Comment l’Occident devrait-il se comporter face à un « vilain garçon » ?

Les relations russo-américaines ressemblent de plus en plus à une rivalité de lycée entre une brute stupide et un gentil garçon de bonne famille qui n’aime pas se battre. Le chef de la racaille locale se rend compte qu’il est incapable de plaire à ses camarades de classe et tente donc de les maintenir dans la peur en brandissant ses poings et en proférant des menaces.

L’objectif de la politique étrangère de Vladimir Poutine est de s’affirmer sur la scène internationale. Héritant d’une tradition soviétique et réalisant que la Russie autoritaire n’est proche que des pays voyous, le Kremlin essaie de forcer le monde extérieur sinon à la respecter, du moins à la craindre.

Un tel style de conduite internationale est facile à expliquer. La confrontation est la seule chose qui puisse en quelque sorte justifier l’usurpation sans fin du pouvoir. Un environnement hostile et l’image d’une « forteresse assiégée » fournissent le prétexte à des mesures d’urgence et à la lutte contre toute concurrence politique. Pendant l’ère soviétique, cette « menace » était l’environnement capitaliste, puis l’OTAN. Le peu d’imagination des dirigeants actuels du Kremlin ne leur permet que de recycler les stéréotypes soviétiques usés : l’OTAN est encore le principal ennemi de la Russie.

Raviver une confrontation permanente sert le même objectif global que la traque de l’opposition : l’ennemi n’est pas seulement à l’extérieur de notre pays, mais aussi parmi nous. À l’époque soviétique, c’était « l’aggravation de la lutte des classes », puis « les dissidents au service de la CIA » ; aujourd’hui, ce sont les « agents étrangers » et la guerre de l’information. En somme, rien de nouveau.

L’idée d’affronter le monde entier et de défendre la « Russie offensée » est mise en œuvre de deux manières. La manière forte consiste en des opérations militaires face auxquelles aucune résistance effective n’est à craindre. La méthode douce consiste en des négociations sans fin, dont le but n’est pas de trouver une solution acceptable, mais d’intensifier continuellement les tensions et de maintenir la situation dans les limbes. Le pouvoir russe actuel maîtrise parfaitement ces deux instruments.

Les négociations avec les États-Unis à Genève, avec l’OTAN à Bruxelles et avec l’OSCE à Vienne sont à l’ordre du jour. Ces pourparlers ne sont pas censés déboucher sur quelque chose de positif, ils ont une valeur en soi ; ils sont un moyen d’affirmer l’autoritarisme russe au sein de la communauté internationale. En conséquence, les exigences russes adressées à l’Occident sont de toute évidence inacceptables, tant sur la forme que sur le fond : un ton d’ultimatum, la délimitation de sphères d’influence, le fait de décider du sort d’autres pays dans leur dos, l’accent mis sur la détermination d’utiliser la force militaire…

À cela s’ajoute le ton effronté de voyou de rue de la part d’un officiel russe : « L’OTAN devrait donc plier bagage et retourner aux frontières de 1997 » (Sergueï Riabkov, chef de la délégation russe aux pourparlers de Genève).

Le régime autoritaire de Vladimir Poutine, désireux d’étendre son influence, ne permettra jamais un état de paix ni de tranquillité internationale. Dans une telle atmosphère, il mourrait simplement, comme meurt un poisson sans eau, échoué sur le rivage. C’est pourquoi toute concession de la part de l’Occident ne mènera qu’à une escalade des exigences russes et à de nouvelles menaces.

Cette situation s’aggravera tant que le Kremlin ne rencontrera pas de résistance claire et persistante. Comme lors de la crise de Berlin en 1961, lorsque les chars soviétiques ont été retirés de la frontière séparant les parties est et ouest de la ville. Comme ce fut le cas lors de la crise des missiles de Cuba un an plus tard, lorsque les missiles soviétiques à charge nucléaire ont été démantelés et retirés de Cuba sous la menace d’une guerre avec les États-Unis. En l’absence d’une telle résistance, il y a fort à parier que nous assisterons bientôt non pas à de simples escarmouches militaires locales, mais à une véritable guerre.

Tel un gentil garçon issu d’une bonne famille, l’Occident essaie de raisonner le « hooligan », mais n’est pas prêt à riposter avec fermeté. Il est même parfois séduit par les bénéfices d’une amitié avec un voyou, obtenant ainsi de lui à bon prix ce dont il a besoin. Il dissimule son indécision, voire sa souplesse, derrière un écran de négociations. Nous cherchons un terrain d’entente en nous efforçant de nous mettre d’accord sur ce qui est négociable : tel est le credo des diplomates.

