De la vérité contre les propagandes mensongères, avec David Rousset

L’autrice nous livre ici un nouveau volet de sa « bibliothèque antifasciste » qui aide à comprendre notre monde, en s’appuyant sur des œuvres du passé. Cette fois, elle revisite le livre de David Rousset, L’Univers concentrationnaire, paru en 1946, et analyse la polémique qui a suivi sa publication. La négation du Goulag par les communistes français est tout à fait comparable aux mensonges des propagandistes de Poutine.

J’ai devant moi une curiosité de l’édition française, qui m’a été apportée par notre voisine en train de ranger sa bibliothèque. Une petite brochure qui s’intitule Le procès des camps de concentration soviétiques. Sur sa couverture, nous lisons l’année de sa parution, 1951, et son éditeur, Le mouvement national de défense de la vérité contre les propagandes mensongères, de lutte pour la paix et les libertés démocratiques Paix et Liberté, situé au 167, rue de l’Université, Paris VIIe. Je suis d’emblée frappée par cette formule : défense de la vérité contre les propagandes mensongères.

« Ceci, je pense, va vous intéresser », dit la voisine.

En effet. Je commence à lire et je ne peux plus m’arrêter. « Il y a près de vingt ans que les plus lucides observateurs de la réalité soviétique ont attiré l’attention de l’opinion mondiale sur la création des camps de travaux forcés en URSS, non seulement pour les opposants au régime, mais encore pour tous ceux dont ce régime souhaitait employer la force physique selon les implacables exigences de son industrialisation. »

Oui, elle est prodigieusement intéressante, cette brochure qui rend compte d’un procès ayant eu lieu à Paris en 1949-1950, procès instruit contre Pierre Daix (1922-2014), futur célèbre historien de l’art, ami de Picasso, écrivain et journaliste. Il existe aujourd’hui un prix qui porte son nom et qui récompense des ouvrages dédiés à l’art. Mais à l’époque c’était un communiste militant âgé de 27 ans qui, en 1939, encore élève à Paris, au lycée Henri IV, avait rejoint ce parti alors interdit en France. En 1944, il fut interné à Mauthausen. Il survécut. En 1949, il publia dans Les Lettres françaises (édition de résistants, créée clandestinement en 1942), un article dans lequel il niait l’existence de camps de concentration en URSS. Dans cet article, Pierre Daix accusait David Rousset (1912-1997) de mensonge à propos du Goulag.

Rousset était de dix ans l’aîné de Daix et il était également résistant et homme de lettres. Petit-fils de deux pasteurs, il avait étudié à la Sorbonne auprès de Georges Dumas, professeur en psychopathologie. Ce fut l’un des fondateurs du Parti ouvrier internationaliste, parti d’inspiration trotskiste. C’était donc aussi un homme de gauche (mais pas communiste) ; il fut également arrêté pendant l’Occupation et envoyé à Buchenwald. Tout comme Pierre Daix, David Rousset survécut. En 1946, il publia aux éditions du Pavois un petit ouvrage intitulé L’Univers concentrationnaire. En 1947 parut son roman fondé sur son expérience du camp : Les Jours de notre mort. Cette expérience extrême labourée par l’écriture permit à David Rousset de comprendre et de formuler l’essentiel du système concentrationnaire allemand.

