet sa revanche. Ses provocations, scandales ou procès n’altèrent nullement l’emprise qu’il exerce sur ses partisans et notamment sur les chrétiens évangéliques : au contraire, ceux-ci crient au complot et n’accordent aucun crédit aux accusations portées contre celui qui se présente comme un martyr, voire comme « un prophète adoubé par Dieu »29. Le culte de la personnalité savamment entretenu par Trump via la vente de produits dérivés (la fameuse casquette à perruque orangée) — et l’idolâtrie de ses fidèles partisans constituent des « signaux d’alerte d’une dérive sectaire »30. Dans ses meetings aux allures de grand-messe Trump transforme sa campagne en une ultime croisade contre « l’enfer de Joe Biden et de sa bande » : « Notre pays est en train d’être détruit, et la seule chose qui se dresse entre vous et son anéantissement, c’est moi. Le 5 novembre sera notre nouveau jour de notre libération. Ce sera le jour de leur jugement. » Un discours apocalyptique qui semble tout droit sorti d’une émission de Vladimir Soloviev.
Si le Kremlin mise autant sur Trump, c’est parce qu’il voit en lui l’homme providentiel qui sèmera le chaos, brisera le lien transatlantique et détruira la démocratie américaine. Alors Moscou aura le champ libre pour asservir les peuples européens. Voir l’Amérique sombrer dans la guerre civile est un objectif clairement poursuivi par le Kremlin depuis la chute de l’Union soviétique. Le leader d’extrême droite, Jirinovski, le prophétisait déjà sous Eltsine et, en 2017, un commentateur de la radio Ekho Moskvy jubilait au soir de l’investiture de Donald Trump :
« Je veux que ces quatre années voient un raz-de-marée de la confrontation politique aux États-Unis […]. Je veux voir l’élite des États-Unis s’affronter à un nouveau Gettysburg […]. Je souhaite que les Américains connaissent ce que nous avons vécu. Je veux que les Mexicains exigent le retour du Texas. Je veux qu’au Vermont de nouveaux confédérés et des militants populaires se soulèvent contre le pouvoir fédéral […]. Je veux que les Afro-Américains de Ferguson se souviennent des militants blancs qui ont tué les leurs. Voilà pourquoi l’arrivée au pouvoir de Donald Trump m’inspire beaucoup d’espoir. »31
Trump a refusé de s’engager à reconnaître le résultat s’il perdait l’élection face à Joe Biden. Il est donc pas impossible de revivre les émeutes du 6 janvier ou qu’elles tournent au « carnage », comme dans une scène du Civil War d’Alex Garland. Le succès de ce film est révélateur de l’esprit du temps : plus de la moitié des Américains sont convaincus que la démocratie est sérieusement menacée32. La politologue Barbara Walters de l’université de San Diego pense que les États-Unis ne sont plus très loin de retomber dans le climat de haine et de violence politique de la guerre de Sécession33. Mais à la différence des milices du siècle dernier, les groupes extrémistes font aujourd’hui partie de réseaux internationaux activement soutenus par la Russie et par la Chine34.
Conclusion
Les menaces qu’une réélection de Donald Trump fait courir tant à l’issue de la guerre en Ukraine qu’au sort de la démocratie américaine sont bien réelles. Dans le projet poutinien, les destins de l’une et de l’autre sont indissociables : la défaite de l’Ukraine discréditerait l’Amérique entraînant à son tour l’Europe dans la collaboration avec Moscou. Mais les scénarios les plus sophistiqués du Kremlin sont parfois déjoués par les aléas de la vie démocratique. Ainsi l’on imagine la déconvenue à Moscou lorsque, le 20 avril 2024, la Chambre des Représentants après des mois d’atermoiements a finalement adopté le plan d’aide à l’Ukraine de 61 milliards de dollars, soumis au vote par Mike Johnson avec l’approbation de Donald Trump. Cette volte-face était pourtant prévisible.
Dans les priorités de Donald Trump, la question de sa survie politique l’emporte largement sur l’agenda diplomatique du Kremlin. Certain de gagner les primaires, Trump doit désormais peaufiner son image de présidentiable (endommagée par ses affaires judiciaires et le souvenir du Russiagate) pour remporter les suffrages des grands électeurs. Or, contrairement à la base complotiste des MAGA, l’opinion américaine demeure majoritairement favorable à Kyïv tout comme l’establishment républicain, dont le soutien est indispensable à Trump dans la dernière étape de la course à la Maison Blanche. Trop compromise avec la Russie, « Marjorie Moscow », qui fait la une du New York Post coiffée d’une chapka, est soudainement tombée en disgrâce dans les médias trumpistes du groupe Murdoch35. Comme le déplore dans ses discours Vladimir Poutine, le problème avec la démocratie, c’est qu’elle est imprévisible ! Tout peut changer du jour au lendemain : « Un jour un pays poursuit tel ou tel objectif avec insistance et, le lendemain, des changements de politique intérieure se produisent, et ils se mettent à vouloir réaliser des buts parfois complètement différents, voire opposés, avec la même insistance et le même toupet. »36
Laurence Saint-Gilles est professeure agrégée d’histoire. Elle enseigne l’histoire des relations internationales à la faculté des Lettres de Sorbonne Université. Lauréate d’une bourse Fulbright, elle a consacré sa thèse et de nombreux articles aux relations diplomatiques et culturelles franco-américaines. On lui doit notamment Les États-Unis et la nouvelle guerre froide, Sorbonne université Presses, 2019.
Notes
- John Hudson and Shane Harris, “CIA director on trip to Ukraine, hears plans for wars”, The Washington Post, 30/06/2023.
- Anders Aslund, “Washington Defeatism”, Kyiv Post, 20/11/2023.
- Charles A. Kupchan,” It’s Time To Bring to Bring Russia and Ukraine to the Negociating Table”, New York Times, 2/11/2022.
- Richard Haass and Charles Kupchan, “The West Needs a New Strategy in Ukraine”, Foreign Affairs, 13/04/2023.
- Jennifer Aglesta, “Majority of American Oppose more US Aid for Ukraine in War with Russia”, CNN Poll, 4/08/2023.
- Piotr Smolar, « Le soutien critique des stratèges américains face à la contre-offensive de Kiev », Le Monde, 1/09/2023.
- Nahal Toosi, “Leaked U.S strategy on Ukraine sees corruption as the real threat”, Politico, 2/10/2023.
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