Il est très probable que cela conduira bientôt l’Occident à reconnaître le droit de la Russie à se défendre contre l’OTAN et à s’attaquer à son « environnement hostile » (l’Ukraine ou les États baltes, par exemple). Le monde bipolaire dont rêve Poutine deviendrait alors réalité. Or, l’intérêt d’une Russie démocratique n’est pas d’être hostile aux démocraties occidentales, mais de coopérer avec elles. Non pas d’affronter l’OTAN, mais de la rejoindre. Non pas de rester isolée de la communauté internationale, mais d’établir une coopération large et bienveillante avec elle.

L’élite politique russe, quant à elle, s’intègre avec plaisir dans la vie occidentale. Les hauts fonctionnaires, les politiciens russes et leurs propagandistes possèdent des biens immobiliers dans les pays occidentaux, placent leur épargne dans les banques occidentales, investissent l’argent volé au budget russe dans l’économie occidentale, leurs enfants fréquentent des écoles et des universités occidentales prestigieuses et coûteuses. Dans leur vie privée, ils ne sont pas des ennemis de l’Occident. Ils veulent en revanche faire de la Russie cet ennemi. Ils ont besoin de maintenir le pays en état de guerre et de siège, dans un état d’urgence permanent. C’est la seule façon pour eux d’assurer leur bien-être et celui de leurs familles.

Aujourd’hui, le Kremlin a choisi le bon moment pour une escalade politico-militaire. La faiblesse de l’administration de Washington, combinée avec l’intérêt de l’Europe pour le gaz russe, donne à Poutine une chance de réussir dans sa politique intransigeante. Le soutien ouvert au dictateur bélarusse, la démonstration de force à la frontière ukrainienne et la répression de l’opposition russe sont autant d’éléments qui, dans l’esprit du Kremlin, illustrent bien sa détermination à mettre fin aux négociations par la guerre, à défaut d’une victoire diplomatique.

Les événements dramatiques survenus au Kazakhstan sont arrivés à point nommé. Il semble désormais que tout le monde ait enfin compris que Vladimir Poutine et ses satellites n’hésiteraient pas à recourir à la force militaire en cas d’atteinte aux intérêts de leur confrérie autoritaire dans l’espace post-soviétique. L’Occident l’a si bien compris que le secrétaire général de l’OTAN, M. Stoltenberg, a clairement indiqué à Moscou, lors d’une réunion à Bruxelles, que si la Russie attaquait l’Ukraine, l’OTAN n’entrerait pas dans un conflit ouvert, car l’Ukraine n’est pas membre de l’Alliance et ne bénéficie pas de ses garanties de sécurité collective. Et c’est la chose la plus importante pour le Kremlin : les garanties de non-ingérence délient les mains de l’agresseur.

Moscou connaît déjà le prix élevé qu’il y aurait à payer pour une nouvelle agression contre l’Ukraine et cela n’impressionne personne. Aucune sanction ni aucune « mesure décisive » n’a empêché les usurpateurs du Kremlin d’annexer la Crimée et de contrôler de grandes parties de la Géorgie, de la Moldavie et de l’Ukraine.

Les paroles menaçantes et les promesses sérieuses des politiciens occidentaux ont longtemps été perçues avec humour à Moscou. Le Kremlin s’en réjouit probablement, car elles augmentent à la fois le degré de confrontation et le statut de « méchant » de la Russie dans les négociations avec l’Occident. Si le régime russe reste persuadé que les négociations sont l’unique moyen pour la démocratie occidentale de relever les défis de l’autoritarisme, il pourrait vouloir commettre de nouveaux « exploits » dans diverses parties du monde.

Alexandre Podrabinek est un journaliste indépendant russe, ex-prisonnier politique soviétique. Impliqué dans le mouvement démocratique en URSS depuis le début des années 1970, il a enquêté en particulier sur l'utilisation de la psychiatrie à des fins politiques. Deux fois jugé pour « diffamation » pour ses livres et articles publiés en Occident ou circulant en samizdat, il a passé cinq ans et demi en prison, dans des camps et en relégation. Son livre le plus connu est Médecine punitive, en russe et en anglais. Il est chroniqueur et journaliste pour plusieurs médias dont Novaïa Gazeta, RFI, Radio Liberty, etc.

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