David Rousset fut notamment l’un des premiers à expliquer le profond non-sens, l’absurdité de la machine concentrationnaire. Ce n’est pas pour rien qu’il mit en exergue de son Univers concentrationnaire, récit qui nous glace le sang, un extrait d’Ubu enchaîné d’Alfred Jarry, suivi de cette courte phrase à l’allure neutre : « Il existe une ordonnance Goering qui protège les grenouilles. » À la différence des grenouilles, rien ne protégeait les détenus des camps. Oui, il en fut tout autrement pour les gens : bien entendu, Rousset ne parlait pas des camps d’extermination des Juifs, mais de ceux destinés à toutes sortes de détenus : essentiellement criminels de droit commun, politiques et prisonniers de guerre. Le camp en effet n’avait d’autre « utilité », d’autre logique que la destruction de l’homme. « L’homme se défaisait lentement chez le concentrationnaire. » Cette défaite était totale, aussi bien physique que morale, personne ne pouvait y échapper, ni les jeunes, ni les vieux, ni les riches, ni les pauvres, ni les éduqués ni les analphabètes. Et c’était cela le but du camp : la réification de l’homme. On y parvenait au prix de la violence, du sadisme, de la corruption des uns et de la pire douleur, de l’humiliation sans fond, des autres. Le camp générait la torture. La terreur, expliquait Rousset, ne se fondait pas sur la mort mais sur la torture qui installait dans la société, y compris en dehors du camp, un régime de « cauchemar destructeur ». « Le but des camps est bien la destruction physique, mais la fin réelle de l’univers concentrationnaire va très au-delà. On ne conçoit pas son adversaire comme un homme normal. L’ennemi […] est la puissance du Mal intellectuellement et physiquement exprimée. […] La mort n’a donc pas un sens complet. L’expiation seule peut être satisfaisante, apaisante pour les Seigneurs. Les Camps de concentration sont l’étonnante et complexe machine de l’expiation. Ceux qui doivent mourir vont à la mort avec une lenteur calculée pour que leur déchéance physique et morale, réalisée par degrés, les rende enfin conscients qu’ils sont des maudits, des expressions du Mal et non des hommes. […] Cette philosophie seule explique le génial agencement des tortures, leur raffinement complexe les prolongeant dans la durée, leur industrialisation, et toutes les composantes des camps. La présence des criminels, la mise en commun brutale des nationalités en brisant toute compréhension possible, le mélange calculé des couches sociales, et des générations, la faim, la crainte permanente enfoncée dans les cerveaux, les coups, autant de facteurs dont le seul développement objectif, sans autres interventions, conduit à cette désagrégation totale de l’individu qui est l’expression la plus totale de l’expiation. »

Dans la conclusion de son livre, David Rousset écrivait : « L’existence des camps est un avertissement. La société allemande, en raison à la fois de la puissance de sa structure économique et de l’âpreté de la crise qui l’a défaite, a connu une décomposition encore exceptionnelle dans la conjoncture actuelle du monde. Mais il serait facile de montrer que les traits les plus caractéristiques et de la mentalité S.S. et de ces soubassements sociaux se retrouvent dans bien d’autres secteurs de la société mondiale. Toutefois, moins accusés et, certes, sans commune mesure avec les développements connus dans le grand Reich. Mais ce n’est que question de circonstances. Ce serait une duperie, et criminelle, que de prétendre qu’il est impossible aux autres peuples de faire une expérience analogue pour des raisons d’opposition de nature. L’Allemagne a interprété avec l’originalité propre à son histoire la crise qui l’a conduite à l’univers concentrationnaire. Mais l’existence et le mécanisme de cette crise tiennent aux fondements économiques et sociaux du capitalisme et de l’impérialisme. Sous une figuration nouvelle, des effets analogues peuvent encore apparaître. Il s’agit, en conséquence, d’une bataille très précise à mener. Le bilan concentrationnaire est à cet égard un merveilleux arsenal de guerre. Les antifascistes allemands internés depuis plus de dix ans doivent être de précieux compagnons de lutte. »

En août 1945, David Rousset, cet homme politique engagé mais aussi ce témoin d’une probité exemplaire, limite donc ses inquiétudes au monde « capitaliste ». Car ce marxiste est un matérialiste (condition que nous avons tendance à oublier) et, en tant que tel, il croit que la crise économique et sociale propre au capitalisme est la seule responsable de ce qu’il appelle « la mentalité S.S. », cette dernière consistant en la « déshumanisation des humains ».   

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Paradoxalement, l’autre conclusion magistrale que David Rousset tire de son expérience concentrationnaire contredit son matérialisme marxiste. Et c’est là que nous nous rendons compte de la stricte intégrité de sa démarche. Quand il parle de la survie, de cet instinct qui agit chez l’homme presque malgré lui, malgré sa plus profonde et absolue défaite, Rousset devient brusquement idéaliste. Il évoque des idées-forces, idées qui deviennent réalités et qui, pour Marx, sont des entités purement formelles. Ce qui, en fait, donne à l’homme l’envie de vivre, ce qui va à l’encontre de l’évidence matérielle de sa déchéance définitive, est d’ordre immatériel : cela peut être une parole, un regard et surtout, de manière générale, l’humour qui joue un rôle tout à fait primordial dans la lutte de l’homme pour la vie. L’immatériel devient réel, avoue David Rousset. « Ubu et Kafka perdent les traits d’origine liés à leur histoire pour devenir des composants matériels du monde. La découverte de cet humour a permis à beaucoup de survivre. Il est clair qu’elle commandera de nouveaux horizons dans la reconstruction des thèmes de vie et de leur interprétation. » Cette compréhension par David Rousset de la condition humaine face à la déshumanisation, n’est en rien, on l’a senti, une « construction » : cet homme est tout sauf idéologue. Il écrit, il pense, il parle d’expérience.

Voici donc que, quelques années seulement après l’enfer, en cette fin des années 1940, David Rousset commence à recevoir des témoignages à propos des camps de concentration… en URSS. Ces récits parviennent en Occident de tous les côtés. David Rousset les lit et, malgré toutes les différences d’ordre économique et social entre l’Allemagne nazie et l’URSS communiste, non seulement il y reconnaît les points systémiques de l’univers concentrationnaire, non seulement des éléments structurels dont il avait l’expérience directe, mais il devine aussi l’échelle de l’entreprise. Soulignons une fois de plus le fait que David Rousset fut interné dans un camp de concentration et non pas d’extermination : la similitude de ces camps nazis avec le système du Goulag est pour lui une évidence.

La découverte est de taille. C’est une bombe. Pour la gauche occidentale, il s’agit de reconnaître un trait d’union entre le IIIe Reich et l’URSS, la similitude entre l’impérialisme italo-allemand et le communisme russe. Les mêmes crimes seraient-ils donc partagés par le fascisme, le nazisme et le stalinisme, ce dernier pourtant vainqueur du nazisme et l’un des principaux « pays antifascistes » ? Que fallait-il en penser ? S’il fallait l’accepter, qu’allait-il rester de leur foi ? Par quoi leur faudrait-il la remplacer ? Qu’allait-il rester de leurs idées et, pire encore, du bâtiment marxiste ? À ce moment, même les plus probes fléchissent. Mais pas Rousset. Celui-ci observe, se renseigne ; il s’apprête à entreprendre une action. Seule la vérité d’ordre expérimental compte pour lui et l’anime. Un nouveau chapitre s’ouvre, une nouvelle lutte prend sens. En 1949, dans le Figaro littéraire, il publie un texte qui, pour la première fois, dénonce publiquement les camps soviétiques. Dans ce texte, Rousset appelle à la création d’une Commission d’enquête internationale, composée des anciens détenus des camps nazis.

Cet article provoque la fureur des milieux communistes français. Dans sa réponse parue dans Les Lettres françaises que j’ai déjà mentionnée, Pierre Daix traite David Rousset « d’hitlérien ». Commence alors ce jeu de miroirs auquel nous nous sommes presque habitués : ce jeu d’accusations réciproques de « nazisme », « fascisme », « hitlérisme ». David Rousset dépose alors contre Pierre Daix une plainte en diffamation.

Voici la raison d’être de la brochure que m’a apportée notre voisine. Je lis donc ce compte-rendu et, bien que coutumière de ce genre de gros mensonge (on n’a pas été un enfant soviétique pour rien), je n’en crois pas mes yeux, les bras m’en tombent. Comment peut-on être d’aussi mauvaise foi ? Car les témoignages sont là, ils sont nombreux. En annexe, la bibliographie francophone est plus qu’abondante, composée de récits de Ante Ciliga (Dix ans derrière le rideau de fer, Plon, 1950), Elinor Lipper (Onze ans dans les bagnes soviétiques, Nagel, 1950), Enrique Castro Delgado (J’ai perdu la foi à Moscou, Gallimard, 1950), El Campesino, alias Valentin Gonzàles (La vie et la mort en URSS, Plon, 1950), Jules Margoline (La condition inhumaine, Calmann-Lévy, 1949) [Julius Margolin], Margarete Buber-Neumann (Déportée en Sibérie, Seuil, 1949), Antoni Eckart (Échappé de Russie, Hachette, 1949), le général Wladyslaw Anders (Katyn, France-Empire, 1949), Jozef Czapski (Souvenirs de Starobielsk, 1945 et Terre inhumaine, Self, 1949), John D. Littlepage (À la recherche des mines d’or de Sibérie, Payot, 1939). Un Croate, une Belge, des Espagnols, des Polonais, un Israélien d’origine russe, une Allemande, un Américain, ils appartiennent à des nations, à des couches sociales différentes. Mais pour la plupart ce sont des gens de gauche, ils sont « antifascistes ». Plusieurs sont ou ont été communistes. Ils ont cru au miracle russe et sont partis en URSS pour construire un avenir merveilleux. Ils ont été jetés en prison, torturés, envoyés au Goulag.

Les récits des témoins sont précis, étoffés de faits, de détails : les noms, les lieux sont cités en toutes lettres. Il est impossible de les traiter à la légère. Par les hasards de la guerre, ces détenus, ces victimes innocentes avaient été libérées et leurs témoignages font maintenant leur irruption en Occident. Le temps de les traduire, et voici toute une bibliothèque de textes saisissants paraissant presque en même temps chez les meilleurs éditeurs français. Pas besoin d’attendre Soljenitsyne. Dès la fin des années 1940 et le début des années 1950, la vérité est déjà là, lisible, accessible. Paraissent également des études, des visions d’ensemble, celles de Guy Vinatrel, de Boris Souvarine, de Victor Serge et d’autres. Dans l’annexe de la brochure figurent deux textes importants : « Mon expérience concentrationnaire » de Jules Margoline et  « Comment sont conduits les interrogatoires dans les prisons soviétiques » d’Ivanov-Razoumnik.

Comment ne pas y croire ? Comment, au moins, ne pas s’y pencher, réfléchir, se poser des questions ? Le lecteur de ces textes ne peut pas passer outre. Plusieurs personnes, y compris les auteurs des livres cités, témoignent au procès Rousset vs Daix. Voilà ce qu’ils racontent. Que l’on atterrit dans un camp soviétique sans procès, sans aucune accusation, sur une simple décision administrative. Que le pouvoir soviétique emploie des millions de citoyens à un travail d’esclave, sans leur assurer le minimum de survie. Que des millions de gens sont quotidiennement maltraités, brutalisés, torturés, avant qu’on les laisse mourir. Mais Pierre Daix et son avocat n’écoutent pas les témoins, ils se lèvent, sifflent, les interrompent, les injurient.

« Menteurs ! Vous faites le procès de l’Union Soviétique ! »

Sans aucunement se laisser impressionner par leurs récits, ils traitent ces communistes de retour des camps soviétiques de traîtres, de nazis, de fascistes. Quelle histoire, sombre, triste histoire. Ces gens qui nient l’évidence et le bon sens sont-ils à la solde de l’URSS, du KGB, ou sont-ils « simplement » des idéologues, des fanatiques ? Les gens croient ce qu’ils choisissent de croire, on le sait mais on s’étonne quand même. Quant à Pierre Daix, après avoir vu comment il se comporte face aux sources, comment prendre au sérieux ses écrits d’historien ? Il ne parlera des crimes de Staline qu’à partir de 1963 et, encore en 1974, à la parution de l’Archipel du Goulag, il écrira un pamphlet en dénonçant Soljenitsyne en tant qu’agent de l’impérialisme occidental. Pense-t-il vraiment, encore en 1974, que le Goulag soviétique soit une invention de la propagande « hitlérienne » ?

Certes, l’histoire du procès de David Rousset contre Pierre Daix n’est qu’un cas parmi tant d’autres de la longue histoire de l’attrait que représentait l’URSS aux yeux des Occidentaux. Pour nombre de ces amoureux, leur relation avec ce régime exigeait un genre de sacrifice rituel : la négation, de préférence publique et par écrit, de l’évidence du Goulag.

Cette histoire hélas n’est pas finie. On le voit, on le lit tous les jours. Même si la Russie actuelle n’a plus grand-chose à voir avec le rêve communiste, ce pays exerce sur beaucoup son emprise. Le fantasme perdure, le leurre ne cesse pas. Cela n’a rien de rationnel. L’homme aime placer son idéal quelque part, dans le ciel ou sur terre. Pendant de longs siècles, le paradis terrestre se trouvait sur les cartes du monde dans des zones inexplorées : en Tartarie par exemple. Et puis, une fois le globe sans surprise, que restait-il de cette cartographie du salut ? Où devait-on placer ses rêves ? Close, interdite, secrète, l’URSS était, à sa façon, la Tartarie idéale du XXe siècle, incarnant le monde diamétralement autre de celui que l’Occident connaissait. C’était loin, on n’y allait guère, on pouvait en accepter n’importe quoi, n’importe quel mensonge. L’enfer ainsi devenait paradis.

Aujourd’hui, plus de 30 ans après la chute de l’URSS, la Russie est à nouveau un pays totalitaire. Une quasi dictature y règne, celle des services secrets. Son idéologie ne s’affiche plus communiste, mais « national-orthodoxe » : celle des « valeurs intrinsèques » de l’État, de l’église et de la Famille. Les opposants vont en prison. Des catégories entières de gens sont privées de droits civiques. Le passé stalinien ressuscite en parole et en action. Cela prend de l’ampleur tous les jours. Le « peuple » adhère, applaudit et dénonce son voisin. Les chanteurs hurlent la gloire de la Russie, la chance d’être né Russe. La guerre contre un État voisin commence et se poursuit, accompagnée de violences inouïes et de mensonges de plus en plus éhontés. Les gens sont condamnés pour une phrase sur les réseaux sociaux. Hier, une fille a été arrêtée : elle portait des boucles d’oreilles aux couleurs de l’arc-en-ciel.

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Emmanuel Todd // RMC/BFMTV, capture d’écran

Mais voilà qu’ici, chez nous, les voix se lèvent, on les entend, on n’y échappe pas : Emmanuel Todd, dans sa Défaite de l’Occident parue récemment chez Gallimard et qui bat déjà tous les records de ventes, nous explique que la Russie est « obligée » de procéder ainsi, car elle « se défend » contre l’Occident, en train par ailleurs de disparaître. Voici donc un intellectuel français qui reproduit à la lettre la rhétorique du pouvoir russe actuel, de Poutine ou du président de la Douma Viatcheslav Volodine qui affirme le 16 janvier 2024 : « Le début de l’Opération militaire spéciale en Ukraine a empêché (ostanovila) la IIIe Guerre mondiale ; les soldats russes luttent contre le nazisme en Ukraine. La Russie a toujours été et reste un pays pacifique. » De nombreux hommes politiques russes parlent aujourd’hui des punitions « justes » prévues pour les « ennemis de la Patrie et du Peuple » qui doivent « crever comme des chiens enragés ». Le Goulag doit être reconstruit, annoncent-ils.

Emmanuel Todd est acclamé par la propagande russe. Ira-t-il, à l’image de Pierre Daix, jusqu’à approuver ce nouveau Goulag comme défendant les droits de l’homme « véritables » ? Rien n’est impossible. Relisons L’Univers concentrationnaire de David Rousset : « La Bible SS enseigne, en effet, que les détenus politiques ont été jetés dans les camps pour les protéger contre la juste fureur du peuple. » Et voici comment les Soviétiques eux-mêmes définissent le « camp » en 1929 : « Camp de concentration : lieu d’isolement des prisonniers de guerre, otages et personnes socialement dangereuses n’ayant pas commis d’actes criminels, mais dont l’isolement est nécessaire afin de sauvegarder l’ordre et comme mesure de défense sociale. » Cette définition citée par Rousset semble à nouveau valable dans la Russie actuelle, où l’emprisonnement des innocents et la torture se propagent de manière presque quotidienne. De nouveaux ennemis que l’on montre du doigt, incarnant le Mal, doivent être anéantis.

Lire David Rousset nous est donc à nouveau, hélas, utile. Non seulement pour comprendre la nature du Goulag ou de cette mystérieuse fascination face à l’URSS, mais aussi pour se demander à nouveau : qui sommes-nous ? Sommes-nous des idéologues réfractaires aux preuves et aux faits, ou sommes-nous des explorateurs de notre temps, témoins prudents et attentifs de ce qui nous arrive ?

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Olga Medvedkova est historienne de l’art et écrivain bilingue, français et russe. Elle est directrice de recherche au CNRS. Elle est spécialiste en histoire de l'architecture, ainsi que de l'art russe. Dernier livre Dire non à la violence russe paru en 2024 aux édition À l'Est de Brest-Litovsk.

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